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récits, dans les discours, il s'agit plus de mettre les objets devant les yeux, que d'en prouver le fait.

LIES

CHAPITRE III.

Lieux communs de l'Oraison.

ES Anciens qui vouloient tout réduire en art, en avoient fait un aussi pour l'invention. Distribuant par ordre tous les aspects tant intérieurs qu'extérieurs d'une cause, ils prétendoient mener le génie comme par la main, et lui faire trouver tout d'un coup tous les argumens possibles, dans les différens lieux où ils les conduisoient. Car c'est ainsi qu'ils ont nommé ces espèces de répertoires ou de magasins, qui recelent toutes les richesses qui sont l'objet de l'invention.

Le premier de ces Lieux est la Définition; par laquelle l'Orateur trouve dans la nature même de la chose dont il parle. une raison pour persuader ce qu'il en dit. Ainsi il prouve qu'il faut faire cas de l'éloquence; parce que le talent de bien dire est une chose estimable. Il ne faut point se glorifier de cette qualité qu'on appelle de l'esprit. M. Fléchier le prouve

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par la Définition: « En effet, qu'est-ce » que l'esprit dont les hommes parois» sent si vains? Si nous le considérons » selon la nature c'est un feu qu'une » maladie et qu'un accident amortissent » sensiblement. C'est un tempérament » délicat qui se déregle, une heureuse » conformation d'organes qui s'usent, un assemblage et un certain mouvement » d'esprits qui s'épuisent et qui se dissi » pent. C'est la partie la plus vive et la plus subtile de l'ame, qui s'appesan» tit, et qui semble vieillir avec le corps. » C'est une finesse de raison qui s'éva» pore, et qui est d'autant plus sujette » à s'évanouir, qu'elle est plus délicate » et plus épurée. Si nous le considérons » selon Dieu, c'est une partie de nous» mêmes plus curieuse que savante, qui

segare dans ses pensées : c'est une » puissance orgueilleuse qui est souvent » contraire à l'humanité et à la simpli» cité chrétienne, et qui laissant sou» vent la vérité pour le mensonge, » n'ignore que ce qu'il faudroit savoir » et ne sait que ce qu'il faudroit igno»rer (1). Donc il ne faut point se glo»rifier d'avoir de l'esprit.» On voit par

(1) Oraison funèbre de M. de Montausier.

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cet exemple que l'éloquence doit de brillans morceaux à ce lieu commun; et en même tems que la Définition oratoire est bien différente de la philosophique. Qu'est-ce que l'homme ? C'est, dit le philosophe un animal raisonnable. Qui suis-je, dit Rousseau,

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Qui suis-je ? vile créature?
Qui suis-je, Seigneur, et pourquoi
Le Souverain de la nature
S'abaisse-t-il jusqu'à moi ?

L'homme en sa course passagere
N'est qu'une vapeur legere
Que le soleil fait dissiper.

Sa clarté n'est qu'une nuit sombre
Et ses jours passent comme l'ombre
Que l'ail suit et voit échapper.

L'Enumération des parties, ou autrement les Détails, se trouvent dans le discours, quand au lieu de prouver qu'il faut aimer la vertu, on prouve qu'il faut aimer la justice, la force, la force, la prudence la tempérance. Il y a des Orateurs parmi les modernes qui doivent presque toute leur réputation à ce lieu commun. Il a son mérite. Les pensées tombent, sinon comme la foudre, dont elles n'ont ni la force, ni l'éclat : du moins comme la grêle, qui ne terrasse pas le voyageur, mais qui le contraint de céder et de chercher un abri.

L'Etymologie fournit quelquefois un

petit argument à l'Orateur: Si la philosophie est l'amour de la sagesse ; soyez donc sage et modéré, vous qui faites profession d'être philosophe.

Les Omonymes ou jeux de mots sont à-peu-près dans le ineme goût. Une cause est bien désespérée, quand ellen'a que ces deux espèces d argumens pour se défendre, C'est même faire tort au bon droit que d'employer en sa faveur de reilles armes.

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Il n'en est pas de même du Genre et de l'Espèce. On prouve fort bien qu'il faut aimer la justice, parce qu'il faut aimer la verta; et réciproquement qu'on doit aimer la vertu, parce qu'on doit aimer la justice,qui est une des espèces de la vertu.

Nous ne parlons point de la Similitude, qui est presque la même chose que la Comparaison; ni de la Dissimilitude qui se confond presque avec les Contraires. Les Contraires sont d'un grand usage. C'est souvent la meilleure manière d'exposer une pensée. Disons d'abord ce qu'une chose n'est point: l'esprit de l'auditeur se met en action, et essaie luimeme de trouver la définition. D'ailleurs une description dans ce genre sert d'ombre à l'autre qu'on prépare. « Si je ve »nois ici déplorer la mort imprévue » de quelque princesse moudaine, je

» n'aurois qu'à vous faire voir le monde >> avec ses vanités et ses inconstances; « cette foule de figures qui se présentent » à nos yeux, et qui s'évanouissent ; » cette révolution de conditions et de >> fortunes qui commencent et qui finis»sent, qui se relevent et qui retombent; >> cette vicissitude de corruptions, tan » tôt secrettes, tantôt visibles, qui se » renouvellent; cette suite de change» mens en nos corps par la défaillance » de la nature › en nos ames par l'insta»bilité de nos desirs; enfin ce déran »gement universel et continuel des cho»ses humaines, qui tout naturel et tout » désordonné qu'il semble à nos yeux, » est pourtant l'ouvrage de la main toute» puissante de Dieu, et l'ordre de sa ≫ providence. Mais, graces au Seigneur; » je viens louer une princesse plus grande » par sa religion que par sa naissance » etc. Fléch.

Les Circonstances sont d'un grand poids dans les preuves. Milon, ditesvous, a tendu des embûches à Clodius; mais considérez les circonstances où il étoit, dans une voiture, enveloppé d'habits embarrassans, accompagné de son épouse et de ses suivantes, etc.

Quelquefois on entasse les pensées, les faits, les circonstances; on jette le

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