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Et je me trouve encor la main qui crayonna
L'ame du grand Pompée, et l'efprit de Cinna.
Choifis-moi feulement quelque nom dans l'histoire
Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire,
(g) Quelque nom favori qu'il te plaife arracher

(h)

A la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher:
Soit qu'il faille ternir ceux d'Enée et d'Achille,
Par un noble attentat fur Homère et Virgile;
Soit qu'il faille obfcurcir par un dernier effort
Ceux que j'ai fur la fcène affranchis de la mort;
Tu me verras le même, et je te ferai dire,
Si jamais pleinement ta grande ame m'infpire,
Que dix luftres et plus n'ont pas tout emporté
Cet affemblage heureux de force et de clarté,
Ces preftiges fecrets de l'aimable impofture
Qu'à l'envi m'ont prêtés et l'art et la nature.
N'attends pas toutefois que j'ofe m'enhardir,
Ou jusqu'à te dépeindre, ou jusqu'à t'applaudir;
Ce ferait préfumer que d'une feule vue
J'aurais vu de ton cœur la plus vafte étendue ;
Qu'un moment fuffirait à mes débiles yeux

Pour démêler en toi ces dons brillans des cieux,

(g) Quelque nom favori, &c.

Il eût fallu que ces noms favoris euffent été célébrés par des vers tels que ceux des Horaces et de Cinna.

(h) N'attends pas toutefois que j'ofe m'enhardir, &c.

On eft bien plus fâché encore qu'un homme tel que Corneille n'ofe s'enhardir jufqu'à applaudir un autre homme, et que la plus vafte étendue du cœur d'un procureur - général de Paris ne puisse être vue d'une feule vue. Il eût mieux valu, à mon avis, pour l'auteur de Cinna, vivre à Rouen avec du pain bis et de la gloire, que de recevoir de l'argent d'un fujet du roi, et de lui faire de fi mauvais vers pour fon argent. On ne peut trop exhorter les hommes de génie à ne jamais proftituer ainfi leurs talens. On n'eft pas toujours le maître de fa fortune; mais on l'eft toujours de faire respecter fa médiocrité, et même fa pauvreté.

De

De qui l'inépuifable et perçante lumière,
Sitôt que tu parais fait baiffer la paupière.
J'ai déjà vu beaucoup en ce moment heureux :
Je t'ai vu magnanime, affable, généreux ;
Et ce qu'on voit à peine après dix ans d'excuses,
Je t'ai vu tout d'un coup libéral pour les muses.
Mais pour te voir entier, il faudrait un loifir
Que tes délassemens daignaffent me choifir.
C'eft lors que je verrais la faine politique
Soutenir par tes foins la fortune publique ;
Ton zèle infatigable à fervir ton grand roi,
Ta force et ta prudence à régir ton emploi ;
C'eft lors que je verrais ton courage intrépide
Unir la vigilance et la vertu folide;
Je verrais cet illuftre et haut difcernement,
Qui te met au-deffus de tant d'accablement ;
Et tout ce dont l'aspect d'un aftre falutaire
Pour le bonheur des lys t'a fait dépofitaire.
Jufque-là ne crains pas que je gâte un portrait,
Dont je ne puis encor tracer qu'un premier trait ;
Je dois être témoin de toutes ces merveilles,
Avant que d'en permettre une ébauche à mes veilles :
Et ce flatteur efpoig fera tous mes plaifirs,
Jufqu'à ce que l'effet fuccède à mes défirs.
Hâte-toi cependant de rendre un vol fublime
Au génie amorti que ta bonté ranime,
Et dont l'impatience attend pour se borner,
Tout ce que tes faveurs lui voudront ordonner.

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AVIS DE CORNEILLE AU LECTEUR.

Tome V,

pag.11. A1 connu que ce qui avait paffé pour miraculeux dans ces fiècles éloignés, pourrait sembler horrible au nôtre, et que cette éloquente et curieufe defcription de la manière dont ce malheureux prince fe crève les yeux, et le fpectacle de ces mêmes yeux crevés, dont le fang lui diftille fur le vifage, qui occuppe tout le cinquième acte chez ces incomparables originaux, ferait foulever la délicateffe de nos dames, qui compofent la plus belle partie de notre auditoire, et dont le dégoût attire aifément la cenfure de ceux qui les accompagnent.

