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Faisait de sang troyen ruisseler nos sillons; Les Grecs, les éléments, tout se tait à sa vue: Et quelle est de Pyrrhus la terreur imprévue, Quand, s'adressant à lui d'un ton plein de courroux, Son père, par ces mots, s'explique devant tous : « Contre les Grecs, mon fils, cette fureur est vaine, » Si ton bras en ce lieu n'immole Polyxène; » C'est du sang ennemi que j'exige en ce jour, >> Ou pour la flotte en Grèce il n'est point de retour. (LA FOSSE, Polyxène, tragédie.)

Du point simple (.).

Le point simple doit être placé après toutes les propositions, après toutes les phrases qui ont un sens absolument terminé et indépendant de ce qui suit; ou encore après celles qui n'ont du moins d'autre liaison avec la suite que celle qui résulte de la convenance de la matière, et de l'analogie générale des pensées, toutes relatives au même sujet.

Le monde est vieux, dit-on je le crois. Cependant Il le faut amuser encor comme un enfant.

(LA FONTAINE.)

- Plusieurs points de suite (...). Plusieurs points placés de suite indiquent, tantôt la suppression de quelques mots dans un passage cité, tantôt cette précipitation, ce désordre, cette interruption qu'occasionne, dans le langage, une passion profonde et vehemente, qui ne s'exprime, pour ainsi dire, que par accents entrecoupés, par intervalles intermittents, et qui ne peut être rendue dans toute sa vivacité.

Quos ego.... Sed motos præstat componere fluctus.
(ÆNEID., 1.)

Par la mort.... Il n'acheva pas,
Car il avait l'âme trop bonne :
Allez, dit-il, je vous pardonne;
Une autre fois n'y venez pas.

(SCARRON.)

Certains écrivains abusent singulièrement de ce signe très-particulier, et qui doit être fort rare dans la ponctuation, s'imaginant maladroitement que, pour donner à leur langage le ton de la passion et l'empreinte d'une sensibilité profonde, il suffit d'en interrompre fréquemment les parties par une kyrielle de points. On trouve dans certains ouvrages dits littéraires, des lignes et même des pages de points. Quelle éloquence! C'est une adresse mesquine, c'est du pur charlatanisme.

Du point interrogatif (?).

Le point interrogatif se place à la fin de toute phrase qui interroge, soit qu'on la rapporte comme prononcée directement par quelqu'un, soit qu'elle fasse partie du discours où elle se

trouve.

Exemples:

Et que reproche aux Juifs leur haine envenimée?

Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?

Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?
(RACINE, Esther.)
Chacun déjà s'interrogeant soi-même,
De l'univers épluchait le système.
Comment s'est fait tout ce que nous voyons?
Pourquoi ce ciel, ces astres, ces rayons?
Quelle vertu dans la terre enfermée
Produit ces biens dont on la voit semée?

ROUSSEAU, Allégories, 5, livre 2.)

Les Espagnols font le même usage que nous du point interrogatif; mais ils font précéder les phrases qui interrogent du même signe renversé (¿). Il serait utile d'imiter cette methode, surtout pour les phrases un peu longues : le lecteur, prévenu par ce signe placé en tête, connaî trait d'avance la qualité de la phrase, et donnerait le ton qui convient à la proposition interrogative,

Ce serait une bien heureuse innovation à introduire dans notre écriture; mais nous ne sentons pas la necessité de reproduire à la fin de la phrase le signe du point interrogatif que nous admettrions volontiers en tête du discours. On n'est d'ailleurs nullement d'accord sur la ponctuation et sur le genre de caractère orthographique qui doit suivre la phrase que termine un point interrogatif. Les avis sont tout à fait partagés. Les uns, jugeant que le point interrogatif équivaut à un point réel, font commencer la locution qui lui répond par une majuscule; les autres se dispensent sans raison aucune de faire cette distinction; d'autres enfin, et nous serions de cette opinion, voudraient qu'on posat pour règle qu'il est indispensable de ponctuer la phrase à la suite du point interrogatif. Ainsi D'où venez-vous? de Paris, devrait se ponctuer et s'orthographier: D'où venez-vous?. De Paris; ou mieux encore, au moyen de l'innovation suggérée : ?D'où venez vous. - De Paris. On conçoit que la même observation peut s'appliquer au point exclamatif.

