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sent bien fes fautes, et qu'il fe reproche dignement fa faibleffe!

Quoi! des plus chères mains craignant les trahifons, J'ai pris foin de m'armer contre tous les poisons. J'ai fu, par une longue et pénible industrie,

Des plus mortels venins prévenir la furie.

Ah! qu'il eût mieux valu, plus fage et plus heureux, Et repouffant les traits d'un amour dangereux, laisser remplir d'ardeurs empoisonnées

Ne pas

Un cœur déjà glacé par le froid des années!

Quand un homme fe reproche fes fautes avec tant de force et de noblesse, avec un langage fi fublime et fi naturel, on les lui pardonne.

C'eft ainfi que Roxane fe dit à elle-même :

Tu pleures, malheureuse! ah! tu devais pleurer,
Lorfque d'un vain défir à ta perte poussée,
Tu conçus de le voir la première pensée.

de

On ne voit point dans ces excellens ouvrages, héros qui porte un beau feu dans fon fein, de princeffe aimant fa renommée, qui quand elle dit qu'elle aime eft sûre d'être aimée. On n'y fait point un compliment, plus en homme d'efprit qu'en véritable amant; l'absence aux vrais amans n'y eft pas pire que la pefte. Un héros n'y dit point, comme dans Alcibiade, que quand il a troublé la paix d'un jeune cœur, il a cent fois éprouvé qu'un mortel peut goûter un bonheur achevé. Phèdre, dans fon admirable rôle, le chef-d'œuvre de l'efprit humain, et le modèle éternel, mais inimitable, de quiconque voudra jamais écrire en vers; Phedre fe fait plus de reproches que le mari le plus auftère ne pourrait lui en faire. C'eft

ainfi, encore une fois, qu'il faut parler d'amour, ou n'en point parler du tout.

C'eft furtout en lifant ce rôle de Phèdre, qu'on s'écrie avec Defpréaux :

Eh! qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre, malgré foi perfide, inceftueuse,
D'un fi jufte travail noblement étonné,

Ne bénira d'abord le fiècle fortuné,

Qui, rendu plus fameux par tes illuftres veilles,
Vit naître fous ta main ces pompeuses merveilles?

Ces merveilles étaient plus touchantes que pompeufes. Que ceux-là fe font trompés, qui ont dit et répété que Racine avait gâté le théâtre par la tendreffe, tandis que c'eft lui feul qui a épuré ce théâtre, infecté toujours avant lui, et prefque toujours après lui, d'amours poftiches, froids et ridicules, qui déshonorent les fujets les plus graves de l'antiquité! Il vaudrait autant se plaindre du quatrième livre de Virgile, que de la manière dont Racine a traité l'amour. Si on peut condamner en lui quelque chofe, c'est de n'avoir pas toujours mis dans cette paffion toutes les fureurs tragiques dont elle eft fufceptible, de ne lui avoir pas donné toute fa violence, de s'être quelquefois contenté de l'élégance, de n'avoir que touché le cœur, quand il pouvait le déchirer; d'avoir été faible dans prefque tous fes derniers actes. Mais tel qu'il eft, je le crois le plus parfait de tous nos poëtes. Son art eft fi difficile, que depuis lui nous n'avons pas vu une feule bonne tragédie. Il y en a eu feulement quelques-unes en très-petit nombre, dans lesquelles les connaisseurs trouvent des beautés; et, avant lui,

nous n'en avons eu aucune qui fût bien faite du commencement jusqu'à la fin. L'auteur de ce commentaire eft d'autant plus en droit d'annoncer cette vérité, que lui-même s'étant exercé dans le genre tragique, n'en a connu que les difficultés, et n'est jamais parvenu à faire un feul ouvrage qu'il ne regardât comme très-médiocre.

Non-feulement Racine a prefque toujours traité l'amour comme une paffion funefte et tragique, dont ceux qui en font atteints rougiffent; mais Quinault même fentit dans fes opéra que c'est ainfi qu'il faut représenter l'amour.

