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>> la partie occidentale de Tongataboo, Anamooka, les îles » Hapai, et les îles du Nord; mais ce qui lui donne le plus » d'influence, c'est sa qualité de général, et son courage >> reconnu. Il est à la tête de toutes les expéditions des in>> sulaires de Tongataboo. Ses soldats sont nombreux, et » ont plus d'attachement pour lui que pour aucun autre >> chef : personne, en un mot, n'a plus de crédit dans ces »>iles que Finow. A côté de ces bonnes qualités, il est >> d'une rapacité excessive; mais il pille, sur-tout, pour dis>> tribuer à ses soldats le prix de ses déprédations. » On verra, par les détails où nous allons entrer, comment l'exercice prolongé du pouvoir absolu, c'est-à-dire, d'un pouvoir qui ne peut se maintenir que par des moyens de terreur, a développé ce caractère énergique de sauvage. Nous allons suivre les principaux événemens de la relation donnée par le docteur Martin.

Le Port-au-Prince (c'est le nom du vaisseau) ayant mouillé dans la baie de Lafooga, les insulaires vinrent aussitôt à bord avec des présens. L'un d'eux était des îles de Sandwich, et parlait anglais. Il chercha à persuader à l'équipage que les dispositions des insulaires étaient toutes pacifiques. Le contre-maître, qui remplaçait le capitaine dans le commandement du navire, ne voulut point écouter les conseils prudens qui lui furent donnés par un autre insulaire des îles de Sandwich: il se livra à la confiance; et comme il avait mécontenté tout l'équipage, il n'avait aucun empire sur ses gens; il lui fut impossible de maintenir l'ordre parmi eux, ni de les empêcher d'aller à terre. II finit par y aller lui-même, et une demi-heure après qu'il eut quitté le bâtiment, sur lequel les insulaires étaient en foule, l'exécution du complot commença. Mariner était occupé à écrire dans le vestibule de la chambre du capitaine ; il sortit sur le pont, afin de voir plus clair pour tailler sa plume: là, il aperçut M. Dixon, qui, en l'absence de Brown, avait pris le commandement, et qui faisait de

vains efforts pour empêcher les insulaires de monter à bord du vaisseau en plus grand nombre; au moment même ils jetèrent de grands cris, et l'un d'eux l'assomma de sa massue, Le premier mouvement de Mariner fut de courir à la saintebarbe. II se débarrassa d'un de ces insulaires qui voulut le retenir; et trouvant le tonnelier, il fit une courte consultation, dont la résultat fut la résolution de mettre le feu aux poudres. Ils cherchèrent à la hâte des pierres-à-feu dans le coffre des armes ; mais le couvercle en était embarrassé par des pièces de bois qu'on ne pouvait déplacer sans faire de bruit, et sans être aperçu des sauvages; ils revinrent dans la chambre du travail. Mariner était décidé à se faire assommer pendant que les insulaires étaient animés au carnage, plutôt que de s'exposer à une mort lente et cruelle. Dans cette intention, il s'approcha de Tooï-Tooï, et lui dit en lui tendant la main: «Si vous voulez me tuer, me » voilà prêt. » Cet homme lui promit qu'il ne lui arriverait point de mal, parce que les insulaires étaient déjà en possession du vaisseau; et, le prenant sous sa protection, àinsi que le tonnelier, il les présenta à celui qui avait conduit la conspiration.

Il est difficile de se représenter un spectacle plus révoltant que celui qui s'offrit aux regards de Mariner, lorsqu'il vint sur le pont. Les cadavres des matelots anglais étaient étendus à côté les uns des autres, dépouillés et défigurés à force de coups de massues. Un des insulaires les compta au nombre de vingt-deux. Il en rendit compte au chef, et ils furent immédiatement jetés à la mer. Retenant le tonnelier à bord, ils envoyèrent Mariner à terre, sous la conduite d'un insulaire, qui, chemin faisant, le dépouilla de sa chemise. Ce jeune homme était tombé dans un abattement qui le rendait en quelque sorte indifférent à ce qui pouvait lui arriver. Le contre-maître avait été massacré sur le rivage avec trois des mutins qui s'étaient obstinés à venir à terre. Les insulaires achevèrent de dépouiller Mariner, et

il demeura exposé à un soleil brûlant. Il fut bientôt entouré de curieux qui venaient pour l'insulter et le tourmenter; on lui crachait au visage; on lui jetait à la tête des bâtons et des noix de cocos, qui le blessèrent cruellement; on le faisait marcher de force, malgré le mauvais état de ses pieds nus et déchirés. Le premier être qui eut pitié de lui, fut une femme le voyant passer, elle lui donna un tablier, dont on lui permit de s'envelopper. Ses bourreaux s'arrêtèrent dans une cabane pour boire de la liqueur d'ava, et le firent asseoir dans un coin, parce que l'usage du pays ne permet pas à un inférieur de se tenir debout en présence de ses supérieurs.

