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V. 28. Après avoir donné fon fils au lieu du mien,

Léontine à mes yeux, par un fecond échange,

Donne encore à Phocas mon fils au lieu du fien...
Celui qu'on croit Léonce eft le vrai Martian,

Et le faux Martian eft vrai fils de Maurice.

Tout cela reffemble peut-être plus à une question d'état, à un procès par écrit, qu'au pathétique d'une tragédie.

V. 46. Donc, pour mieux l'oublier, foyez encor Léonce;

On a déjà dit que ce mot donc ne doit jamais com

mencer un vers.

V. 47. Sous ce nom glorieux aimez fes ennemis,

Et meure du tyran jufqu'au nom de fon fils!

Il femble que ce foient les ennemis de Léonce. Il entend apparemment les ennemis de Phocas.

V. 49. Vous, Madame, acceptez et ma main et l'empire

En échange d'un cœur qui pour le mien foupire.

On ne peut dire que dans le ftyle de la comédie, en échange d'un cœur. Un homme ne doit jamais dire d'une femme, elle foupire pour moi.

Remarquez encore que ce mariage n'eft point un échange d'un cœur contre une main; ce font deux perfonnes qui s'aiment.

V. 51. Seigneur, vous agiffez en prince généreux.

Il faut dans la tragédie autre chofe que des complimens; et celui-ci ne paraît pas convenable entre deux perfonnes qui s'aiment.

V. 52. Et vous dont la vertu me rend ce trouble heureux,
Attendant les effets de ma reconnaissance,

Reconnaiffons, amis, fa célefte puiffance, &c.

Rendre un trouble heureux à quelqu'un: cela n'eft pas français.

En général la diction de cette pièce n'eft pas assez pure, affez élégante, affez noble. Il y a de très-beaux morceaux; l'intrigue occupe l'efprit continuellement ; elle excite la curiofité; et je crois qu'elle réuffit plus à la représentation qu'à la lecture.

Examen d'Héraclius, tome IV, page 228.

La manière dont Eudoxe fait connaître au fecond acte le double échange que fa mère a fait des deux princes, eft une des chofes les plus fpirituelles qui foient forties de ma plume.

Il n'eft plus permis aujourd'hui de parler ainfi de foi-même, et il n'eft pas trop fpirituel de dire qu'on a fait des chofes fpirituelles. J'avoue que je ne trouve rien de fpirituel dans le rôle d'Eudoxe, ni même rien d'intéreffant, ce qui est bien plus nécessaire que d'être fpirituel.

Comédie héroïque représentée en 1650.

PREFACE DU COMMENTATEUR.

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E genre purement romanesque, dénué de tout ce qui peut émouvoir, et de tout ce qui fait l'ame de la tragédie, fut en vogue avant Corneille. Don Bernard de Cabrera, Laure perfecutée, et plufieurs autres pièces font dans ce goût; c'eft ce qu'on appelait comédie héroïque, genre mitoyen qui peut avoir fes beautés. La comédie de l'Ambitieux de Deftouches eft

à

peu - près du même genre, quoique beaucoup audeffous de Don Sanche d'Arragon, et même de Laure. Ces efpèces de comédies furent inventées par les Espagnols. Il y en a beaucoup dans Lopez de Vega. Celle ci eft tirée d'une pièce efpagnole, intitulée El palacio confufo, et du roman de Pèlage.

Peut-être les comédies héroïques font-elles préférables à ce qu'on appelle la tragédie bourgeoife, ou la comédie larmoyante. En effet, cette comédie larmoyante, abfolument privée de comique, n'est au fond qu'un monftre né de l'impuiffance d'être ou plaifant ou tragique.

Celui qui ne peut faire ni une vraie comédie, ni une vraie tragédie, tâche d'intéreffer par des aventures bourgeoifes attendriffantes: il n'a pas le don du comique; il cherche à y suppléer par l'intérêt :

il ne peut s'élever du cothurne; il rehauffe un peu le brodequin.

Il peut arriver fans doute des aventures trèsfuneftes à de fimples citoyens ; mais elles font bien moins attachantes que celles des fouverains, dont le fort entraîne celui des nations. Un bourgeois peut être affaffiné comme Pompée; mais la mort de Pompée fera toujours un tout autre effet que celle d'un bourgeois.

Si vous traitez les intérêts d'un bourgeois dans le style de Mithridate, il n'y a plus de convenance; fi vous repréfentez une aventure terrible d'un homme du commun en ftyle familier, cette diction familière convenable au personnage ne l'est plus au sujet. Il ne faut point tranfpofer les bornes des arts; la comédie doit s'élever, et la tragédie doit s'abaisser à propos; mais ni l'une ni l'autre ne doit changer de nature.

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Corneille prétend que le refus d'un fuffrage illustre fit tomber fon Don Sanche. Le fuffrage qui lui manqua fut celui du grand Condé. Mais Corneille devait fe fouvenir que les dégoûts et les critiques du cardinal de Richelieu, homme plus accrédité dans la littérature que le grand Condé, n'avaient pu nuire au Cid. I eft plus aifé à un prince de faire la guerre civile, que d'anéantir un bon ouvrage. Phèdre fe releva bientôt, malgré la cabale des hommes les plus puiffans.

Si Don Sanche eft prefque oublié, s'il n'eut jamais un grand fuccès, c'eft que trois princeffes amoureufes d'un inconnu, débitent les maximes les plus froides d'amour et de fierté; c'eft qu'il ne s'agit que de favoir

qui époufera ces princeffes; c'eft que perfonne ne fe foucie qu'elles foient mariées ou non. Vous verrez toujours l'amour traité dans les pièces fuivantes de Corneille, du ftyle froid et entortillé des mauvais romans de ce temps-là. Vous ne verrez jamais les fentimens du cœur développés avec cette noble fimplicité, avec ce naturel tendre, avec cette élégance qui nous enchante dans le quatrième livre de Virgile, dans certains morceaux d'Ovide, dans plufieurs rôles de Racine; mérite que depuis Racine perfonne n'a connu parmi nous, dont aucun auteur n'a approché en Italie depuis le Paflor fido; mérite entièrement ignoré en Angleterre, et même dans le refte de l'Europe.

Corneille eft trop grand par les belles fcènes du Cid, de Cinna, des Horaces, de Polyeucte, de Pompée, &c. pour qu'on puiffe le rabaiffer en difant la vérité. Sa mémoire eft refpectable, la vérité l'est encore davantage. Ce commentaire eft principalement destiné à l'inftruction des jeunes gens. La plupart de ceux qui ont voulu imiter Corneille, et qui ont cru qu'une intrigue froide, foutenue de quelques maximes de méchanceté qu'on appelle politique, et d'infolence qu'on appelle grandeur, pourrait foutenir leurs pièces, les ont vu tomber pour jamais. Corneille fuppofe toujours dans les examens de fes pièces, depuis Théodore et Pertharite, quelque petit défaut qui a nui à fes ouvrages; et il oublie toujours que le froid, qui eft le plus grand défaut, eft ce qui

les tue.

La grandeur héroïque de Don Sanche qui fe croit

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