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très-accoutumé aux dangers d'une grandeur acquife par les crimes, et à ces amertumes cachées fous mille douceurs.

V. 3. Et celui dont le ciel pour un fceptre a fait choix,
Jufqu'à ce qu'il le porte, en ignore le poids.

Jufqu'à ce qu'il le porte; on doit, autant qu'on le peut, éviter ces cacophonies. Elles font fi défagréables à l'oreille, qu'on doit même y avoir une grande attention dans la profe. Que fera-ce donc dans la poëfie? tout y doit être coulant et harmonieux.

V. 5.

Mille et mille douceurs y femblent attachées

Qui ne font qu'un amas d'amertumes cachées ;
Qui croit les pofféder les fent s'évanouir.

Si ces douceurs font des amertumes, comment se plaint-on de les fentir s'évanouir? Quand on veut examiner les vers français avec des yeux attentifs et févères, on eft étonné des fautes qu'on y trouve.

V. 9.

Surtout, qui comme moi d'une obscure naissance,

Monte par la révolte à la toute-puiffance,

Qui de fimple foldat à l'empire élevé,

Ne l'a que par le crime acquis et confervé ;

Autant que fa fureur s'eft immolé de têtes,
Autant deffus la fienne il croit voir de tempêtes.

Cette phrase n'eft pas correcte, qui comme moi s'est élevé au trône, il croit voir des tempêtes; cet il eft une faute, furtout quand ce qui comme eft fi éloigné.

V. 13. Autant que fa fureur s'eft immolé de têtes, &c.

Cela eft en même temps négligé et forcé; négligé, parce que ce mot vague de tempêtes n'eft là que pour la rime; forcé, parce qu'il eft difficile de voir autant de tempêtes qu'on a fait de crimes.

V. 15. Et comme il n'a femé qu'épouvante et qu'horreur,
Il n'en recueille enfin que trouble et que terreur.

C'eft le fond de la même penfée exprimé par une autre figure. On doit éviter toutes ces amplifications. Ce tour de phrafe, comme il n'a femé, comme il voit en nous, &c. eft très - fouvent employé par Corneille; il ne faut pas le prodiguer, parce qu'il eft profaïque.

V. 18. Mon trône n'eft fondé que fur des morts illuftres;
Et j'ai mis au tombeau, pour régner fans effroi

Tout ce que j'en ai vu de plus digne que moi.

Ce dernier vers eft beau; je ne fais cependant fi un empereur, qui a eu assez de mérite et de courage pour parvenir à l'empire du rang de fimple foldat, avoue si aifément qu'il a immolé tant de personnes plus dignes que lui de la couronne; il doit les avoir crues dangereuses, mais non plus dignes que lui de la pourpre. En général, il n'eft pas dans la nature qu'un fouverain s'aviliffe ainfi foi-même ; c'est à quoi tous les jeunes gens qui travaillent pour le théâtre doivent prendre garde; les mœurs doivent toujours être vraies.

V. 26. Byzance ouvre, dis-tu, l'oreille à fes menées.

On ouvre l'oreille à un bruit, et non à des menées; on les découvre.

V. 29. Impatient déjà de se laisser séduire

Au premier impofteur armé pour me détruire.

Se laiffer féduire à quelqu'un n'eft plus d'ufage, et au fond c'est une faute; je me suis laissé aimer, perfuader, avertir par vous; et non pas, aimer, perfuader, avertir à vous. V. 31. Qui, s'ofant revêtir de ce fantôme aimé...

Peut-on se vêtir d'un fantôme? l'image eft-elle affer jufte? comment pourrait-on fe mettre un fantôme fur

le corps? Toute métaphore doit être une image qu'on puisse peindre.

V. 32. Voudra fervir d'idole à fon zèle charmé.

Quelles expreffions forcées! Pour fentir à quel point tout cela eft mal écrit, mettez en profe ces vers :

Le peuple eft impatient de se laisser féduire au premier impofteur armé pour me détrôner, qui, s'ofant revêtir d'un fantôme aimé, voudra fervir d'idole à fon zèle charmé.

Entendra-t-on un tel langage? ne fera-t-on pas révolté de cette foule d'impropriétés et de barbarifmes? Le févère Boileau a dit :

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Eft toujours, quoiqu'il faffe, un méchant écrivain.

