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PRÉFACE

L'abbé de Saint-Pierre a été présenté pour la première fois au public en 18581 par M. Goumy dans une thèse qui eut l'honneur d'être remarquée de Sainte-Beuve et de fournir au célèbre critique le thème de l'une de ses causeries et non la moins piquante. Il est permis de dire des études, qui ont paru depuis lors sur le même sujet, qu'elles ne l'ont enrichi d'aucun élément nouveau. Faut-il en conclure que la matière soit épuisée et qu'après M. Goumy, il ne reste rien à glaner dans le champ où il a moissonné ? Nous ne l'avons pas pensé.

On a fait du chemin depuis le jour où écrivait M. Goumy et, quoi que l'on augure de son résultat final, il est certain que nous assistons en ce moment à une évolution qui gagne successivement tous les organes de la machine sociale. L'humanité veut du nouveau et il semble que nous sommes dans une ornière d'où il faut sortir à tout prix. Les paradoxes les plus étranges font cortège aux principes les plus incontestables et telle proposition. qui, au point de vue économique et financier, ne rencontrait aucun contradicteur, est aujourd'hui exclue de l'Ecole.

Etant donné cette mentalité particulière de notre époque, le nom de l'abbé de Saint-Pierre devait sortir de l'oubli. Entre nos aspirations et celles de l'homme qui voyait l'humanité marchant d'un pas toujours assuré, sans défaillance et sans recul,

1. Etude sur la vie et les écrits de l'abbé de Saint-Pierre. L'ouvrage de M. de Molinari, paru en 1857 : L'abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, est plutôt un recueil de morceaux choisis de l'abbé de Saint-Pierre qu'une véritable étude sur le personnage qui est du reste envisagé presque exclusivement comme économiste.

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dans la voie du progrès indéfini, il y avait trop de points de contact pour qu'il en fût autrement. Semblable au vieillard de la fable qui plantait pour ses arrière-neveux, l'abbé de Saint-Pierre a travaillé toute sa vie il l'a répété à satiété pour les siècles à venir et Dumas fils, sans le savoir, n'a guère fait que s'approprier la pensée de l'abbé en écrivant dans la préface du Fils Naturel que les hommes posent les chiffres et que le temps fait la preuve.

Celui qu'on appelait sous Louis XV un rêveur et dont le nom suffisait à faire sourire de pitié les encyclopédistes et Voltaire, celui-là était qualifié il y a quelques années de contemporain égaré au XVIIIe siècle1. Hier encore l'un de nos hommes d'État, allant promener sa parole primesautière dans l'Amérique du Sud, lui rendait solennellement hommage2 et un écrivain distingué le sacrait patron de la critique littéraire 3.

C'est à faire croire que nous allons assister demain à la mise en pratique de l'œuvre du bon abbé... Il serait exagéré de le soutenir, mais cependant les pacifistes ne peuvent-ils pas le regarder comme un de leurs ancêtres, les apôtres de l'impôt sur le revenu lui demander d'utiles conseils et les promoteurs de la loi d'assistance aux vieillards et aux incurables lui emprunter pour devise ces lignes qui contiennent en germe toute une révolution sociale : «< Celui qui est dans l'extrême pauvreté a un droit réel et positif, une action de droit naturel sur le riche. »>

Cette évolution, M. Goumy n'a pu l'envisager ni même la pressentir, car elle s'est manifestée d'une façon presque soudaine et son ouvrage a devancé de plus de trente ans l'époque où il eût dû paraître, pour mettre dans tout leur relief les théories de l'abbé de Saint-Pierre et en faire voir toute la portée.

Pour la partie biographique, non seulement nous nous sommes reporté aux sources indiquées par M. Goumy, c'est-à-dire aux nombreux renseignements et documents que fournissent les œuvres de l'abbé lui-même et aux mémoires de son ami le mar

1. S. SIEGLER-PASCAL, Les projets de l'abbé de Saint-Pierre. Paris, Rousseau, 1900.

2. Conférence de M. CLEMENCEAU à Montevideo le 1er septembre 1910. 3. Article de M. Remy de Gourmont dans le journal La France du 1er décembre 1911.

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