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après; elles ont méprifé les fottifes des écoles, mais elles n'ont pas toujours ofé s'élever contr'elles, parce qu'il y a des fottifes qu'on refpecte, attendu qu'elles tiennent à des chofes refpectables.

Les gens de lettres qui ont rendu le plus de fervice au petit nombre d'êtres penfans répandus dans le monde, font les lettrés ifolés, les vrais favans renfermés dans leur cabinet, qui n'ont ni argumenté fur les bancs des univerfités, ni dit les chofes à moitié dans les académies.; & ceux-là ont prefque tous été perfécutés. Notre miférable espèce eft tellement faite que ceux qui marchent dans le chemin battu jettent toujours des pierres à ceux qui enfeignent un chemin.

nouveau.

Montefquieu dit que les Scythes crevaient les yeux à leurs efclaves, afin qu'ils fuffent moins diftraits en battant leur beurre ; c'eft ainfi que l'inquifition en ufe, & presque tout le monde eft aveugle dans les pays où ce monftre règne. On a deux yeux depuis plus de cent ans en Angleterre ; les Français commencent à ouvrir un œil : mais quelquefois il fe trouve des hommes en place qui ne veulent pas même permettre qu'on foit borgne.

Ces pauvres gens en place font comme le docteur Balouard de la comédie italienne, qui ne veut être fervi que par le balourd arlequin, & qui craint d'avoir un valet trop pénétrant.

Faites des odes à la louange de monseigneur Superbus fadus, des madrigaux pour fa maîtreffe, dédiez à fon portier un livre de géographie, vous ferez bien éclairez les hommes, vous ferez écrasé.

reçu ;

Defcartes eft obligé de quitter fa patrie, Gaffendi eft calomnié, Arnauld traîne fes jours dans l'exil; tout philofophe eft traité comme les prophètes chez les Juifs.

Qui croirait que dans le dix-huitième fiècle un philofophe ait été traîné devant les tribunaux féculiers & traité d'impie par les tribunaux d'argumens, pour avoir dit que les hommes ne pourraient exercer les arts s'ils n'avaient pas de mains ? Je ne défefpère pas qu'on ne condamne bientôt aux galères le premier qui aura l'infolence de dire qu'un homme ne penserait pas s'il était fans tête; car, lui dira un bachelier, l'ame eft un efprit pur, la tête n'eft que de la matière; DIEU peut placer l'ame dans le talon, auffi-bien que dans le cerveau: partant, je vous dénonce comme un impie.

Le plus grand malheur d'un homme de lettres n'est peut-être pas d'être l'objet de la jaloufie de fes confrères, la victime de la cabale, le mépris des puiffans du mondé, c'est d'être jugé par des fots. Les fots vont loin quelquefois, furtout quand le fanatifme se joint à l'ineptie, & à l'ineptie l'efprit de vengeance. Le grand malheur encore d'un homme de lettres eft ordinairement de ne tenir à rien. Un bourgeois achète un petit office, & le voilà foutenu par fes confrères. Si on lui fait une injuftice, il trouve auffitôt des défenfeurs. L'homme de lettres eft fans fecours; il reffemble aux poiffons volans; s'il s'élève un peu, les oifeaux le dévorent; s'il plonge, les poiffons le

mangent.

Tout homme public paye tribut à la malignité, mais il eft payé en deniers & en honneurs..

LIBELL E.

ON N nomme libelles de petits livres d'injures. Ces livres font petits, parce que les auteurs ayant peu de raifons à donner, n'écrivant point pour inftruire, & voulant être lus, font forcés d'être courts. Ils y mettent très-rarement leurs noms, parce que les affaffins craignent d'être faifis avec des armes défendues.

Il y a les libelles politiques. Les temps de la ligue & de la fronde en regorgèrent. Chaque difpute en Angleterre en produit des centaines. On en fit contre Louis XIV de quoi fournir une vafte bibliothèque.

Nous avons les libelles théologiques depuis environ feize cents ans : c'eft bien pis; ce font des injures facrées des halles. Voyez feulement comment faint Jérôme traite Ruffin & Vigilantius. Mais depuis lui les difputeurs ont bien enchéri. Les derniers libelles ont été ceux des moliniftes contre les janféniftes, on les compte par milliers. De tous ces fatras il ne refle aujourd'hui que les feules Lettres provinciales.

