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le tout comme quand Virgile dit : Summá placidum caput extulit undá : son front paisible s'eleva sur les eaux. Ce seroit ne pas entendre ce Poëte que de prendre son expression à la lettre ; et d'imaginer la tête d'un nageur qui paroît au-dessus des flots. Cette image seroit pauvre et mesquine en poésie comme en peinture. Virgile a voulu fixer les yeux du lecteur sur le front même du dieu , parce que le front est le siège de la sérénité: Placidum caput. De même que Térence avoit dit: Quot capita tot sententiæ. Et Horace: Quis desiderio sit pudor aut modus tam cari capitis? 20. Elle prend le tout pour la partie : Les peuples qui boivent la Seine. 3°. La matière dont la chose est faite pour la chose mème : Armé d'un fer vainqueur. O sang digne

d'Horace!

L'Ironie, ou Contre vérité, s'emploie, lorsqu'on dit précisément le contraire de ce que l'on pense, pour se divertir aux dépens de celui qu'on trompe:

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire :
Et pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis :
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis:
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.
Je le déclare donc, Quinaut est un Virgile,
Pradon comme un soleil, en nos ans a paru.
Pelletier etc. Boileau Sat, 9.

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Comme

Comme tous ces termes dans le sens propre ont un sens raisonnable, quoique faux dans l'intention de celui qui parle, il est nécessaire de donner la clef du sens figuré qu'on leur attache. Cette clef est un mot glissé légérement, je crois; sans doute, apparemment ou un jeste, ou le ton de voix, quand on prononce l'Ironie.

L'hyperbole tient à l'Ironie en ce qu'elle donne à la chose dont on parle, quelques degrés de plus ou de moins qu'elle n'en a dans la réalité. Un coup d'épée par le moyen de cette figure devient une piqûre d'épingle, et une piqûre d'épingle une blessure mortelle.

Il seroit aisé de pousser très-loin ce détail. Tous les Grammairiens et tous les Rheteurs de l'antiquité ont pris plaisir à s'exercer sur cette matière. On peut consulter les Tropes de M. du Marsais.

Les expressions, tant propres qu'empruntées, ont entr'elles des différences qui les placent dans des rangs séparés. Quelqu'un a dit que l'homme étoit la mesure de tout cela n'est nulle part si Vrai que dans le langage. De même qu'il ya parmi nous des nobles et des rôturiers dont les uns sont faits pour être montrés pour attirer les respects et recueillir les hommages de ceux à Tome IV.

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qui on les donne en spectacle, tandis que les autres sont employés dans tous les services obscurs à tout moment, et sans façon; il y a aussi des phrases, des mots, des tours qui sont destinés les uns à paroître dans les genres élevés, dans les panegyriques, les discours d'appareil, la haute poésie on les appelle termes nobles: et il y en a d'autres qui n'ayant jamais eu d'illustration

sont

condamnés quelqu'énergiques qu'ils soient, à rester dans l'abaissement: on les appelle en termes bas, phrases communes. Entre ces deux degrés est un milieu, qui contient un certain nombre de phrases et de mots qui ont quelque chose des deux extrêmes, sans les réunir: ce sont ceux-là qui font le corps, la base, le fonds de tout discours, dans quelque degré qu'il soit. Qu'on y jette de tems en tems des termes et des phrases nobles,le discours médiocre se trouve ennobli. Qu'au contraire on y laisse échapper des mots bas, des phrases ignobles, la médiocrité même se trouve dégradée. Il ne faut qu'une seule phrase triviale pour déshonorer toute une page: quelquefois il ne faut qu'un mot. Mais les avis et les préceptes en ce genre sont également inutiles pour ceux qui ont l'o gane du sentiment, et pour ceux qui ne

Font point. Nous ferons seulement ici une observation relative à la manière dont; on s'y prend quelquefois pour former le goût des jeunes éleves de l'Eloquence. On leur met sous les yeux les morceaux les plus frappans des Auteurs. On fixe leur attention sur les pensées brillantes. On leur fait observer les traits, Cette méthode a des inconvéniens: elle jette l'esprit hors de la route du vrai goût. Tout doit être remarqué dans un bon Auteur, et les endroits qui paroissent les moins remarquables sont quelquefois ceux où les maîtres doivent s'arrêter le plus c'est souvent ce qui fait le tissu de l'ouvrage, c'est-là que les beautés ont leur source, leur raison, leur naissance : c'est ce qui les prépare qui les releve. Un esprit nourri d'antitheses. et de métaphores ne peut manquer d'être à sec, quand on lui demandera du bon sens. Cependant c'est par le bon sens que les hommes valent, quand ils valent quelque chose. Que diroit-on d'un homme qui jugeroit d'un édifice seulement par les moulures et les croisées et qui ne feroit nulle attention à la distri bution des pièces, ni à la solidité du tout? Il y a dans tous les bons Ecrivains un corps suivi des pensées naturelles, prises dans le sens coinmun et tirées, des en

trailles même du sujet ; c'est la base de toute la composition

Scribendi rectè sapere est et principium et fons. Sur ce fond uniforme ils sement les fleurs de l'Elocution, je veux dire des traits et des expressions qui ont un caractère distingué. Leur génie leur prodigue des pensées revêtues de toutes les sortes d'agrémens. Mais quoiqu'une complaisance secrete les invite à laisser aller ces richesses dans le courant de l'ouvrage, le jude gement et le goût les retiennent peur qu'elles n'y soient des parures déplacées. Ils n'adoptent que ce qui peut prendre la teinte du sujet, et faire un même corps avec le reste.

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Après avoir marqué les espèces et les qualités des pensées et des expressions et indiqué le choix qu'on en peut faire selon les circonstances, il s'agit de traiter de l'arrangement et de la liaison qu'on doit mettre entr'elles.

L'arrangement qu'on donne aux expressions et aux pensées, né peut avoir que deux objets c'est de leur donner ou plus de graces, ou plus de force. Car l'arrangement qui produit la simple clarté est plus logique et grammatical qu'oratoire.

La nature a attaché des graces à tout

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