Du point exclamatif (!).

Le point exclamatif s'emploie après toutes les phrases qui expriment la surprise, la terreur, ou quelque autre sentiment profond sous la forme d'une exclamation.

Dieux ! que l'impatience est un cruel tourment!
Qu'Hydaspe répond mal à mon empressement ! ...
Qu'une nuit inquiète est cruelle à passer!
Que de tristes objets viennent la traverser!

(LAGRANGE.)

O monstre que Mégère en ses flancs a porté !
Monstre que dans nos bras les enfers ont jeté !
Quoi ! tu ne mourras pas! Quoi! pour punir son crime...
Mais où va ma douleur chercher une victime?

exécutés, ils contribuent beaucoup à la netteté du discours, parce qu'ils avertissent le lecteur de la séparation ou de la distinction des divers sens on est plus disposé à entendre ce que l'on voit ainsi séparé; et cette séparation d'ailleurs soulage l'attention, en lui offrant des repos de distance en distance.

Quoi! pour noyer les Grecs et leurs mille vaisseaux, Mer, tu n'ouvriras pas tes abymes nouveaux ! (RACINE, Iphigénie.) Triste destin de l'homme! il arrive au tombeau Plus faible, plus enfant qu'il n'était au berceau! (Poème de la Religion, chant 2.) Voyez nos observations sur le point interrogatif, qui peuvent fort bien s'appliquer à celui dont nous venons de nous occuper.

De l'alinea.

Le mot alinea est composé de la préposition latine à et de l'ablatif lineâ, comme si l'on disait incipe à lineâ, c'est-à-dire commencez par une nouvelle ligne. Voici la manière d'opérer: on laisse en blanc ce qui reste à remplir de la dernière ligne, et on en commence une nouvelle, de manière que le premier mot de cette nouvelle ligne s'ouvre par une majuscule, et rentre un peu en dedans, pour marquer la séparation ou la distinction des idées ou des matières nouvelles. C'est effectivement la séparation des idées ou le changement des matières qui doit régler la place et l'emploi des alinea : et lorsqu'ils sont bien

Voilà à quoi se réduisent aujourd'hui les si gnes de la ponctuation.

Les anciens, soit Grecs, soit Latins, n'avaient que le point pour toutes ces différences, le plaçant seulement en diverses manières pour marquer la diversité des pauses. Pour annoncer la fin de la période et la distinction parfaite, ils posaient le point au haut du dernier mot pour indiquer la médiation, ils le plaçaient au milieu; et pour mar quer la respiration, ils le mettaient au bas et prisque sous la dernière lettre; d'où vient qu'ils appelaient cela subdistinctio.

(Méthode grecque de Port-Royal, livre 7.)

Voyez, pour ce qui semblerait avoir été omis ici, les signes orthographiques (page 192), qu'il ne faut pas confondre avec ceux dits de ponctuation.

PRÉCIS

DE

VERSIFICATION FRANÇAISE.

La prosodie française est l'art de la mesure, de la cadence, de l'harmonie, dans la versification et même dans la prose, ainsi que nous l'avons démontré à la page 70 de notre Grammaire. Dans la versification française elle est de plus l'art de la rime. Nous n'avons ici à nous occuper que du mécanisme du vers; on se rappelle que nous avons dit ailleurs que la prose peut être poétique, mesurée, harmonieuse, tout aussi bien que le vers; mais celui-ci manquerait à la première des conditions qui le constitue, s'il se montrait prosaique.

Nous différons cependant de l'ancienne critique en ce point que toutes les expressions à peu près, à l'exception de celles dont la trivialité serait repoussée même dans la prose soutenue, peuvent être heureusement amenées dans le vers. Autrefois les mots c'est, c'est pourquoi, pourvu que, afin que, puisque, d'ailleurs, or, car, etc., etc., étaient rejetés comme indignes de la versification. Des versificateurs habiles et corrects en ont su faire depuis un si gracieux usage, que nous serions injustes d'en condamner rigoureusement l'usage aujourd'hui; ce n'est pas dire que nous en encourageons le mauvais emploi.

La langue française ne possédant, absolument parlant, d'une manière bien distincte ni longues ni brèves, il a fallu adopter, pour règles de versification, un autre mode de rhythme.

