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mot, avec cette vive curiosité qui jamais ne se lasse, il a interrogé chacun sur sa spécialité; et il est allé de temps en temps, loin du monde et de ses distractions, dans la solitude féconde de chez Varignon, faire de petites retraites scientifiques et méditer sur ses progrès dans les connaissances exactes.

C'est ainsi que, sans jamais être devenu spécialiste lui-même, il s'est mis en état de parler, sans trop d'inexpérience, de la spécialité de chacun. Ici encore, et comme autrefois pour le Mercure, il « est de la maison », et on le sent tout de suite. Personne d'ailleurs n'est plus capable de mettre en beau et clair langage les idées les plus difficiles et les plus abstraites. Il est né pour être vulgarisateur. L'Académie des sciences, où il ne compte que des amis, est la première à le reconnaître, et elle le met enfin à sa vraie place en le choisissant, en 1697, pour son secrétaire perpétuel. Toutes les ambitions de Fontenelle sont satisfaites désormais, il ne demandera et ne désirera plus rien1.

:

Il fut de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il fut de l'Académie de Nancy, de Berlin, de Rouen, de Rome, etc. Cet amour de Fontenelle pour les Académies était devenu proverbial, dit Charma. Un dialogue de Rivarol (Cf. Mélanges littéraires, de FAYOLLE, 1816, p. 1-18) entre Voltaire, Lamotte et Fontenelle nous montre Fontenelle « rassemblant dans un bosquet de myrtes quelques ombres académiques, tenant des séances et se faisant ainsi le secrétaire éternel des morts » ; et Lamotte y avoue que son ami « ne peut supporter l'idée d'une nation sans Académie, semblable à ces Romains qui ne concevaient pas l'Empire sans le Capitole ou le Capitole sans l'Empire (Cf. aussi CHARMA, Biographie; et l'édition Bastien, t. VIII, p. 364-376.)

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1

CHAPITRE III

DE 1697 A LA MORT (1757)

Il eut à cœur de se montrer digne de la confiance dont ses collègues l'avaient honoré, et il apporta à l'exercice de ses nouvelles fonctions la conscience la plus délicate et la probité la plus scrupuleuse. Sans renoncer au bel esprit et tout en restant fort répandu dans le monde, il mit une espèce de coquetterie à être avant tout secrétaire de l'Académie des sciences, et il fut toujours un secrétaire perpétuel modèle. Il semble que pour lui, désormais, toutes autres occupations aient été subordonnées à celle-là. Dès le lendemain de sa nomination, pourrait-on dire, il commençait sa tâche, et trois ans après, en 1702, paraissait le premier volume de la grande histoire de l'Académie. C'était sans doute aller assez vite en besogne: Fontenelle, cependant, éprouva le besoin d'excuser ce qu'il considérait comme un retard. « Selon le règlement donné par le roi à l'Académie royale des sciences au commencement de l'année 1699, cette histoire aurait dû paraître à la fin de cette même année. Mais, comme par ce règlement l'Académie entière se renouvelait, il a fallu quelque temps pour donner à toutes choses un premier

mouvement qu'il sera désormais facile d'entretenir1. »

Facile ou non, le mouvement fut entretenu en effet, et avec une régularité tout simplement admirable. A partir de l'année 1702, l'Histoire de l'Académie s'accrut chaque année d'un volume. Le secrétaire eut beau fournir la plus longue des carrières, sa ponctualité n'eut jamais de défaillance 2.

1 Il est amusant de voir comment son panégyriste Le Cat constate ce changement d'occupations. « Nous avons peint jusqu'ici M. de Fontenelle livré tour à tour aux méditations sérieuses et aux distractions agréables des Muses les plus enjouées; dorénavant sa lyre et sa musette vont être déposées au Temple de Mémoire; le Berger de l'Isle de Delos n'en conservera plus que le titre et les récréations; Apollon lui offre un théâtre plus noble, plus vaste, plus digne de la supériorité de ses talents, plus conforme à son âge et à ses goûts. Fontenelle va être autorisé, par ses devoirs, à se livrer sans réserve à cette ardeur pour la physique et la géométrie qui, au milieu de la saison des plaisirs, l'avait si souvent arraché à leurs attraits. »

2 Son élection à l'Académie française n'avait pas été suivie, et pour cause, des mêmes manifestations d'activité. « M. de Fontenelle, dit Le Cat, fut six ans dans ce Corps respectable, sans donner au public aucun ouvrage digne de remarque. » Il est cependant probable que c'est entre 1691 et 1699 qu'il composa les opuscules Sur l'existence de Dieu, Du bonheur, De l'origine des fables (Cf. TRUBLET, Moreri.) Il fit aussi quelques poésies; et, comme il avait autrefois collaboré avec Mlle Bernard, « il fit plus qu'aider son intime ami M. Brunel, dans le beau discours qui remporta le prix de l'Académie française en 1695. Il avait avoué à feu M. de La Motte, et depuis il m'a avoué à moi-même, qu'il avait fait ce discours. C'est une faute contre l'exacte probité; M. de Fontenelle était de l'Académie depuis 1691. » TRUBLET, Mercure, avril 1757.

