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commune, l'humanité voulait aussi que l'on se bornût à les priver des moyens de nuire.

L'Assemblée nationale avait, autant que les circonstances le lui permettaient, arraché de nos codes les lois pénales qui n'étaient plus applicables d'après les mœurs nouvelles. Son exemple et ses doctrines ne furent pas stériles.

Sous tous les gouvernements qui se sont succédé depuis (excepté les longues et sanglantes saturnales de la terreur), les magistrats s'occupèrent avec sollicitude de l'amélioration du sort des prisonniers.

La plupart des prisons d'alors, même celles de Paris, se ressentaient, dans leur construction comme dans leur régime intérieur, de la rigueur et même de la barbarie des temps féodaux on les rendit plus saines, plus propres et plus habitables.

Des hommes rendus immortels par leur bienfaisance et leurs vertus publièrent de sages observations et des projets dictés par l'humanité. De simples citoyens, animés par le désir du bien, visitèrent fréquemment et avec persévérance d'abord les prisons des principales villes du royaume, et ensuite celles des villes du second ordre, même de plus éloignées.

Les observations recueillies par eux firent sentir l'urgence de remédier aux maux qu'ils signalaient. L'administration s'en émut et le gouvernement fit davantage encore. Outre les constructions, réparations et améliorations faites aux localités désignées, il conçut la grande pensée de faire étudier par des hommes habiles et consciencieux les divers systèmes de reclusion établis dans toute l'Europe. Il envoya même des commissaires aux États-Unis d'Amérique, afin que la comparaison de ces régimes différents employés dans des pays qui différaient aussi par le climat, l'esprit, le caractère particulier à chaque nation, permît de choisir celui qui conviendrait le mieux à la France.

Cette croisade d'humanité, ces missions nombreuses et . lointaines, ont-elles produit les résultats qu'on en espérait? qu'en est-il résulté?

D'intéressants rapports out paru et ont vivement excité l'attention publique.

Des renseignements de toute espèce, de minutieux détails ont été fournis sur les prisons d'Angleterre, des ÉtatsUnis, de l'Allemagne, de la Suisse et de l'Italie.

Il faut en convenir, en lisant avec réflexion tous ces documents, on a acquis la conviction qu'il y avait en effet des perfectionnements et des améliorations à introduire dans nos établissements de ce genre.

Cependant la méfiance est entrée dans les esprits les mieux disposés. Ils ont été surpris et blessés de la divergence dans les opinions émises, des dispositions opposées qui y étaient indiquées; et la multitude des notions rapportées et des propositions recommandées et contestées a fait naître l'embarras du choix.

Grâce au ciel le choix n'a pas été fait encore! Quand le

sera-il?

On arrivera sans doute, nous le désirons et nous l'espérons, à un système satisfaisant et convenable; mais il ne faut pas que l'on suive aveuglément et sans controverse les conseils de la plupart des écrivains qui croient avoir trouvé les éléments de cette grande modification sociale. Avant tout, il faut consulter le temps et l'expérience eux-seuls peuvent décider des moyens à adopter d'après nos mœurs, nos habitudes et le caractère français.

Ces écrivains honorables se sont occupés longuement des prisons et des maisons centrales; mais très-peu d'entre eux ont parlé des bagnes.

Ceci ne nous surprend pas. Consciencieux comme ils l'étaient, ils ne pouvaient pas parler de ce qu'ils ne pou vaient pas comprendre.

Si quelques-uns se sont hasardés à dire quelques mots sur ce sujet, ils ont hésité, ou ils se sont trompés, parce que l'on ne peut bien parler que de ce que l'on sait bien. Assurément ils n'ont écouté que leur zèle, et l'on doit leur en savoir gré.

Mais de quel point sont-ils partis?

Quelles lumières ont-ils acquises sur l'état réel des choses?

Quel résultat espèrent-ils atteindre?

Aucun n'a vu le bagne comme il est indispensable de le voir.

Aucun n'a étudié longtemps, pendant des jours de travail et des nuits pénibles, les prisonniers du bagne, leur vie intérieure, leurs caractères divers, leur position solitaire et individuelle au milieu de ce nombre immense, leurs facultés physiques et morales, leurs goûts, leurs affections, leurs répugnances, leurs haines, que le malheur aggrave et envenime, leurs vices, leur conduite envers leurs chefs, envers leurs compagnons, en un mot, tout ce qui compose la vie de milliers d'hommes agglomérés dans une seule maison.

