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Perpenna dans la fcène précédente. On a déjà obfervé que l'ironie doit rarement être employée dans le tragique; mais dans un moment qui doit inspirer le trouble et la terreur, elle est un défaut capital.

Ariftie ne fait ici qu'un rôle inutile, et peu digne de la femme de Pompée. On a tué Sertorius qu'elle n'aimait point; elle se trouve dans les mains de Perpenna; elle ne fert qu'à faire remarquer combien elle a fait un voyage inutile en Espagne.

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V. 19. Et vous reconnaîtrez, par leurs perfides traits,

Combien Rome pour vous a d'ennemis fecrets...

Des ennemis pour quelqu'un, c'eft un folécifme et un barbarisme.

V. 21. Qui tous pour Aristie enflammés de vengeance
Avec Sertorius étaient d'intelligence.

Enflammés de vengeance pour, même faute.

V. 24. Madame, il eft ici votre maître et le mien.

Quand même la fituation ferait intéressante, théâtrale et terrible, elle ne pourrait émouvoir, parce que Perpenna n'eft là qu'un miférable, qu'un vil délateur; et qu'on ne peut jouer un rôle plus bas et plus lâche.

V. 34.

Seigneur, qu'allez-vous faire? —
Montrer d'un tel fecret ce que je veux favoir.

Cette action de brûler des lettres eft belle dans l'hiftoire et fait un mauvais effet dans une tragédie. On apporte une bougie, autrefois on apportait une chandelle. V. 40. Je n'y remettrai point le carnage et l'horreur.

On ne remet point le carnage dans une ville comme on y remet la paix. Le carnage et l'horreur, termes vagues et ufés qu'il faut éviter. Aujourd'hui tous nos mauvais verfificateurs emploient le carnage et l'horreur à la fin d'un vers, comme les armes et les alarmes pour rimer.

V. dern. Je fuis maître, je parle; allez, obéiffez.

Le froid qui règne dans ce dénouement, vient principalement du rôle bas et méprifable que joue Perpenna.. Il eft affez lâche pour venir accufer la femme de Pompée d'avoir voulu faire des ennemis à fon mari dans le temps de fon divorce, et affez imbécille pour croire que Pompée lui en faura gré dans le temps qu'il reprend fa femme.

Un défaut non moins grand, c'eft que cette accufation contre Ariftie eft un faible épisode auquel on ne s'attend point.

C'eft une belle chose dans l'hiftoire que Pompée brûle les lettres fans les lire, mais ce n'eft point du tout une chofe tragique; ce qui arrive dans un cinquième acte, fans avoir été préparé dans les premiers, ne fait jamais une impreffion violente.

Ces lettres font une chofe abfolument étrangère à la pièce. Ajoutez à tous ces défauts contre l'art du théâtre, que le fupplice d'un criminel, et furtout d'un criminel méprifable, ne produit jamais aucun mouvement dans l'ame; le spectateur ne craint ni n'espère. Il

n'y

n'y a point d'exemple d'un dénouement pareil qui ait remué l'ame, et il n'y en aura point. Ariftote avait bien raison, et connaiffait bien le cœur humain, quand il difait que le fimple châtiment d'un coupable ne pouvait être un fujet propre au théâtre.

Encore une fois, le cœur veut être ému; et quand on ne le trouble pas, on manque à la première loi de la tragédie.

Viriate parle noblement à Pompée; mais des complimens finiffent toujours une tragédie froidement. Toutes ces vérités font dures, je l'avoue; mais à qui dures? à un homme qui n'eft plus. Quel bien lui ferai-je en le flattant? quel mal en difant vrai? Ai-je entrepris un vain panégyrique ou un ouvrage utile ? Ce n'eft pas pour lui. que je réfléchis et que j'écris ce que m'ont appris cinquante ans d'expérience, c'eft pour les auteurs et pour les lecteurs. Quiconque ne connaît pas les défauts, eft incapable de connaître les beautés; et je répète ce que j'ai dit dans l'examen de prefque toutes ces pièces, que la vérité eft préférable à Corneille, et qu'il ne faut pas tromper les vivans par respect pour les morts. Je ne fuis pas même retenu par la crainte de me voir foupçonné de fentir un plaifir secret à rabaiffer un grand homme, dans la vaine idée de m'égaler à lui en l'aviliffant je me crois trop au-deffous de lui. Je dirai feulement ici que je parlerais avec plus de hardieffe et de force, fi je ne m'étais pas exercé quelquefois dans l'art de Corneille.

J'ai dit ma pensée avec l'honnête liberté dont j'ai fait profeffion toute ma vie, et je fens fi vivement ce que le père du théâtre a de fublime, qu'il m'est permis plus qu'à perfonne de montrer en quoi il n'eft pas imitable.

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SCENE VII

V. 25. Je renonce à la guerre ainfi qu'à l'hymenée.

Cette tirade de Viriate eft très à fa place, pleine de raison et de nobleffe.

SCENE VIII et dernière.

V. 9. Allons donner notre ordre à des pompes funèbres.

Donner un ordre à des pompes! et qui pis eft notre ordre.

SUR

SOPHONIS BE,

Tragédie repréfentée en 1663.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

Il y a des points d'hiftoire qui paraissent au premier

L

coup d'œil de beaux fujets de tragédie, et qui au fond font prefque impraticables: telles font, par exemple, les catastrophes de Sophonisbe et de Marc-Antoine. Une des raifons, qui probablement excluront toujours ces fujets du théâtre, c'eft qu'il eft bien difficile que le héros n'y foit avili. Maffiniffe, obligé de voir fa femme menée en triomphe à Rome, ou de la faire périr pour la fouftraire à cette infamie, ne peut guère jouer qu'un rôle défagréable. Un vieux triumvir, tel qu'Antoine, qui se perd pour une femme telle que Cléopâtre, eft encore moins intéreffant, parce qu'il eft plus méprifable.

La Sophonisbe de Mairet eut un grand fuccès; mais c'était dans un temps où non-feulement le goût du public n'était point formé, mais où la France n'avait encore aucune tragédie fupportable.

Il en avait été de même de la Sophonisbe du Triffino; et celle de Corneille fut oubliée au bout de quelques années; elle essuya dans fa nouveauté beaucoup de critiques, et eut des défenfeurs célèbres; mais il paraît qu'elle ne fut ni bien attaquée ni bien défendue.

Le point principal fut oublié dans toutes ces

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