La mesure la mieux et la seule parfaitement dessinée n'a lieu que dans les vers de douze ou de dix syllabes, parce que ces seules sortes de vers possèdent l'hémistiche. On verra plus loin ce que c'est que l'hémistiche.

Il y a en outre des vers de huit, de sept, de six, de cinq, de quatre, de trois et même de deux syllabes. Si nous trouvons déjà ces derniers vers d'une

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grande puérilité, nous ne parlerons que pour mémoire du vers dit à écho, qui n'a qu'une syllabe, la dernière du vers précédent, et dont le ridicule se fait surtout sentir lorsque la syllabe ainsi reprise n'ajoute rien au sens, comme dans cette insignifiante plaisanterie tirée d'une longue pièce de vers d'un vrai poète :

Il m'a trahi.... Hi!

VICTOR HUGO. (1).

Si nous exceptons ce qui a uniquement rapport à l'hémistiche, toutes les règles de la versification française peuvent indistinctement s'appliquer à toutes les mesure de vers.

Le vers de douze syllabes est en général accentué, c'est-à-dire grave, sonore, modulé, et convient aux poèmes de longue haleine, à la tragédie, aux sujets grandioses et aux sujets graves ou tristes. Quoique ce genre de mesure semble quelquefois dégénérer en monotonie, c'est cependant ce vers que l'oreille s'habitue le plus aisément à écouter un long temps de suite. Voici un exemple de ce vers de douze syllabes, qu'on appelle aussi alexandrin, du nom d'Alexandre, son

inventeur.

On dit qu'en les voyant couchés sur la poussière,
D'un respect douloureux frappé par tant d'exploits,
L'ennemi, l'œil fixé sur leur face guerrière,
Les regarda sans peur pour la première fois.

CASIMIR DELAVIGNE,

Votre reine en mourant vous fait une prière: Veillez sur elle, afin qu'à son heure dernière

(4) Nous faisons hardiment remarquer que toutes nos citations

soit louangeuses, soit critiques, ne sont tirées que des grands poètes, des hommes à réputation établie. Il eût été ridicule, ce nous semble, d'aller puiser ailleurs.

On ne la trouble point....Un vieillard va venir,
Dont la voix consolante, à la douce parole,
Détache doucement une âme qui s'envole....
Alexandre DUMAS.

Le vers de dix syllabes a été heureusement employé dans les poèmes du genre gracieux.

Il est un Dieu qui préside aux campagnes,
Dieu des coteaux, des bois et des vergers;
Il règne assis sur les hautes montagnes,
Et ne reçoit que les vœux des bergers,

Que les présents de leurs douces compagnes.
A son signal, d'aimables messagers,
Prenant l'essor, vont couvrir de leur aile
La fleur naissante ou la tige nouvelle.
A la clarté des célestes flambeaux,
Il veille au loin. Famille des oiseaux,
Il recommande aux brises du bocage
De balancer vos paisibles berceaux.
Dans la fraîcheur du mobile feuillage,
Il ne veut pas que le froid aquilon
Avant le temps jaunis e les fougères ;
Il ne veut pas que les lis du vallon
Tombent foulés sous le pied des bergères.

MILLEVOYE.

En général, le vers de dix syllabes est léger et santillant. Toutefois, notre grand poète Béranger a su en faire usage avec un rare bonheur dans des sujets qui n'ont de léger que le titre du recueil dans lequel ils sont insérés; admirez ces deux stances entre mille du même auteur :

Pauvres enfants! l'écho murmure encore
L'air qui berça votre premier sommeil.
Si quelque brume obscurcit votre aurore,
Leur disait-on, attendez le soleil.

Ils répondaient : Qu'importe que la sève
Monte enrichir les champs où nous passons?
Nous n'avons rien: arbres, fleurs, ni moissons.
Est-ce pour nous que le soleil se lève?

Et vers le ciel se frayant un chemin,

Ils sont partis en se donnant la main.

Dieu créateur, pardonne à leur démence.
Ils s'étaient faits les échos de leurs sons,

Ne sachant pas qu'en une chaîne immense,

Non pour nous seuls, mais pour tous, nous naissons.
L'humanité manque de saints apôtres,
Qui leur aient dit: Enfants, suivez sa loi.
Aimer, aimer, c'est être utile à soi ;

Se faire aimer, c'est être utile aux autres.