Un messager du roi Finow survint et emmena le jeune homme; il l'avait vu dans le bateau, et sa figure lui avait płu. Il le crut fils du capitaine, ou de quelque personnage important dans son pays, et il ordonna qu'il fût épargné. Lorsqu'il fut présenté au roi dans l'état misérable où on l'avait mis, c'est-à-dire, tout couvert de boue, de sang et de meurtrissures, les femmes de ce chef qui se trouvaient-là poussèrent toutes ensemble des cris de compassion en se frappant la poitrine. Le roi le salua à la manière du pays, c'est-à-dire, en appliquant le bout de son nez sur le front de Mariner. On le fit laver dans un étang, puis parfumer avec du bois de sandal, dont l'effet fut salutaire à ses blessures.

Quatorze hommes avaient échappé au massacre; Finow les employa à amener le bâtiment tout près de terre, et à faire décharger les canons et la poudre; après quoi il fit brûler le vaisseau pour avoir le fer. Tooï-Tooï, l'insulaire des îles Sandwich, conseillait à Finow de mettre à mort tous les Anglais, de peur que s'il arrivait un vaisseau de cette nation, leurs compatriotes ne tirassent vengeance de ce qui s'était passé. Heureusement pour eux, Finow avait la confiance d'un ignorant sauvage. Mariner raconte que ce chef se croyait pleinement justifié par le principe de son intérêt; il disait que les blancs étaient d'un caractère trop généreux

et trop doux, pour chercher à tirer vengeance de pareille chose. Il permit à ces quatorze matelots de construire un vaisseau pour tâcher de gagner la Nouvelle-Galles; mais comme il leur arriva de gâter une hache, le roi se mit de mauvaise humeur, et leur fit retirer les instrumens; ils furent donc obligés de se soumettre à la nécessité, en restant dans l'île. Les aventures de Mariner se trouvant confondues avec l'histoire des îles Tonga, nous donnerons une idée sommaire des principaux événemens de cette histoire.

En 1797, des missionnaires trouvèrent ces îles dans le même état florissant de culture où les avaient trouvées Tasman à leur découverte, et le capitaine Cook en 1777. Voici comment s'exprime ce grand navigateur: « On n'y » voit pas, dit-il, un pouce de terrain qui ne soit cultivé ; » les chemins n'ont que la largeur strictement nécessaire ; » les palissades de clôture n'ont pas plus de quatre pouces » d'épaisseur, et cet espace même n'est pas tout-à-fait perdu, » parce qu'on y place des plantes et des arbres utiles. C'étaient » par-tout le même soin et la même culture; on avait beau » changer de place, c'était toujours le même tableau: nulle » part ailleurs on ne voit briller la nature avec plus d'éclat, >> au moyen d'un peu de secours. »

En 1799, il se fit une révolution, et depuis ce momentlà ces îles ont été un théâtre de violences et d'atrocités. Toogoo-Ahoo était alors le roi des îles de Tonga. C'était un homme d'une cruauté féroce et bizarre, telle qu'elle se développe toujours par le pouvoir absolu chez un caractère vicieux. Mariner raconte que, dans une certaine occasion, il fit couper le bras gauche à douze de ses cuisiniers, uniquement pour distinguer sa maison par un acte que personne ne pouvait imiter. Le père du roi Finow, dont Mariner fait l'histoire, avait espéré de succéder au trône : le chagrin de se voir déçu le rendit malade; et, se sentant mourir, il recommanda à son fils d'assassiner Toogoo-Ahoo. ToohoNeuha se chargea de mener la conspiration, et son frère

Fruow se présenta au roi avec une offrande, qui leur servit de prétexte pour passer la nuit avec leurs gens dans le voisinage de l'habitation du chef. On plaça des gardes autour de la maison pour tuer ceux qui essaieraient d'en sortir. Tooho entra ensuite, une hache à la main, pour accomplir l'attentat contre son oncle. La relation dit que l'assassin reconnut le chef dans l'obscurité, au parfum de l'huile dont il avait oint sa tête. L'assommer dans le sommeil ne suffisait pas à sa fureur; il le frappa au visage pour le réveiller, et lui dit: « C'est moi; c'est Tooho-Neuha », et en même temps il lui assena un coup mortel. Il sauva du massacre un enfant de trois ans que le chef avait adopté; mais toutes les femmes et les maîtresses du prince furent sacrifiées. Le rédacteur de la relation de Mariner s'exprime, à cet égard, d'une manière qui est à-la-fois révoltante et absurde. «< Lors» que Tooho-Neuha, dit-il, entra dans l'appartement où » les femmes, parfumées d'essences et ornées de guirlandes » de fleurs, dormaient profondément, il se sentit attendri » jusqu'aux larmes sur leur destinée; mais la liberté du pays » était en péril. » La liberté de Tonga! En supposant même qu'on eût jamais rêvé la liberté dans ces îles, il est difficile de comprendre comment la cause de cette liberté aurait pu être servie par le meurtre de ces malheureuses femmes. L'assassinat de ce chef répandit une grande indignation chez une partie du peuple, et il s'ensuivit une bataille sanglante, dans laquelle Finow eut l'avantage. Cependant il trouva plus sûr de transporter sa résidence dans les Hapai, où il gagna encore une bataille, et chercha à fermir son autorité par des cruautés révoltantes, exercées

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sur les prisonniers.

Tonga, qui jusque-là avait été florissante, devint le siége

de la guerre et de la famine. Il se forma plusieurs partis visés entre eux, et dont chacun se bâtit une petite forresse. Finow, qui n'avait point abandonné l'espoir de ire Tonga, y faisait tous les ans des descentes, et atta

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