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Nous bornons ici notre examen, qui si nous seroit de beaucoup trop long n'avions consulté que l'amusement et non l'instruction du jeune lecteur. Il falloit non-seulement observer l'art, mais le présenter plusieurs fois dans des exemples différens afin d'en constater la pratique.

On a vu dans cette Oraison 1o. une suite de choses ou de faits qui forment un tissu serré et continu depuis le commencement jusqu'à la fin : c'est l'ordre même de la nature qui fait celui du discours. L'Orateur parle de la noble oride l'éducation, des actions, de gine, la vie et de la mort de son héros, et il peint ces parties avec tous les détails et toutes les circonstances qui peuvent en relever l'éclat.

2o. Les idées, qui sont par-tout claires et distinctes; par-tout revêtues d'expressions justes, souvent riches et brillantes, parce qu'elles sont en images souvent touchantes, parce qu'elles sont tournées en sentiment par les figures; presque toujours vives, parce qu'elles sont courtes et précises, et qu'elles sont enchâssées dans des nombres qui les emportent ou qui les entraînent.

Elles sont oratoires, parce que les mêmes idées sont développées, amplifiées , présentées plusieurs fois sous des

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faces différentes; elles sont agréables enfin, parce qu'elles sont toutes naturelles, sortant du sujet, s'engendrant les unes des autres; et qu'elles sont rendues par des sons, par des mots, par des finales sonores, douces, souvent imitatives. Enfin il règne par-tout un esprit de religion et de piété, qui ajouté à la vertu et au talent de l'Orateur embellit toute sa composition, et donne un nouveau poids et un nouveau charme à son autorité. Nous n'avons point en français, ni peut-être ailleurs, un discours entier qui soit d'une éloquence plus fleurie, plus riche, plus ingé nieuse, plus aimable. Cependant l'ouvrage n'est point parfait. Il y a une continuité de beautés dans des genres et des espèces peu différentes qui la rendent monotone. L'antithese y brille par-tout. C'est un écho perpétuel d'idées qui se répondent, et qui se choquent pour se donner plus d'éclat. L'éloge funèbre est un jour de triomphe pour la vertu; c'est un chemin qui doit être semé de fleurs, on le sait; mais il y a en tout des bornes les larmes ne se mêlent point avec les jeux d'esprit. M. Fléchier a assujetti son sujet à sa manière. Les grands peintres ne doivent point avoir d'autre manière que celle qui appartient

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non seulement au sujet qu'ils traitent, mais à chaque objet qui se trouve dans le sujet. Un autre défaut moins considérable, qui peut-être suit de l'autre, c'est Taffectation des nombres : ils sont trop » brillans, trop gradués et trop fréquens. Les nombres sont le luxe de l'éloquence. Si on les emploie sans discrétion, ils éteignent le feu de l'action, la sensibilité de l'acteur, et détruisent entiérement l'air et le ton de vérité (1). Si on les pardonne ici à M. Fléchier, c'est parce que son sujet étoit surabondant en richesses, et qu'il pouvoit y prodiguer tous les trésors de l'art et du génie.

CHAPITRE

XII.

Exemple du style grave et austère. LA La description que nous allons don

A

ner de ce style, est tirée du même auteur que celle du style fleuri. Nous ne ferons presque que le traduire.

Dans le style grave et austere, tous les mots sont comme établis sur une base

large et solide qui est la pensée. On

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(1) Si enim semper utare, cùm satietatem offert tum detrahit actionis dolorem, aufert humanum sensum actoris, tollit funditus veritatem et fidem. Cicer. Orat. 62.

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diroit qu'ils sont détachés les uns des autres pour être plus apparens, comme ces rochers dont les pointes paroissent dans le lointain. Les voyelles et les consonnes s'entrechoquent souvent et se repoussent; on peut les comparer à ces pierres brutes et non taillées qu'on jette dans les fondemens des grands édi fices. Il marche à grands pas; il use de mots longs et lourds et ne craint rien tant que les syllabes légeres, qu'il n'emploie que faute d'autres. Voilà ce qu'il fait pour les mots. Il a le même système pour les phrases; il ne prend que des nombres forts et vigoureux; ne s'embarrassant jamais qu'ils soient égaux ou symétriques, on gradués, pourvu qu'ils soient naturels ou libres, plus propres à frapper un grand coup, qu'à plaire. Peu attentif à la marche cadencée des périodes, il n'use d'elles que par hasard, et parce qu'elles se sont faites d'ellesmêmes. On ne le verra point ajouter des mots pour arrondir la phrase, et rendre le nombre complet. Point de ces chutes brillantes qui attirent les applau dissemens; point de figures trop soutenues, point de transitions ménagées peu de liaison, point de fleurs nulle frisure: souvent apre, escarpé, hérissé informe, ne se parant jamais que de sa,

franchise, de sa fierté et de sa liberté. Ainsi parle Denys d'Halicarnasse.

Le lecteur en lisant ce tableau a pensé plus d'une fois à M. Bossuet, qui en effet est celui de nos Orateurs qui approcha le plus de ce caractère. Nous n'en citeronsque deux ou trois morceaux assez courts, qui aideront infiniment à rendre nettes et distinctes les idées qu'on doit avoir des différens genres d'Eloquence.

Voici comment il peint le pouvoir de la mort sur les grandeurs humaines : « La voilà, malgré ce grand cœur, cette » princesse si admirée et si chérie. » (Me. Henriette Anne d'Angleterre, Duchesse d'Orléans ) » la voilà telle que la mort >> nous l'a faite : encore ce reste tel quel » va-t-il disparoître cette ombre de » gloire va s'évanouir, et nous allons

comme

voir dépouillée même de cette triste » décoration. Elle va descendre à ces » sombres lieux, à ces demeures souterraines. pour y dormir dans la poussière » avec les grands de la terre, » parle Job; avec ces rois et ces princes » anéantis, parmi lesquels à peine peut» on la placer, tant les rangs y sont » pressés tant la mort est prompte à remplir ces places. Mais ici notre ima»gination nous abuse encore; la mort » ne nous laisse pas assez de corps pour

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