Mais fouvenons-nous auffi que lorfque Corneille fesait les beaux morceaux du Cid, des Horaces, de Cinna, de Pompée, il était un admirable écrivain.

V. 33. Mais fais-tu fous quel nom ce fâcheux bruit s'excite?

Un bruit ne s'excite point fous un nom. Qu'il eft difficile de parler en vers avec jufteffe! mais que cela eft néceffaire !

V. 37. Sa mort eft trop certaine et fut trop remarquable. . .
Il n'avait que fix mois, et lui perçant le flanc,

On en fit dégoutter plus de lait que de fang;

expreffions trop familières, trop profaïques ; et lui perçant le flanc eft un folécisme; il faut en lui perçant.

V. 41. Et ce prodige affreux, dont je tremblai dans l'ame,

Fut auffitôt fuivi de la mort de ma femme.

Ce prodige n'eft point affreux, c'eft feulement une croyance puérile, affez commune autrefois, que les enfans au berceau avaient du lait dans les veines. Phocas

même l'infinue affez en difant: Il n'avait que fix mois, et on en fit dégoutter plus de lait que de fang. Cette conjonction et fignifie évidemment que ce lait était une fuite, une preuve de fon enfance, et par là même exclut le prodige; mais fi c'en était un, que fignifierait-il? à quoi fervirait-il?

V. 45. Il fut livré par elle, à qui pour récompense

Je donnai de mon fils à gouverner l'enfance, &t.

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Je donnai à Léontine fon enfance à gouverner. - Juge par là combien ce conte eft ridicule. Tout eft jufqu'ici de la profe un peu commune et négligée. Le milieu entre l'ampoulé et le familier eft difficile à tenir.

V. 51. Mais avant qu'à ce conte il fe laisse emporter,
Il vous eft trop aifé de le faire avorter.

On ne se laisse point emporter à un conte; on fait avorter des deffeins, et non pas des contes.

V. 53. Quand vous fîtes périr Maurice et fa famille,

Il vous en plut, Seigneur, réserver une fille...

Cela eft du ftyle d'affaires. Il plut à votre majesté donner tel ordre; il n'y a pas là de faute contre la langue, mais il y en a contre le tragique.

V. 55. Et réfoudre dès-lors qu'elle aurait pour époux
Ce prince destiné pour régner après vous.

Le peuple en fa perfonne aime encore et révère, &c.

Cette perfonne le rapporte à ce prince, et c'eft de cette fille réfervée, de Pulchérie, que Crifpe veut parler.

V. 65. Et n'eût été Léonce en la dernière guerre...

Ces expreffions font bannies aujourd'hui, même du ftyle familier.

V. 66. Ce deffein avec lui ferait tombé par terre.

On a déjà repris ailleurs ces façons de parler vicieuses. Toute métaphore qui ne forme point une image vraie et fenfible, eft mauvaise; c'eft une règle qui ne souffre point d'exception. Or, quel peintre pourrait représenter une idée qui tombe par terre?

V. 68. Martian demeurait ou mort ou prisonnier.

On ne peut dire qu'un homme ferait demeuré mort fi on ne l'avait fecouru. Ces mots, demeurer mort, fignifient qu'il était mort en effet. On peut bien dire qu'on demeurerait eftropié, parce qu'un eftropié peut guérir ; qu'on demeurerait prisonnier, parce qu'un prisonnier peut être délivré; mais non pas qu'on demeurerait mort, parce qu'un mort ne reffuscite pas.

V. 71. Et qui, réuniffant l'une et l'autre maison,

Tire chez vous l'amour qu'on garde pour fon nom.

On a déjà repris ailleurs cette expreffion tirer l'amour ; on ne tire l'amour chez perfonne.

V. 74. Si pour en voir l'effet tout me devient contraire.

Tout me devient contraire pour en voir l'effet, n'eft pas français ; c'eft un folécisme.

V. 77. Et les averfions entre eux deux mutuelles

n'eft

Les font d'intelligence à fe montrer rebelles ;

pas français. Des averfions qui font d'intelligence ! que de barbarifmes!

V. 81. Le fouvenir des fiens, l'orgueil de fa naissance

L'emporte, à tous momens, à braver ma puiffance.

L'emporte à braver, autre barbarisme.

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