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ordinaire, donnant à Jason des conseils de confidente,

et lui difant:

C'eft à vous d'achever un fi doux changement;
Un foupir pouffé jufte, en fuite d'une excufe,
Perce un cœur bien avant, quand lui-même il s'accufe...
JASON lui répond:

Déeffe, quel encens. ....

JUNON.

Traitez-moi de princeffe,

Jafon, et laiffez-là l'encens et la déesse....
Mais cette paffion est-elle en vous fi forte,
Qu'à tous autres objets elle ferme la porte?

C'est dans cette tragédie qu'on retrouve encore ce goût des pointes et des jeux de mots qui était à la mode dans prefque toutes les cours, et qui mêlait quelquefois du ridicule à la politeffe introduite par la mère de Louis XIV, et par les hôtels de Longueville, de la Rochefoucauld et de Rambouillet; c'est ce mauvais goût juftement frondé par Boileau dans ces vers:

Toutefois à la cour les turlupins reftèrent,
Infipides plaifans, bouffons infortunės,
D'un jeu de mots groffier partifans furannés.

Il nous apprend que la tragédie elle-même fut infectée de ce défaut :

Le madrigal d'abord en fut enveloppé ;
La tragédie en fit fes plus chères délices.

Ce dernier vers exagère un peu trop. Il y a en effet quelques jeux de mots dans Corneille, mais ils font rares; le plus remarquable eft celui d'Hypfipile qui,

dans la quatrième fcène du troifième acte, dit à Médée fa rivale, en fefant allufion à sa magie:

Je n'ai que

des attraits, et vous avez des charmes.

Médée lui répond :

C'eft beaucoup en amour, que de favoir charmer.

Médée fe livre encore au goût des pointes dans fon monologue, où elle s'adreffe à la Raifon contre l'Amour, en lui difant:

Donne encor quelques lois à qui te fait la loi:
Tyrannise un tyran qui triomphe de toi ;
Et par un faux trophée ufurpe fa victoire....
Sauve tout le déhors d'un honteux esclavage
Qui t'enlève tout le dedans.

Le ftyle de la Toifon d'or eft fort au-deffous de celui d'Oedipe; il n'y a aucun trait brillant qu'on y puiffe remarquer; ainfi le lecteur permettra qu'on ne faffe aucune note fur cet ouvrage.

SUR SERTORIUS,

Tragédie représentée en 2662.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

APRÈS tant de tragédies peu dignes de Corneille,

en voici une où vous retrouvez fouvent l'auteur de Cinna; elle mérite plus d'attention et de remarques que les autres. L'entrevue de Pompée et de Sertorius eut le fuccès qu'elle méritait, et ce fuccès réveilla tous fes ennemis. Le plus implacable était alors l'abbé d'Aubignac, homme célèbre en fon temps, et que fa Pratique du théâtre, toute médiocre qu'elle eft, fefait regarder comme un légiflateur en littérature. Cet abbé, qui avait été long-temps prédicateur, s'était acquis beaucoup de crédit dans les plus grandes maifons de Paris. Il était bien douloureux, fans doute, à l'auteur de Cinna, de voir un prédicateur et un homme de lettres confidérable, écrire à madame' la ducheffe de Retz, à l'abri d'un privilége du roi, des chofes qui auraient flétri un homme moins connu et moins eftimé que Corneille.

,,Vous êtes poëte, et poëte de théâtre (dit-il à ce grand ,, homme dans fa quatrième differtation adreffée à

madame de Retz); vous êtes abandonné à une vile , dépendance des hiftrions; votre commerce ordi,,naire n'est qu'avec leurs portiers; vos amis ne font " que des libraires du palais. Il faudrait avoir perdu ,, le sens, auffi-bien que vous, pour être en mauvaise ,, humeur du gain que vous pouvez tirer de vos veilles,

,, veilles, et de vos empreffemens auprès des hiftrions " et des libraires. Il vous arrive affez fouvent,

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lorfqu'on vous loue, que vous n'êtes plus affamé de gloire, mais d'argent. Défaites-vous, M. de " Corneille, de ces mauvaises façons de parler, qui "font encore plus mauvaises que vos vers -...... "J'avais cru, comme plufieurs, que vous étiez le " poëte de la critique de l'Ecole des femmes, et que " Licidas était un nom déguifé comme celui de " M. de Corneille; car vous êtes, fans doute, le mar" quis de Mafcarille, qui piaille toujours, qui ricane " toujours, qui parle toujours, et ne dit jamais rien " qui vaille, &c. Ces horribles platitudes trouvaient alors des protecteurs, parce que Corneille était vivant. Jamais les Zoile, les Gacon, les Frèron n'ont vomi de plus grandes indignités. Il attaqua Corneille fur sa famille, sur sa personne; il examina jusqu'à fa voix, fa démarche, toutes fes actions, toute fa conduite dans fon domestique; et dans ces torrens d'injures il fut fecondé par les mauvais auteurs, cę que l'on croira fans peine.

J'épargne à la délicateffe des honnêtes gens, et à des yeux accoutumés à ne lire que ce qui peut inftruire et plaire, toutes ces perfonnalités, toutes ces calomnies que répandirent contre ce grand homme ces fefeurs de brochures et de feuilles, qui déshonorent la nation, et que l'appas du plus léger et du plus vil gain engage encore plus que l'envie, à décrier tout ce qui peut faire honneur à leur pays, à infulter le mérite et la vertu, à vomir impofture fur impoffture, dans le vain espoir qu'un de leurs menfonges pourra venir enfin aux oreilles des hommes en place, Comment. Jur Corneille. Tome II.

P

et fervir à perdre ceux qu'ils ne peuvent rabaiffer. On alla jufqu'à lui imputer des vers qu'il n'avait point faits; ressource ordinaire de la basse envie, mais refsource inutile; car ceux qui ont affez de lâcheté pour faire courir un ouvrage fous le nom d'un grand homme, n'ayant jamais affez de génie pour l'imiter, l'imposture eft bientôt reconnue.

Mais enfin, rien ne put obfcurcir la gloire de Corneille, la feule chofe prefque qui lui reftât. Le public, de tous les temps, et de toutes les nations, toujours jufte à la longue, ne juge les grands hommes que par leurs bons ouvrages, et non par ce qu'ils ont fait de médiocre ou de mauvais.

Les belles fcènes du Cid, les admirables morceaux des Horaces, les beautés nobles et fages de Cinna, le fublime de Cornélie, les rôles de Sévère et de Pauline, le cinquième acte de Rodogune, la conférence de Sertorius et de Pompée, tant de beaux morceaux tous produits dans un temps où l'on fortait à peine de la barbarie, affureront à Corneille une place parmi les plus grands hommes jufqu'à la dernière poftérité.

Ainfi l'excellent Racine a triomphé des injuftes dégoûts de madame de Sévigné, des farces de Subligni, des méprifables critiques de Vifé, des cabales des Boyer et des Pradon. Ainfi Molière fe foutiendra toujours, et fera le père de la vraie comédie, quoique fes pièces ne foient pas fuivies comme autrefois par la foule. Ainfi les charmans opéra de Quinault feront toujours les délices de quiconque eft fenfible à la douce harmonie de la poëfie, au naturel et à la vérité de l'expreffion, aux grâces faciles du ftyle; quoique ces mêmes opéra aient toujours été en butte aux fatires

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