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l'homme d'Etat plus que l'homme privé: car si on s'arrête autant sur les détails de sa conduite particulière, que sur le maniement des affaires publiques, c'est proprement ce qu'on appelle une Vie.

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Les Anciens avoient un goût particulier pour écrire des vies. Pleins de respect et de reconnoissance pour les hommes illustres, et considérant d'ailleurs que souvenir honorable que les morts laissent après eux, est le seul bien qui leur reste sur la terre qu'ils ont quittée, il se faisoient un plaisir et un devoir de leur assurer ce foible avantage. Je prendrois les armes, disoit Cicéron, pour défendre la gloire des morts illustres comme ils les ont prises pour défendre la vie des citoyens. Ce sont des leçons immortelles, des exemples de vertus consacrés au genre humain. Les portraits et les statues qui représentent les traits corporels des grands hommes, sont renfermés dans les maisons de leurs enfans, et exposés aux yeux d'un petit nombre d'amis; les éloges tracés par des plumes habiles représentent l'ame même, et les sentimens vertueux. Ils se multiplient sans peine: ils passent dans toutes les langues, volent dans tous les lieux, et ser vent de maîtres dans tous les tems.

Cornelius-Nepos, Plutarque, Suétone,

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ont préféré ce genre de récit aux histoires de longue haleine. Ils peignent leurs héros dans tous les détails de la vie attachent particulierement ceux qui cherchent à connoître l'homme. Quel besoin a le citoyen paisible, l'homme de Lettres, de Robe, d'avoir toujours devant les yeux des guerriers qui prennent des villes, qui livrent des batailles, qui donnent la paix aux pays qu'ils ont dépeuplés? Ces traits sont bons pour les esprits qui aiment les événemens bruyans. Mais pour quiconque veut connoître l'homme en lui même, les menues occupations de César, d'Auguste, des traits d'Henri IV, de Louis XIV, sont infiniment plus touchans et plus agréables, que des victoires et des triomphes.

Suétone, et Cornelius Nepos, se sont contentés de présenter un seul homme à la fois. Plutarque s'est fait un plan plus étendu et plus intéressant pour un esprit philosophique. Il met en parallele les hommes qui ont brillé dans le même genre. Chez lui, Cicéron figure à côté de Démosthene, Annibal à côté de Scipion. Le lecteur se portant tour à tour sur ces pieces de comparaison, juge les degrés de vices et de vertu, et s'exerce malgré qu'il en ait, ne croyant que suivre l'écrivain qui l'entraîne. Il y a des

personnes qui préferent cet historien à tous les autres; à cause du grand sens qu'on y trouve par-tout, d'une philosophie solide qui ne tend qu'à la vertu ; enfin parce qu'il peint l'homme, et qu'il le peint forterent.

CHAPITRE V.

Style de l'Histoire.

Le texte de l'Histoire doit être natu

E rellement dans la forme indirecte, c'està-dire , que l'histoire doit raconter ce qui a été dit ou fait par les acteurs qu'il introduit sur la scène ; et ne point les faire parler eux-mêmes. Cependant, comme on a observé que plus les acteurs parlent eux-mêmes, plus le récit est vif et animé ; les historiens, à mesure qu'ils ont été plus raffinés dans l'art, ont emprunté quelque chose de la manière des poëtes, et ont changé en dramatique la forme trop monotone de leur récit.

Quelquefois ils citent les paroles même de leurs personnages, et alors c'est un titre original qu'ils inserent dans 1Histoire. Pour être insérées de la sorte, il faut qu'elles le méritent par leur importance. Toutes les paroles d'Alexandre, d'Auguste, de Louis-le-Grand, quand

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même elles auroient toujours été dignes de si grands princes ne sont pas tou. jours dignes de l'Histoire. Tite-Live rapporte les termes mêmes des premières déclarations de guerre, et des traités faits avec les peuples voisins de Rome; Salluste copie la lettre de Catilina à Manlius, et le discours de Caton aussibien que celui de César. Ces morceaux plaisent toujours, quand ils ne sont pas trop longs, et qu'ils sont assez nerveux pour n'avoir pas besoin d'être réduits et resserrés par une analyse.

pour

Quelquefois les historiens se chargent de faire eux-mêmes les discours qui ont été faits, ou même d'en faire, quoiqu'il n'y en ait point eu de faits; et cela présenter plus nettement les causes qui ont déterminé les entreprises. L'auteur alors, à l'imitation du poëte, se place dans les circonstances où il voit ses acteurs : il prend leur caractère, leur esprit, leurs sentimens : et dans cet enthousiasme purement artificiel, il tâche de parler comme ils auroient parlé eux-mêmes. C'étoit le goût dominant de Tite - Live. Plein de génie et de verve, il ne pou voit se défendre contre la tentation de haranguer, toutes les fois que l'occasion se présentoit. C'étoit presqu'un besoin, mais un besoin que nous serions bien

fâché

laché qu'il n'eût point satisfait. Tous les historiens qui ont imité son exemple, ont remporté les mêmes applaudissemens que les poëtes, lorsqu'ils ont bien peint les mœurs. Pourvu que l'histoire seule fournisse tout le fonds de cette sorte de drame, il semble que le lecteur ne peut que savoir gré à l'historien, d'un artifice qui anime le récit, sans faire tort à la vérité.

Quand les historiens ont craint que cette forme dramatique ne donnât l'air de fiction à leur récit, ils ont pris la forme indirecte, qui tient une sorte de milieu entre le récit et le drame. Le peuple de Rome s'étant retiré sur le Mont Aventin, on lui envoya Menenius Agrippa, qui se contenta de lui dire: (1) « Que » dans le tems que les membres de l'hom» me n'étoient pas soumis à une seule » volonté, comme ils le sont à présent, » et qu'ils avoient chacun la leur pro»pre, aussi bien que leur langage; ils » s'étoient offensés de ce que leurs soins leurs travaux, n'étoient que pour l'es

(1) Tempore quo in homine non • ut nunc, omnia in unum consentiebant, sed singulis membris suum cuique consilium, suus sermo fuerit, indignatas reliquas partes suâ curâ, suo labore, ac ministerio ventri omnia quæri ventrem in medio quietum, nihil aliud quàm datis voluptatibus frui; conspirasse indè ne manus ad os cibum ferrent, etc. Liv. 2.

Tome IV.

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