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SUR

SURE NA,

GENERAL DES PARTHES,

TRAGEDIE.

ACTE CINQUIEME.

SCENE DERNIERE.

Vers 22. Non, je ne pleure point, Madame, mais je meurs.

CE vers fournira la feule remarque qu'on croie devoir faire fur la tragédie de Suréna. Je ne pleure point, mais je meurs, ferait le fublime de la douleur, fi cette idée était affez ménagée, affez préparée pour devenir vraifemblable; car le vraisemblable feul peut toucher. Il faut, pour dire qu'on meurt de douleur, et pour en mourir en effet, avoir éprouvé, avoir fait voir un désefpoir fi violent, qu'on ne s'étonne pas qu'un prompt trépas en foit la fuite. Mais on ne meurt pas ainfi de mort fubite après avoir fait des raisonnemens politiques, et des differtations fur l'amour. Le vers par lui-même est très-tragique, mais il n'eft pas amené par des fentimens affez tragiques. Ce n'eft pas affez qu'un vers foit beau il faut qu'il foit placé, et qu'il ne foit pas feul de fon espèce dans la foule.

SUR

ARIANE,

Tragédie de Thomas Corneille, repréfentée en 1672.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

Un grand nombre d'amateurs du théâtre ayant

demandé qu'on joignît aux œuvres dramatiques de Pierre Corneille l'Ariane et l'Effex de Thomas Corneille, fon frère, accompagnées auffi de commentaires, on n'a pu fe refufer à ce travail.

Thomas Corneille était cadet de Pierre d'environ vingt années. Il a fait trente-trois pièces de théâtre, auffi-bien que fon aîné. Toutes ne furent pas heureuses; mais Ariane eut un fuccès prodigieux en 1672, et balança beaucoup la réputation du Bajazet de Racine qu'on jouait en même temps, quoiqu'afflurément Ariane n'approche pas de Bajazet: mais le sujet était heureux. Les hommes, tout ingrats qu'ils font, s'intéreffent toujours à une femme tendre, abandonnée par un ingrat; et les femmes qui fe retrouvent dans cette peinture pleurent fur elles-mêmes.

Prefque perfonne n'examine à la représentation fi la pièce eft bien faite et bien écrite on eft touché : on a eu du plaifir pendant une heure; ce plaifir

même eft rare; et l'examen n'eft que pour les connaiffeurs.

On rapporte, dans la Bibliothèque des théâtres, qu'Ariane fut faite en quarante jours; je ne fuis pas étonné de cette rapidité dans un homme qui a l'habitude des vers, et qui eft plein de fon fujet. On peut aller vite quand on fe permet des vers profaïques, et qu'on facrifie tous les perfonnages à un feul. Cette pièce eft au rang de celles qu'on joue fouvent, lorfqu'une actrice veut se distinguer par un rôle capable de la faire valoir. La fituation eft très-touchante. Une femme qui a tout fait pour Théfée, qui l'a tiré du plus grand péril, qui s'eft facrifiée pour lui, qui fe croit aimée, qui mérite de l'être, qui fe voit trahie par sa fœur, et abandonnée par son amant, eft un des plus heureux fujets de l'antiquité. Il eft bien plus intéreffant que la Didon de Virgile; car Didon a bien moins fait pour Enée, et n'eft point trahie par fa fœur ; elle n'éprouve point d'infidélité, et il n'y avait peut-être pas là de quoi fe brûler.

fa

Il eft inutile d'ajouter que ce fujet vaut infiniment mieux que celui de Médée. Une empoisonneuse, une meurtrière ne peut toucher des cœurs et des efprits

bien faits.

Thomas Corneille fut plus heureux dans le choix de ce fujet que fon frère ne le fut dans aucun des fiens depuis Rodogune; mais je doute que Pierre Corneille eût mieux fait le rôle d'Ariane que fon frère. On peut remarquer, en lifant cette tragédie, qu'il y a moins de folécifmes et moins d'obfcurités que dans les dernières pièces de Pierre Corneille. Le cadet n'avait pas

la force et la profondeur du génie de l'aîné; mais il parlait fa langue avec plus de pureté, quoiqu'avec plus de faibleffe. C'était d'ailleurs un homme d'un très-grand mérite, et d'une vafte littérature; et fi vous exceptez Racine, auquel il ne faut comparer perfonne, il était le feul de fon temps qui fût digne d'être le premier au-deffous de fon frère.

SUR

ARIANE,

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

Vers 1. Je le confeffe, Arcas, ma faibleffe redouble, &c.

Ce rôle d'Oenarus eft vifiblement imité de celui d'Antiochus dans Bérénice, et c'est une mauvaise copie d'un original défectueux par lui-même. De pareils perfonnages ne peuvent être fupportés qu'à l'aide d'une verfification toujours élégante, et de ces nuances de fentiment que Racine feul a connues.

Le confident d'Oenarus avoue que fans doute Ariane eft belle. Oenarus a vu Théfée rendre quelques foins à Mégifte et à Cyane, cela l'a flatté du côté d'Ariane. C'est un amour de comédie dans le ftyle négligé de la comédie. V. 17. Ariane vous charme, et fans doute elle eft belle ;

Ce vers et tous ceux qui font dans ce goût, prouvent affez ce que dit Riccoboni, que la tragédie en France est la fille du roman. Il n'y a rien de grand, de noble, de tragique, à aimer une femme parce qu'elle eft belle. Il faudrait du moins relever ces petiteffes par l'élégance de la poëfie.

Que le lecteur dépouille feulement de la rime les vers fuivans vous sûtes que Théfée avait par le fecours

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