Cette éloquente defcription réuffirait fans doute beaucoup, fi elle était dans ce ftyle mâle et terrible, et en mêmetemps pur et exact, qui caractérise Sophocle. Je ne fais même si aujourd'hui que la scène eft libre et dégagée de tout ce qui la défigurait, on ne pourrait pas faire paraître Oedipe tout fanglant, comme il parut fur le théâtre d'Athènes. La difpofition des lumières, Oedipe ne paraiffant que dans l'enfoncement pour ne pas trop offenser les yeux, beaucoup de pathétique dans l'acteur, et peu de déclamation dans l'auteur, les cris de Jocafte, et les douleurs de tous les Thébains, pourraient former un fpectacle admirable. Les magnifiques tableaux dont .Sophocle a orné fon Oedipe, feraient fans doute le même effet que les autres parties du poëme firent dans Athènes. Mais du temps de Corneille, nos jeux de paume étroits, dans lefquels on représentait ses pièces, les vêtemens ridicules des acteurs, la décoration auffi mal entendue que ces vêtemens, excluaient la magnificence d'un fpectacle véritable, et réduisaient la tragédie à de fimples converfations, que Corneille anima quelquefois par le feu de fon génie.

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Page 12. Je n'ai fait aucune pièce de théâtre où fe trouve tant d'art qu'en celle-ci, bien que ce ne foit qu'un ouvrage de deux mois.

Il eût bien mieux valu que c'eût été l'ouvrage de deux ans, et qu'il ne fût refté prefque rien de ce qui fut fait en deux mois.

Travaillez à loifir, quelque ordre qui vous preffe,

Et ne vous piquez point d'une folle vîteffe.

Il femble que Fouquet ait commandé à Corneille une tragédie pour lui être rendue dans deux mois, comme on commande un habit à un tailleur, ou une table à un menuifier. N'oublions pas ici de faire fentir une grande vérité : Fouquet n'eft plus connu aujourd'hui que par un malheur éclatant, et qui même n'a été célèbre que parce que tout le fut dans le fiècle de Louis XIV; l'auteur de Cinna, au contraire, fera connu à jamais de toutes les nations, et le sera même, malgré fes dernières pièces et malgré fes vers à Fouquet, et j'ofe dire encore malgré Oedipe. C'est une chofe étrange que le difficile et concis la Bruyère, dans fon parallèle de Corneille et de Racine, ait dit les Horaces et Oedipe ; mais il dit auffi Phèdre et Pénélope. Voilà comme l'or et le plomb font confondus fouvent.

On difait Mignard et le Brun. Le temps feul apprécie, et souvent ce temps eft long.

SUR OEDIPE,

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE

PREMIER E.

Vers 3. La gloire d'obéir n'a rien qui me foit doux,

Lorfque vous m'ordonnez de m'éloigner de vous.

JAMAIS la malheureufe habitude de tous les auteurs Français, de mettre fur le théâtre des conversations amoureuses, et de rimer les phrafes des romans, paru plus condamnable que quand elle force Corneille à débuter dans la tragédie d'Oedipe, par faire dire à Théfée qu'il eft un fidelle amant, mais qu'il fera un rebelle aux ordres de fa maîtreffe, fi elle lui ordonne de fe féparer d'elle.

V. 5. Quelque ravage affreux qu'étale ici la pefte,

L'abfence aux vrais amans eft encor plus funefte,

On ne revient point de sa surprise, à cette absence qui eft pour les vrais amans pire que la pefte. On ne peut concevoir ni comment Corneille a fait ces vers, ni comment il n'eut point d'amis pour les lui faire rayer, ni comment les comédiens ofèrent les dire.

V. 7. Et d'un fi grand péril l'image s'offre en vain,
Quand ce péril douteux épargne un mal certain.

Ce péril.douteux, c'eft la pefte; ce mal certain, c'eft l'absence de l'objet aimé.

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