Et vers le ciel se frayant un chemin,

Ils sont partis en se donnant la main.

BÉRANGER.

Le vers de huit syllabes étant d'une grande souple se a été employé fort souvent et à peu près pour tous les genres. Quand l'oreille s'est, pendant quelque temps, accoutumée à l'entendre, il prend une harmonie qu'on ne lui accorde pas toujours de prime abord. Il est d'ailleurs le plus facile à faire, ce qui assurément ne veut pas dire qu'il soit le moins agreable à lire.

Source limpide et murmurante
Qui de la fente du rocher

Jaillis en nappe transparente

Sur l'herbe que tu vas coucher;
Penché sur ta coupe brisée,
Je vois tes flots ensevelis

Filtrer comme une humble rosée
Sous les cailloux que tu polis.

J'entends ta goutte harmonieuse Tomber, tomber et retentir Comme une voix mélodieuse

Qu'entrecoupe un tendre soupir.

DE LAMARTINE.

Le vers de sept syllabes ne s'emploie guère que dans les sujets lyriques, ou dans les pièces inspirées par l'enthousiasme. Il a besoin d'être relevé par la splendeur du sujet et de l'expression; il nous semble en effet que par lui-même il est un peu prosaïque, bien qu'assez rapide dans sa marche.

Dans sa course dévorante
Rien n'arrêtait ce torrent:
L'épouse tombait mourante
Sur son époux expirant;
Le fils au bras de son père,
La fille au sein de sa mère
S'arrachait avec horreur;
Et la mort livide et blême
Remplissait le palais même
De sa brûlante fureur.

J.-B. ROUSSEAU.

On se sert assez harmonieusement, du vers de six syllabes parce qu'il se renouvelle sans l'aide d'aucune autre mesure, comme dans cette stance:

Depuis l'heure charmante Où le servant d'amour, Sa harpe sous sa mante, Venait pour son amante Soupirer sous la tour.

DE LAMARTINE.

Le vers de six syllabes tombe encore avec une grace parfaite à la suite du vers alexandrin, comme dans cet exemple :

Sans cesse, en divers lieux errant à l'aventure,
Des spectacles nouveaux que m'offre la nature
Mes yeux sont égayés;

Et, tantôt dans les bois, tantôt dans les prairies,
Je promène toujours mes douces rêveries

Loin des chemins frayés.

J. B. ROUSSEAU,

Le vers de cinq syllabes est d'une effrayante rapidité : certains poètes l'ont néanmoins merveilleusement appliqué aux sujets les plus graves et les plus solennels, comme dans ces deux exemples:

Sa voix redoutable
Trouble les enfers;
Un bruit formidable
Gronde dans les airs;
Un voile effroyable
Couvre l'univers;

La terre tremblante
Frémit de terreur;
L'onde turbulente
Mugit de fureur;
La lune sanglante
Recule d'horreur.

J.-B. ROUSSEAU,

Le cèdre s'embrase,
Crie, éclate, écrase
Sa brûlante base
Sous ses bras fumants!
La flamme en colonne
Monte, tourbillonne,
Retombe et bouillonne

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Le vers de cinq syllabes ne se mêle d'ordinaire que collectivement à d'autres mesures. Il roule cependant avec une étincelante rapidité après une suite de vers alexandrins; ce qui ne nous empêchera pas de faire observer que dans les vers de cinq syllabes comme dans ceux dont il nous reste à parler, il est bien difficile de ne pas se laisser entrainer à une sorte de galimathias qui ne présente plus qu'un flux de sons, sans aucune idée, sans aucune image.

Le vers de quatre syllabes a tous les avantages de celui dont nous venons de parler. Il a été employé aussi avec beaucoup de grace dans des tableaux naifs. En cela Parny a offert, dans l'heure du berger, un modèle dont nous extrayons les vers suivants :

Salut à vous,
Mon inhumaine;

N'ayez courroux

Qu'on vous surprenne.

A vos chansons

Nous vous prenons

Pour Philomèle.

Aussi bien qu'elle
Vous cadenciez,
Ma toute belle ;
Mais mieux feriez,
Si vous aimiez

Aussi bien qu'elle.

PARNY.

Le vers de trois et celui de deux syllabes ne sont guère usités que dans les sujets auxquels le chant peut s'appliquer.

