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Et comme les arts ne sont jamais plus beaux que quand ils ressemblent parfaitement à la nature originale; de même celle-ci n'est jamais plus parfaite et plus belle que quand elle ressemble à la nature choisie et embellie par les arts. Tout ce qui se trouve là doit se trouver ici, et par les mêmes raisons.

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Si cela est ainsi, me dira-t-on, pourquoi n'avoir pas commencé la suite de vos traités par l'éloquence et le récit qui sont, sans contredit, plus près de la nature que tous les autres genres, et qui semblent même en quelque sorte avoir été les modèles de la poésie? Il étoit naturel d'aller du simple au composé, et de présenter d'abord les procédés ordinaires de l'esprit humain avant que d'étudier les ruses et les finesses de l'art. D'ailleurs le langage de la prose a certainement précédé celui de la poésie; celle ci a toujours bâti avee les matériaux de celle-là. C'est donc renverser l'ordre, et commencer par le faîte de l'édifice , que d'offrir d'arbord à ceux qu'on veut introduire dans le commerce des Muses, les livres de poésie, par où il semble qu'on auroit dû finir.

Nous convenons que si dans cet ouvrage nous ne nous étions proposé que de montrer la voie pour arriver à la

Connoissance d'une langue, il auroit fallu commencer par la prose. C'est la sans doute qu'est le vrai génie, le caractère essentiel de quelque langue que ce soit, Dans la poésie la contrainte du vers altère nécessairement la structure naturelle des mots, et même quelquefois leur valeur. Ainsi ce seroit aller à contresens que d'étudier d'abord une langue dans les poëtes. On a beau lire Horace et Virgile si on ne lit qu'eux, on n'ap prendra jamais à parler comme Ciceron.

Mais notre dessein n'est point d'apprendre à parler; c'est d'apprendre à lire et à juger. Or pour apprendre à juger, en matière de littérature, il faut s'exercer d'abord sur les ouvrages où les beautés et les défauts, plus sensibles, donnent aussi plus de prise au goût et à l'esprit. où l'art se montre sans mystère; et quand une fois on a bien reconnu cet art tel qu'il est, qu'on est bien sûr d'en avoir saisi les vrais principes, on essaie de le reconnoître encore dans les ouvrages où ой il a coutume de se cacher.

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L'ordre que nous avons suivi est donc l'ordre même de l'esprit humain, lequel saisit d'abord ce qui est plus sensible, et s'en fait un moyen pour parvenir à connoître ce qui l'est moins.

Cette marche est si naturelle, que si

on consulte l'histoire même de la poésie et de l'oraison, on trouvera que celleci n'est venue qu'après l'autre.

Il y a bien de la différence entre le langage du seul besoin, et le langage de l'éloquence. Le premier a sans doute précédé la poésie c'est l'instrument le plus essentiel de la société par conséquent le genre humain a dů porter sur lui ses premiers soins. Mais le langage oratoire, où l'on joint toutes les ressources de l'art au génie naturel, où toutes les machines, tous les ressorts qui peuvent aider à la persuasion, sont dresses: tendus, menagés avec adresse et intelligence, ce langage n'a été soumis à la précision des règles, qu'après les grands succès de la poésie.

La poesie a d'abord emprunté à la nature simple ses graces naïves, et ses traits frappans, en les embellissant de toutes les parures que l'imagination et l'harmonie pouvoient y ajouter. L'éloquence ensuite, quoique modeste par état, a compris, par l'exemple de la poésie, qu'il y avoit un art de présenter les objets, de séduire l'oreille, d'échauffer l'ame. Sa propre expérience lui avoit fait sentir que, quelque puissante que soit la vérité par elle-même, il n'étoit pas toujours sûr d'abandonner sa défense

à un talent sans principe, à une sorte d'instinet brut, qui fait souvent de ses richesses un emploi malheureux ; et qu'il étoit plus sage d'étudier la conduite du génie, et d'en distribuer les forces avec art et économie.

On alla donc consulter les ouvrages des écrivains célèbres : c'étoient des poëtes: car ce fut en vers qu'on écrivit d'abord. On observa leur marche on analysa leurs procédés on essaya de pratiquer ce qu'on avoit remarqué en eux : le succès ne manqua pas d'ajouter une nouvelle autorité aux modèles choisis. Homère fut regardé, non-seulement comme le prince de la poesie, mais comme le pere de l'éloquence, de l'histoire de la philosophie, de tous les arts. Ce fut lui qui montra à Hérodote comment il falloit écrire les actions des héros, à Isocrate comment il falloit charmer les sens pour convaincre l'esprit, à Démosthène, à Eschyle, à Socrate, à Platon comment il falloit peindre, toucher, raisonner, raconter. L'attention qu'il avoit de suivre scrupuleusement la nature, lors même qu'il se livroit aux mensonges et à la fiction, leur fit sentir ce qu'ils devoient faire sur-tout en peignant la vérité. Ils s'at tachèrent done constamment au même

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principe que lui ; ils étudièrent la nature, et s'efforcerent par tout de la rendre telle qu'elle pouvoit telle qu'elle devoit être rendue, selon la différence des genres qu'ils avoient embrassés, et des fins qu'ils se proposoient.

Ce fut donc la Poésie qui ouvrit le chemin à l'oraison, qui en fut le guide' le flambeau, le modèle. Ce fut elle qui lui montra son véritable objet, la source et le principe de toutes ses règles. Elle lui apprit qu'elle n'avoit, comme ellemême, d'autre fonction que celle de peindre la nature et d'autre mérite que de la peindre avec force et vérité, C'est par-là que les grands orateurs, anciens et modernes, sont arrivés à la gloire c'est, si j'ose m'exprimer ainsi, pour avoir été poëtes dans leurs oraisons, comme les poëtes avoient été orateurs dans leurs poésies.

Mais que devient la différence qu'il y a entre ces deux arts? Car il est certain qu'il y en a une.

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La voici la poésie a pour objet de plaire, nous l'avons dit, et si quelque fois elle instruit en même tems, c'est qué l'utilité est un moyen qui l'aide à parvenir à son but. L'eloquence a pour objet d'instruire; etsi elle songe à plaire, 'est qu'elle n'ignore pas que la voie la

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