Nous le répétons avec conviction, les écrivains qui parlent des bagnes, n'en peuvent pas parler consciencieuse

ment.

Et cependant (tant nous sommes prompts à nous donner raison nous-mêmes et à nous aveugler sur la rectitude de notre raison!), et cependant ils critiquent les bagnes; ils en demandent la suppression prompte, immédiate, comme si le salut du royaume y était attaché!

Et ils ne proposent rien d'admissible en remplacement1!

Un homme remarquable, qui consacre sa vie, sa fortune et ses soins à tous les établissements utiles, un homme d'honneur et de savoir, à qui nous portons un vif attachement et une profonde estime, nous disait à Paris, au mois d'août dernier: «Nous ne voulons plus de bagnes en France. Dans deux ans ils seront détruits. Bien, lui répondîmes-nous, mais par quoi les

Ils vantent les prisons pénitentiaires d'Amérique, et ils ne savent pas choisir entre le système d'Auburn et celui de Philadelphie! Il est vrai que le choix est bien difficile; mais, encore un coup, il faut choisir, et bien choisir, avant de détruire ce qu'un siècle a laborieusement établi.

Avant de parler des bagnes (même en peu de mots et en hésitant comme ils le font), ils auraient dû se souvenir de ces paroles de Duport, l'un des principaux orateurs de l'Assemblée nationale: «Il faut habiter Brest ou Toulon pour savoir quel est le sort d'un galérien; » et, pour rendre ces paroles plus vraies encore, Duport aurait dû ajouter : «Et ce n'est que dans le bagne, et après un long examen, qu'on peut bien le savoir. »

Enfin les écrivains dont nous parlons auraient dû comprendre que ce n'est pas dans quelques heures ni dans quelques jours qu'on peut juger de la situation et du sort des galériens. Ce n'est pas en parcourant unc salle ou deux, en regardant leur mode d'enchaînement, leur habillement bigarré suivant les classes, leur nourriture, leur pose tranquille sur leurs bancs, etc., etc.; ce n'est pas enfin sur des inspections si courtes, si légères et si peu instructives, que l'on peut croire avoir pris une connaissance exacte et approfondie d'un bagne.

Ce serait agir comme un aveugle qui, au retour d'un voyage, prétendrait avoir soigneusement exploré le pays qu'il aurait parcouru.

Il faut enfin que la vérité élève sa voix : nous allons ła faire entendre, et nous avons la confiance que nous serons écouté.

Placé à la tête d'un bagne de trois mille comdamnés, dont plas de onze cents sont à perpétuité; chargé de la direction d'un tel établissement, nous nous croyons en droit d'ex

remplacerez-vous ? — Ah! nous répliqua-t-il, nous ne sommes pas encore bien d'accord sur ce point, mais nous ne voulons plus de bagnes!>

Insensés! ils veulent détruire et ils ne savent comment remplacer!

primer librement notre opinion, fondée sur la connaissance de tous les détails de cet important service si peu connu et si étrangement jugé dans le monde.

La population du bagne est composée d'hommes nés dans toutes les classes de la société.

On y voit des propriétaires, des négociants, des médecins, des notaires, des avocats, des fabricants, des artisans, des paysans, d'anciens militaires, des charretiers, des domestiques, etc., etc.

Tous ces condamnés, soit à perpétuité, soit à temps, sont confondus pêle-mêle dans les mêmes localités, soumis au même régime, aux mêmes règlements, aux mêmes punitions, aux mêmes récompenses, à la même nourriture, aux mêmes travaux, à la même surveillance.

En un mot, une égalité inflexible règne au bagne parmi tous ces hommes que les lois ont flétris1.

Ce personnel peut se diviser en quatre grandes classes, savoir :

1° Plusieurs hommes de sang, criminels endurcis, qui n'ont échappé au supplice que par miracle ou par suite de ces funestes circonstances atténuantes qu'une loi humaine avait eu raison d'introduire dans nos codes, mais que la faiblesse et l'incurie ont appliquées, et appliquent encore si souvent, d'une manière qui serait absurde, si elle n'était immorale, atroce et fatale pour la société, qui s'en indigne.

Au nombre de ces hommes de sang, de ces criminels endurcis, dont on ne peut plus rien espérer, se trouvent

Les législateurs ont pensé que l'égalité des peines était la conséquence naturelle de l'égalité des droits et des devoirs.

Nous examinerons plus tard ce principe, et nous exprimerons un avis consciencieux sur cette grave question. Nous avons à présenter à ce sujet des déveJoppements assez étendus.

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