Sara, belle d'indolence, Se balance.

VICTOR HUGO.

Elle garda la fleur fidèle;

Et, depuis, cette fleur s'appelle

Souviens-toi

De moi.

MILLEVOYE.

Au reste, pour l'emploi des mesures de vers, c'est le goût qu'il faut consulter, et personne, mieux que le poète lui-même, ne saurait être juge du rhythme qu'il s'agit d'appliquer à sa pensée.

ment et partout, on comprend facilenent de quel avantage la rime fut pour la mémoire, particulièrement dans un temps où l'imprimerie n'existait pas et où il n'y avait qu'un très petit nombre de personnes assez riches pour être à même de se procurer des manuscrits. A cette époque presque tout, l'histoire comme le roman, s'habilla de rimes, pour se mieux graver dans les esprits. Un peu plus tard, tout ce qui n'était pas une pensée de poésie proprement dite se retira de la mesure et de la rime. Le théâtre, cependant, nu au moins ce qu'on appelait alors theatre, conserva l'une et l'autre, bien plus toujours comme question de mnemonique pour l'acteur, qui avait ainsi plus de facilité à retenir son rôle, et pour l'auditeur dans l'esprit duquel on tenait à mettre en relief des maximes et des sentences, que dans l'intérêt reel des excursions que l'auteur aurait pu désirer faire dans le domaine lyrique. Plus tard encore, on crut s'apercevoir qu'à mesure que la langue s'épurait, circonscr vait ses formes, et, par conséquent, perdait de sa souplesse, la rime de plus en plus s'imposait comme une nécessité rigoureuse à notre versification. Dès lors ceux qui la combattirent y perdirent leur temps et n'y gagnèrent que du ridicule. Cependant, en lisant certaines pages de Fénelon, de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, qui ne s'est demandé plusieurs fois s'il n'y aurait pas eu, dans la langue française, la possibilité de créer une poésie toute de cadence, toute d'harmonie, sans l'exigence de la rime, et même sans le secours des brèves et des longues, qui caractérisent si magnifiquement les poésies grecques et latines? La question n'étant plus à résoudre ni même à discuter sans une sorte de blasphème contre les sublimes imaginations qui ont créé ou enrichi notre poésie versifiée, hâtons-nous de dire que la rime a aussi ses grands avantages. N'eût-elle que celui dont nous avons parlé, de graver mieux dans la mémo re le vers qui, déjà par la mesure, met la pensée et l'expression er relief, elle serait par cela seulement précieuse Mais quand elle est abondanie, quand elle ne commande pas à la poésie et qu'elle lui obeit sans peine, qualites indispensables, elle a en outre le mérite de lui donner du brillant et de l'eclat : elle imprime un retentissement majestueux et profond aux vers du genre grave ou sentimental, un retour de son qui n'est pas sans grace dans les vers légers et surtout dans les vers faits pour être chantés: il n'est pas d'âme bien faite qui ne sente combien la poésie de la pensée s'embelt de ce bienfait d'une versification heureusement rimée. Il y a deux espèces de rimes: la rime masculine et la rime féminine.

La rime féminine est celle qui se termine par des sons sourds qui finissent par un e muet simplement,

Il y a peu de vers de neuf, de onze syllabes; il n'y comme dans ces vers : en a pas non plus au-dessus de douze syllabes.

DE LA RIME.

On peut hasarder de dire, sans crainte de paraître trop confiant dans son opinion, que la rime a dû s'implanter difficilement, à cause de la répétition monotone des mêmes sons, et qu'elle n'a dù être d'abord qu'un moyen mnémonique. On la retrouve dans tous les patois des anciennes provinces, au nord aussi bien qu'au midi, à Toulouse comme à Valenciennes. Les vers se récitant, se chantant autrefois continuelle

Or, sachez que Dieu scul, source de la lumière, La répand sur toute âme et sur toute paupière;

Et qu'il donne ici-bas sa goutte à tout le monde,
Car tout peuple est son peuple et toute onde est son onde.
DE LAMARTINE.

Ou par un e muet suivi d'un s, comme dans ceux-ci :
Croyez-vous m'abuser? Couverts de noms sublimes,
Les crimes consacrés en sont-ils moins des crimes?
Casimir DELAVIGNE.

Ou par un e muet qui n'est pas immédiatement pré

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