que

Fontenelle avait même récidivé, mais dans des circonstances moins graves. Il composa plus d'une fois les discours de M. Le Haguais, et de bien d'autres encore; « mais ce n'est dans les derniers temps de sa vie qu'il en est convenu, ou du moins qu'il a nommé quelques-uns de ceux pour lesquels il avait travaillé, et qui ne vivaient plus. Il ne parlait même de ces ouvrages de commande que pour dire quelque fait singulier, ou quelque trait plaisant dont ils avaient été l'occasion. Il ne se vanpas; il contait, et contait très bien, surtout en très peu de mots. Il jouait même ses contes. En voici un par exemple qu'il faisait très plaisamment. Il avait composé un discours pour un jeune magistrat d'un nom célèbre dans les fastes de Thémis (M. Bignon.) Il connaissait fort le père de ce magistrat et dinait quelquefois chez lui. Le fils, bien sûr du secret,

tait

Il aurait pu borner là ses efforts: il voulut se donner un mérite encore plus rare. Aux termes du règlement, le secrétaire ne devait à l'Académie son histoire qu'à dater de son renouvellement, c'est-à-dire à partir de 1699. Mais laisser complètement de côté les premières années de l'Académie eût été mutiler d'avance le monument qu'on se proposait d'élever à sa gloire; et Fontenelle reprit bravement toute l'histoire de la compagnie depuis 1666. Son prédécesseur, Du Hamel, l'avait déjà écrite, mais c'était en latin. Fontenelle attendit donc que Du Hamel fût mort; par un de ces raffinements de délicatesse qui lui étaient habituels, il attendit même que son nom fùt tout à fait oublié; et ce n'est qu'en 1733 qu'il publia, en français, l'histoire de l'Académie avant son renouvellement. Du Hamel était mort depuis vingt-sept ans.

s'était donné à son père pour auteur de la pièce et lui en avait laissé copie. Un jour, mais longtemps après, le magistrat père, qui avait donné à dîner à M. de Fontenelle, lui dit qu'il voulait lui lire une bagatelle de son fils, qui sûrement lui ferait plaisir. M. de Fontenelle avait totalement oublié qu'il eût fait ce discours; mais il se le rappela dès les premières lignes, et par une sorte de pudeur il ne donna à la pièce que pou de louanges et très faibles, et d'un ton et d'un air qui les affaiblissaient encore. La tendresse ou la vanité paternelle en furent piquées, et la lecture ne fut point achevée. « Je vois bien, dit le magistrat, que cela n'est pas de votre goût. C'est un style aisé, naturel, pas trop correct peut-être, un style d'homme du monde. Mais à vous autres messieurs de l'Académie, il faut de la grammaire et des phrases, etc. » TRUBLET, Mercure, avril 1757. On sait enfin que Fontenelle a écrit le discours que prononça Dubois dans la première séance de l'assemblée du clergé, en 1723; et qu'il a composé, toujours pour le cardinal Dubois, en 1719, le fameux manifeste qui devait précéder immédiatement la déclaration de la guerre méditée alors contre l'Espagne. Sans Ꭹ mettre plus de scrupule, le président Hénault, pour le lit de justice que le jeune Louis XV dut tenir à l'occasion de sa majorité, écrivit le discours du roi, celui du régent, et celui du garde des sceaux.

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De quelles qualités fit preuve le nouveau secrétaire perpétuel, nous essaierons de le dire plus loin avec quelque détail; mais ce furent qualités éminentes, et peut-être uniques'. Pour quelques inexactitudes et quelques erreurs d'ailleurs si excusables dans cet

énorme entassement de mémoires et d'analyses! que d'expositions lumineuses, de résumés pénétrants, de discussions fines! L'Histoire de l'Académie montre de quoi Fontenelle eût été capable, s'il n'avait jamais appliqué son esprit qu'aux choses sérieuses 2; et les deux préfaces qu'il mit aux volumes des années 1666 et 1699 font le plus grand honneur à son intelligence, nous allions presque écrire à son génie. Elles frappèrent d'admiration la France et l'Europe, pour parler lė langage des contemporains. L'éloge n'est pas excessif; ce sont bien des chefs-d'œuvre. Ne fût-il que l'auteur de ces pages, Fontenelle mériterait d'être sauvé de l'oubli.

Il est à remarquer d'ailleurs que tout ce qui touchait à l'Académie des sciences lui portait un bonheur singulier. C'est avec lui que commença l'usage de faire l'éloge des académiciens défunts on s'était contenté jusqu'alors d'une simple mention historique et tout le

1 Les fonctions du secrétaire perpétuel sont délicates, comme il est facile de s'en convaincre par cet extrait du règlement de l'Académie, de 1699. « Le secrétaire sera exact à recueillir en substance tout ce qui aura été proposé, agité, examiné et résolu dans la Compagnie, à l'écrire sur son registre par rapport à chaque jour de l'assemblée, ainsi qu'à y insérer les traités dont on aura fait lecture...; et, à la fin de décembre de chaque année, il donnera au public un extrait de ses registres, ou une histoire raisonnée de ce qui se sera fait de plus remarquable dans l'Académie. »> On peut voir, dans la Préface de 1699, dans quel esprit l'Académie voulait que fût fait ce travail.

2 Cette Histoire se compose de deux parties : l'histoire générale de l'Académie, de ses travaux, etc., et les Éloges des académiciens.

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