Les gens de lettres pourraient le difputer aux théologiens. Boileau & Fontenelle, qui s'attaquèrent à coups d'épigrammes, difaient tous deux que les libelles dont ils avaient été gourmés n'auraient pas tenu dans leurs chambres. Tout cela tombe comme les feuilles. en automne. Il y a eu des gens qui ont traité de libelles toutes les injures qu'on dit par écrit à fon prochain.

Selon eux les pouilles, que les prophètes chantèrent quelquefois aux rois d'Ifraël, étaient des libelles

diffamatoires pour faire foulever les peuples contre eux. Mais comme la populace n'a jamais lu dans aucun pays du monde, il eft à croire que ces fatires, qu'on débitait fous le manteau, ne fefaient pas grand mal. C'eft en parlant au peuple affemblé qu'on excite des féditions bien plutôt qu'en écrivant. C'eft pourquoi la première chofe que fit, à fon avénement, la reine d'Angleterre Elifabeth, chef de l'Eglife anglicane & défenfeur de la foi, ce fut d'ordonner qu'on ne prêchât de fix mois fans fa permiffion expreffe.

L'Anti-Caton de Céfar était un libelle; mais Céfar fit plus de mal à Caton par la bataille de Pharfale & par celle de Tapfa que par fes diatribes.

Les Philippiques de Cicéron font des libelles; mais les profcriptions des triumvirs furent des libelles plus terribles.

S' Cyrille, St Grégoire de Nazianze firent des libelles contre le grand empereur Julien ; mais ils eurent la générofité de ne les publier qu'après sa mort.

Rien ne reffemble plus à des libelles que certains manifeftes de fouverains. Les fecrétaires du cabinet de Moustapha, empereur des Ofmanlis, ont fait un libelle de leur déclaration de guerre.

DIEU les en a punis, eux & leur commettant. Le même efprit qui anima Cefar, Cicéron & les fecrétaires de Monfapha, domine dans tous les poliffons qui font des libelles dans leurs greniers; Natura eft femper fibi confona. Qui croirait que les ames de Garaffe, du cocher de Vertamon, de Nonotte, de Paulian, de Fréron, de Langleviel dit la Beaumelle, fuffent, à cet égard, de la même trempe que les ames de Céfar, de Cicéron, de St Cyrille & du fecrétaire de l'empereur des Ofmanlis? rien n'eft pourtant plus vrai.

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LIBERTÉ.

Ou je me trompe fort, ou Locke le définiffeur a

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très-bien défini la liberté puissance. Je me trompe encore, ou Colins célébre magiftrat de Londres eft le feul philofophe qui ait bien approfondi cette idée ; & Clarke ne lui a répondu qu'en théologien. Mais de tout ce qu'on a écrit en France fur la liberté, le petit dialogue fuivant eft ce qui m'a paru de plus net.

A. Voilà une batterie de canons qui tire à nos oreilles, avez vous la liberté de l'entendre ou de ne l'entendre pas ?

B. Sans doute, je ne puis pas m'empêcher de

l'entendre.

A. Voulez-vous que ce canon emporte votre tête & celles de votre femme & de votre fille qui fe promènent avec vous ?

B. Quelle propofition me faites-vous là ? je ne peux pas tant que je fuis de fens raffis vouloir chofe pareille, cela m'eft impoffible.

A. Bon; vous entendez néceffairement ce canon, & vous voulez néceffairement ne pas mourir vous & votre famille d'un coup de canon à la promenade; vous n'avez ni le pouvoir de ne pas entendre, ni le pouvoir de vouloir refter ici?

B. Cela eft clair. (a)

(a) Un pauvre d'efprit, dans un petit écrit honnête, poli, & furtout bien raisonné, objecte que fi le prince ordonne à B. de refter expofé au canon, il y reftera. Oui, fans doute, s'il a plus de courage, ou plutôt plus de crainte de la honte que d'amour de la vie, comme il arrive trèsfouvent. Premièrement, il s'agit ici d'un cas tout différent. Secondement,

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