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SUR

ANDROMEDE,

Tragédie représentée avec les machines, fur le théâtre royal de Bourbon, en 1650.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

Il paraît par la pièce d'Andromède que Corneille se

L

pliait à tous les genres. Il fut le premier qui fit des comédies dans lesquelles on retrouvait le langage des honnêtes gens de fon temps, le premier qui fit des tragédies dignes d'eux, et le premier encore qui ait donné une pièce en machines qu'on ait pu voir avec plaifir.

On avait représenté le Mariage d'Orphée et d'Eurydice, ou la grande Journée des machines, en 1640. Il y avait de la mufique dans quelques fcènes ; le reste fe déclamait comme à l'ordinaire.

L'Andromède de Corneille eft auffi fupérieure à cet Orphée, que Mélite l'avait été aux comédies du temps: ainfi Corneille fut au-deffus de fes contemporains dans tous les genres qu'il traita.

Il eft vrai que quand on a lu l'Andromède de Quinault, on ne peut plus lire celle de Corneille, de même que les comédies de Molière firent oublier pour jamais Mélite et la Galerie du palais. Il y a pourtant

des beautés dans l'Andromède de Corneille, et on les trouve dans les endroits qui tiennent de la vraie tragédie; par exemple, dans le récit que fait Phorbas, à l'avant-dernière fcène de la pièce.

Cette pièce fut jouée au théâtre du petit Bourbon. Un italien, nommé Torrelli, fit les machines et les décorations. Ce fpectacle eut un grand fuccès. L'opéra a fait tomber absolument toutes les pièces de ce genre; et quand même nous n'euffions point eu d'opéra, l'Andromède ne pouvait fe foutenir quand le goût fut perfectionné.

Andromède était un fi beau fujet d'opéra que, trente-deux ans après Corneille, Quinault le traita fous le titre de Perfée. Ce drame lyrique de Quinault fut comme tout ce qui fortait alors de fa plume, tendre, ingénieux, facile. On retenait par cœur prefque tous les couplets, on les citait, on les chantait, on en fefait mille applications. Ils foutenaient la mufique de Lulli, qui n'était qu'une déclamation notée, appropriée avec une extrême intelligence au caractère de la langue; ce récitatif eft fi beau qu'en paraissant la chofe du monde la plus aifée, il n'a pu être imité par perfonne. Il fallait les vers de Quinault pour faire valoir le récitatif de Lulli, qui demandait des acteurs plutôt que des chanteurs. Enfin, Quinault fut fans contredit, malgré fes ennemis et malgré Boileau, au nombre des grands hommes qui illuftrèrent le fiècle éternellement mémorable de Louis XIV.

SUR ANDROMEDE,

Vers 1.

JE

TRAGEDI E.

PROLOGUE.

Arrête un peu ta course impétueuse ;
Mon théâtre, Soleil, mérite bien tes yeux, &c.

E ne ferai point de remarques détaillées fur ce théâtre qui mérite les yeux du foleil, au lieu de fes regards, ni fur le frein que le foleil tient à fes chevaux; mais je remarquerai que ce n'eft pas Quinault qui confacra le premier ses prologues à la louange de Louis XIV; il ne lui donna même jamais de louanges auffi outrées dans le cours de fes conquêtes que Corneille lui en donne ici. Il n'eft guère permis de dire à un prince qui n'a eu encore aucune occafion de fe fignaler, qu'il eft le plus grand des rois. Alexandre, Cefar et Pompée attachés au char de Louis XIV, avant qu'il ait pu rien faire, révolte un peu le lecteur. Je lui montre Pompée, Alexandre, Céfar,

Mais comme des héros attachés à fon char.

C'eft cet endroit que Boileau voulait noter quand il dit à Louis XIV:

Ce n'eft pas qu'aifément, comme un autre, à ton char
Je ne puffe attacher Alexandre et Céfar.

V. 79. Louis eft le plus jeune et le plus grand des rois ;
La majefté qui déjà l'environne

Charme tous fes François ;

Il eft lui feul digne de fa couronne.

On prononçait alors françois, anglois, ce qui était

très-dur à l'oreille. On dit aujourd'hui anglais et français; mais les imprimeurs ne se font pas encore défaits du ridicule ufage d'imprimer avec un o ce qu'on prononce avec un a. Les Italiens ont eu plus de goût et de hardiesse; ils ont fupprimé toutes les lettres qu'ils ne prononcent pas.

V. 83. Et quand même le ciel l'aurait mise à leur choix,
Il ferait le plus jeune et le plus grand des rois..
Racine a heureusement imité cet endroit dans fa
Bérénice :

Parle, peut-on le voir fans penser comme moi,
Qu'en quelque obfcurité que le ciel l'eût fait naître,
Le monde en le voyant eût reconnu fon maître ?

C'eft là qu'on voit l'homme de goût et l'écrivain aussi délicat qu'élégant; il fait parler Bérénice de fon amant : ce n'eft point une louange vague, le sentiment seul agit, l'éloge part du cœur. Quelle prodigieufe différence entre ces vers charmans et ce refrain : Il est le plus jeune et le plus grand des rois!

ACTE PREMI E R.

SCENE PREMIERE.

Vers 5. Puifque vous avez vu le fujet de ce crime,
Que chaque mois expie une telle victime.

LB fujet de ce crime, ce crime glorieux, force jeux, ces

miroirs vagabonds, et toute cette longue et inutile defcription de la jaloufie des Néréides, qui fe choififfent fix fois, pouvaient être les défauts du temps; et il était permis à Corneille de s'égarer dans un genre qui n'était pas le fien. Ce genre ne fut perfectionné par Quinault que

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