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ACTE TROISIEM E.

SCENE PREMIERE.

Vers 5. Il y va de fa vie, et la jufte colère

Où jettent cet amant les mépris de la mère,
Veut punir fur le fang de ce fils innocent
La dureté d'un cœur fi peu reconnaissant.

C'est a vous d'y penfer; tout le choix qu'on vous donne
C'eft d'accepter pour lui la mort, ou la couronne.
Son fort eft en vos mains; aimer, ou dédaigner,

Le va faire périr, ou le faire règner.

CES ES vers forment absolument la même fituation que celle d'Andromaque. Il est évident que Racine a tiré fon or de cette fange. Mais, ce que Racine n'eût jamais fait, Corneille introduit Rodelinde propofant à Grimoald d'égorger le fils qu'elle a de fon mari vaincu par ce même Grimoald; elle prétend qu'elle l'aidera dans ce crime, et cela dans l'efpérance de rendre Grimoald odieux à fes peuples. Cette feule atrocité abfurde aurait fuffi pour faire tomber une pièce d'ailleurs passablement faite ; mais le rôle du mari de Rodelinde eft fi révoltant et fi ennuyeux à la fois, et tout le refte eft fi mal inventé, fi mal conduit et fi mal écrit, qu'il eft inutile de remarquer un défaut dans une pièce qui n'eft remplie que de défauts. Mais, me dira-t-on, vous faites un commentaire fur Corneille, et vous remarquez fes fautes, et vous l'appelez grand homme, et vous ne le montrez que petit quand il eft en concurrence avec Racine? Je réponds qu'il eft grand homme dans Cinna, et non Pertharite et dans fes autres mauvaises pièces; je réponds qu'un commentaire n'eft pas un panégyrique, mais un

examen de la vérité; et qui ne fait pas réprouver le mauvais, n'eft pas digne de fentir le bon.

On peut encore me dire : Vous faites ici de Racine un plagiaire qui a pillé dans Corneille les plus beaux endroits d'Andromaque. Point du tout; le plagiaire eft celui qui donne pour fon ouvrage ce qui appartient à un autre : mais fi Phidias eût fait fon Jupiter olympien de quelque ftatue informe d'un autre sculpteur, il aurait été créateur et non plagiaire.

Je ne ferai plus d'autre remarque fur ce malheureux Pertharite; on n'a befoin de commentaire que fur les ouvrages où le bon eft mêlé continuellement avec le mauvais. Il faut que ceux qui veulent se former le goût apprennent foigneufement à diftinguer l'un de l'autre.

SUR OEDIPE,

TRAGEDIE REPRESENTÉE EN 1659.

Piéces imprimées au-devant de la tragédie d'Oedipe, tome V, page 3.

EPITAPHE

Sur la mort de damoiselle Elifabeth Ranquet, femme de M. du Chevreul, écuyer, feigneur d'Eflurnville. (1)

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Avait au Créateur uni la créature,

Et marchant fur la terre elle était dans les cieux.

Les pauvres bien mieux qu'elle ont fenti fa richesse.'

L'humilité, la peine, étaient fon allégreffe ;

Et fon dernier foupir fut un soupir d'amour.

Paffant, qu'à fon exemple un beau feu te transporte,

Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,

Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la forte.'

(1) On trouve cette épitaphe dans la vie de cette béate, imprimée à Paris pour la première fois en 1655, et, pour la feconde fois, en 1660, chez Charles Savreux.

Ce fonnet fut imprimé avec Oedipe dans la première édition de cette tragédie; je ne fais pas pourquoi,

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VERS

Préfentés à monfeigneur le procureur-général Fouquet, Jurintendant des finances. (1)

(2) LAISSE

AISSE aller ton effor jufqu'à ce grand génie,
Qui te rappelle au jour dont les ans t'ont bannie
Mufe, et n'oppose plus un filence obstiné
A l'ordre furprenant que fa main t'a donné.
(b) De ton âge importun la timide faiblesse

A trop et trop long-temps déguisé ta paresse,
Et fourni des couleurs à la raifon d'état
(c) Qui mutine ton cœur contre le fiècle ingrat.

L'ennui de voir toujours fes louanges frivoles

Rendre à tes grands travaux (d) paroles pour paroles,

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( 1 ) Imprimés à la tête de l'Oedipe, Paris 1657, in-12. Ce fut M. Fouquet qui engagea Corneille à faire cette tragédie. Si le public (dit ce grand poëte) a reçu quelque fatisfaction de ce poëme, et s'il en reçoit encore de ceux de cette nature et de ma façon, qui pourront le suivre, c'est à lui ,, qu'il en doit imputer le tout puifque fans fes commandemens je n'aurais jamais fait l'Oedipe.,, Dans l'avis au lecteur qui eft à la tête de la tragédie, de l'édition que j'ai indiquée au commencemen

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1

(a) Laiffe aller ton effor jusqu'à ce grand génie.

e cette note.

Ce grand génie n'était pas Nicolas Fouquet, c'était Pierre Corneille, malgré Pertharite, et malgré quelques pièces affez faibles, et malgré Oedipe méme.

(b) De ton âge importun la timide faiblesse.

Il avait cinquante-fix ans ; c'était l'âge où Milton fefait fon poëme épique.

(c) Qui mutine ton cœur contre le fiècle ingrat.

Il eût dû dire que le peu de juftice qu'on lui avait rendu l'avait dégoûté. Ploravêre fuis non respondere favorem fperatum meritis: mais le dégoût d'un poëte n'eft pas une raison d'état.

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Il fe plaint qu'ayant trafiqué de la parole on ne lui a donné que des louanges. Boileau a dit bien plus noblement :

Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers, &c.

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(e) Et le ftérile honneur d'un éloge impuiffant

Terminer fon accueil le plus reconnaissant ;
Ce légitime ennui qu'au fond de l'ame excite
L'excufable fierté d'un peu de vrai mérite,
Par un jufte dégoût, ou par reffentiment,
Lui pouvait de tes vers envier l'agrément :
Mais aujourd'hui qu'on voit un héros magnanime
Témoigner pour ton nom une tout autre estime,
Et répandre l'éclat de fa propre bonté
Sur l'endurciffement de ton oifiveté ;
Il te ferait honteux d'affermir ton filence
Contre une fi preffante et douce violence;
Et tu ferais un crime à lui diffimuler

Que ce qu'il fait pour toi te condamne à parler.
Oui, généreux appui de tout notre Parnasse,
Tu me rends ma vigueur lorsque tu me fais grâce ;
Et je veux bien apprendre à tout notre avenir
Que tes regards benins ont fu me rajeunir.
Je m'élève fans crainte avec de fi bons guides:
Depuis que je t'ai vu, je ne vois plus mes rides :
Et, plein d'une plus claire et noble vision,
Je prends mes cheveux gris pour une illufion.
Je fens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace;

(e) Et le fterile honneur d'un éloge impuissant, &c.,

Il fe plaint que les éloges du public n'ont pas contribué à fa fortune.

Mais à préfent que le grand Fouquet, héros magnanime, répand l'éclat de fa propre bonté fur l'endurciffement de l'oifiveté de l'auteur, il lui ,, ferait honteux d'affermir fon filence contre cette douce violence.,, Que dire fur de tels vers? plaindre la faibleffe de l'esprit humain, et admirer les beaux morceaux de Cinna.

(f) Que tes regards benins, &c.

On eft fâché des regards benins et de la claire vifion, et que dans le temps qu'il fait de fi étranges vers, il dife qu'il fe fent encore la main qui crayonua l'ame du grand Pompée.

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