Armide commence par vouloir perdre Renaud, l'ennemi de fa fecte:

Le vainqueur de Renaud, fi quelqu'un le peut être, Sera digne de moi.

Elle ne l'aime que malgré elle; fa fierté en gémit; elle veut cacher fa faibleffe à toute la terre; elle appelle la Haine à fon fecours :

Venez, Haine implacable!

Sortez du gouffre épouvantable

Où vous faites régner une éternelle horreur.
Sauvez-moi de l'amour, rien n'eft fi redoutable;
Rendez-moi mon courroux, rendez-moi ma fureur,
Contre un ennemi trop aimable.

Il y a même de la morale dans cet opéra. La Haine qu'Armide a invoquée, lui dit :

Je ne puis te punir d'une plus rude peine,
Que de t'abandonner pour jamais à l'amour.

Sitôt que Renaud s'eft regardé dans le miroir fymbolique qu'on lui préfente, il a honte de lui-même; il s'écrie:

Ciel, quelle honte de paraître

Dans l'indigne état où je fuis!

Il abandonne sa maîtresse pour fon devoir fans balancer. Ces lieux communs de morale lubrique que Boileau reproche à Quinault, ne font que dans la bouche des génies féducteurs qui ont contribué à faire tomber Renaud dans le piége.

Si on examine les admirables opéra de Quinault, Armide, Roland, Atis, Théfée, Amadis, l'amour y eft tragique et funefte. C'est une vérité que peu de critiques ont reconnue, parce que rien n'eft fi rare que d'examiner. Y a-t-il rien, par exemple, de plus noble et de plus beau que ces vers d'Amadis?

J'ai choifi la gloire pour guide;

J'ai prétendu marcher fur les traces d'Alcide.
Heureux, fi j'avais évité

Le charme trop fatal dont il fut enchanté !
Son cœur n'eut que trop de tendresse.

Je fuis tombé dans fon malheur;

J'ai mal imité fa valeur,

J'imite trop bien sa faiblesse.

Enfin, Médée elle-même ne rend-elle pas hommage aux mœurs qu'elle brave dans ces vers fi connus?

Le deftin de Médée eft d'être criminelle ;
Mais fon cœur était né pour aimer la vertu.

Voyez fur Quinault, et fur les règles de la tragédie,

la Poëtique de M. Marmontel, ouvrage rempli de goût, de raison et de fcience.

On aurait pu placer ces réflexions au-devant de toute autre pièce que Pulchérie; mais elles fe font préfentées ici, et elles ont diftrait un moment l'auteur des remarques du trifte foin de faire réimprimer des pièces que Corneille aurait dû oublier, qui n'ôtent rien aux grandes beautés de fes ouvrages, mais qu'enfin il eft difficile de pouvoir lire.

PREFACE DE PULCHERIE, PAR CORNEILLE,

Tome VI, page 521.

(A la fin.) J JAUR

URAI de quoi me fatisfaire, fi cet ouvrage est aussi heureux à la lecture qu'il l'a été à la représentation, et fi j'ofe ne vous diffimuler rien, je me flatte assez pour l'espérer.

Il fe flatte beaucoup trop. Cet ouvrage ne fut point heureux à la représentation, et ne le fera jamais à la lecture; puifqu'il n'eft ni intéreffant, ni conduit théâtralement, ni bien écrit. Il s'en faut beaucoup.

On a prétendu que ce grand homme tombé fi bas, n'était pas capable d'apprécier ses ouvrages, qu'il ne favait pas diftinguer les admirables fcènes de Cinna, de Polyeucte, de celles d'Agéfilas et d'Attila. J'ai peine à le croire. Je pense plutôt qu'appefanti par l'âge et par la dernière manière qu'il s'était faite infenfiblement, il cherchait à fe tromper lui-même.

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