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la division, le récit et les preuves. C'est un rouet démonté que rien n'arrête. Si par hasard, ils changent de mouvement; cela se fait si mal adroitement qu'ils trahissent chaque fois leur mauvais goût. Comme leur objet unique est de décharger leur mémoire d'un fardeau importun, ils versent sans interruption les flots qui arrivent; ne songeant pas qu'ils doivent représenter en eux-mêmes les passions qu'ils veulent émouvoir; et que ces pas sions sont, comme le feu, d'une nature si subtile et si légere, que l'impression du moindre souffle, de la moindre idée qui passe par l'esprit,, en change la couleur, le mouvement, la direction.

De tous les mouvemens, le plus dé cent et le plus éloquent est celui qui mar que l'assurance de l'orateur sur la bonté de sa cause, et la certitude où il est, de la présenter de manière à en persuader ceux à qui il parle. C'est ce mouvement qui fait ce qu'on appelle le ton d'autorité, quand l'orateur maître de son sujet, mai tre de lui-même, paroît assuré sans or gueil; et se répondre de ses succès. Ce ton inspire du respect à l'auditeur, et double le crédit des preuves. Un homme qui se laisse emporter par sa matière, nous donne une idée désavantageuse de sa legereté ou de sa foiblesse. Je le compare à

un cavalier qui ne peut retenir les rênes d'un cheval fougueux. Tout ce qui peut lui arriver de mieux dans la carrière, c'est de détruire la bonne opinion qu'on avoit de lui, et de céder la victoire à ses rivaux. D'autres croient avoir un ton décent et digne de la chaire où ils parlent, quand ils donnent à leurs voix toute son étendue, et qu'ils chantent tout ce qu'ils disent. Ce ton criard n'est qu'une distraction pour l'auditeur. Sa tête est comme étonnée par le bruit et son esprit est dans une agitation toute passive, à-peu-près telle que celle qu'on éprouve dans ces momens de réverie, où on entend sans écouter, où on voit plusieurs objets, sans en regarder aucun. Quelquefois le lieu trop petit tourmente la voix, laquelle refluant sur ellemême, fait une sorte de cacophonie qui étourdit l'auditeur, et qui l'oblige, s'il veut entendre, à un effort d'attention dont le travail le distrait et affoiblit d'autant l'impression qu'il auroit prise.

On ne veut point renouveler ici les observations satyriques du P. Sanlec. On se contente de remarquer qu'il n'y a point d'Art où il y ait plus de parties que dans l'éloquence; et qu'il n'y en a presque point que nous étudions moins, et par conséquent où nous fassions plus de fautes.

L'ame de l'auditeur seroit une table rase, sans préjugés, sans prévention ; elle seroit une cire molle prête à toutes les formes, qu'elle n'obéiroit pas à la vérité, proposée de la manière dont on la propose tous les jours, avec toutes les apparences de la fausseté.

Et le plus souvent l'auditeur vient cou vert de sa cuirasse, pour parer tous les traits qu'on veut lui lancer. Il défie l'ora. teur, il attend, il juge de son art, de son adresse, bien résolu de détourner les coups, ou de les renvoyer. Le moindre défaut frappe d'abord l'esprit, ôte à l'argument sa portée, et ruine toute l'entreprise de l'orateur.

On voudroit qu'un orateur, et sur-tout un orateur évangélique, rempli parfaitement de son sujet et de l'importance de son ministère, portant, comme on dit, la république dans le cœur, présentât la yérité fortement et simplement, et seule ment avec le feu et la lumière qui ne manquent jamais de l'accompagner. Mais au lieu de cette vigueur mâle ; qui suppose des Démosthenes, de médiocres artistes mésurant l'Floquence à leurs forces croient que tout consiste à donner des choses jolies, des phrases qu'ils appellent saillantes, de petits inots, des bluettes ; et quand ils sont venus à bout de coudre

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ils les

ces miseres sur un gros canevas jettent à l'auditeur selon que leur instinct en ordonne, ou limitation manquée de quelque modele choisi au hasard.

Les difficultés qu'on vient de faire entrevoir sur l'art de déclamer, pourront étonner quelques personnes. Mais on n'adresse ces observations qu'à ceux qui ont compris toute la grandeur de leur art, et qui se proposent d'y rem porter le prix.

Il n'y a point d'art qui ne demande de l'effort et s'il y en a quelqu'un qui en mérite, c'est celui-ci. On donne pendant des années entières des maitres aux jeunes gens, pour leur apprendre à entrer, à sortir, à saluer, à se présenter: et on veut abandonner à la seule nature, au seul instinct, de régler la décence et les graces, dans les occasions où l'homme est en spectacle à tout un peuple, qui juge à la rigueur de tous ses mouvemens et de tous ses tons. Ce naturel qu'on vante tant dans les déclamations, et qu'on s'imagine devoir être inculte pour être vrai, ne perdroit rien de ce qu'il a quand il seroit cultivé et il acquerroit surement une force et des charmes qu'il n'a pas

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SECONDE PARTIE.

DU RÉCIT HISTORIQUE.

CHAPITRE I.

De la nature du Récit historique et de ses différentes espèces.

Le Récit est un exposé exact et fidele d'un événement: c'est à dire, un exposé qui rend tout l'événement, et qui le rend comme il est. Car s'il rend plus ou moins, il n'est point exact; et s'il rend autrement, il n'est point fidèle. Celui qui raconte ce qu'il a vu, le raconte comme il l'a vu, et quelquefois comme il n'est pas ; alors le Récit est fidele, sans être exact.

Tout Récit est le portrait de l'événement qui en fait le sujet. Le Brun et Quinte-Curce ont peint tous deux les batailles d'Alexandre. Celui-ci avec des figures arbitraires et d'institution, qui sont les mots, l'autre avec des signes naturels et d'imitation, qui sont les traits et les couleurs. S'ils ont suivi exactement la vérité, ce sont deux historiens. S'ils ont

mélé

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