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stryges valent bien les brucolaques, les goules, les aspioles, les égré gores et toute la hideuse population nocturne des lieux abandonnés, et Lothario, à force d'errer dans ce rêve de pierre, commençait à éprouver des inquiétudes nerveuses, des frissons maladifs. Il n'avait sur lui qu'un mince habit de soirée; le froid humide et sépulcral de ces salles souterraines l'enveloppait comme un drap mouillé. La fatigue et le découragement l'envahissaient; sa lanterne s'était éteinte, sa torche diminuait, et que ferait-il quand elle aurait jeté sa dernière lueur, pris dans cette obscurité intense, perdu dans ce labyrinthe de passages, de couloirs, de chambres, d'escaliers, de planchers effondrés qui pouvaient l'engloutir et le jeter, les os brisés, au fond d'un noir plus absolu, plus opaque encore? Cette manière de mourir, quoiqu'il n'y en ait pas de bonne, lui paraissait particulièrement désagréable. En e fet, pour un prince Donati, c'était une fin piteuse que de crever comme un rat sous un tas de décombres. Aussi, se disait-il pourquoi cette grue de Dafné ne m'a-t-elle pas dit la chose, je lui aurais donné le double de ce que lui offrait ma dramatique marâtre, et au lieu d'errer parmi ces tas de pierres et de briques, d'où je ne sortirai peut-être jamais, je dormirais bien à mon aise dans ce grand lit de renaissance à corniche sculptée. »

(

Un commencement de fièvre faisait danser des hallucinations dans son cerveau; hallucinations qui se représentaient en fantômes exté rieurs. Il croyait voir le squelette coiffé d'un chapeau venir à lui avec des grimaces obséquieuses et des révérences exagérées, le priant, au nom des deux autres cadavres, de vouloir bien faire le quatrième à une partie de whist. Depuis longtemps, ils attendaient cette occasion, mais les mœurs s'étant adoucies, on ne jetait plus personne aux oubliettes. Puis la vision changeait. Les statues quittaient leurs niches, les peintures se détachaient des murailles et exécutaient autour de lui des sarabandes d'une nudité mythologique, « le délire antique vaut mieux que le délire moderne, se disait Lothario, ces danseuses aux transparentes draperies roses sont plus jolies que ces squelettes en haillons et le bruit de leur crotales d'or est préférable à ces craquements de jointures.

Se sentant envahir par les chimères de la fièvre, le prince fit un violent effort sur lui-même et ramena au logis sa raison qui s'envolail. Ainsi rasséréné, il continua sa route, et bientôt un bruit d'eau cou rante et comme le grondement d'une cascade, vint frapper son oreille. La conduite qui menait l'eau dans la salle des thermes s'était affaissée depuis longtemps sous la pression des terres, et la source extravasé s'était fait un lit à travers les ruines et courait rapidement vers une

ouverture sombre où elle déversait sa nappe noire, zébrée de serpents de feu par le reflet de la torche. Une poutre jetée d'un bord à l'autre, formait un pont étroit que Lothario hésitait à franchir, craignant quelque bascule, quelque rupture habilement ménagée. Mais il se décida bien vite, sa position ne pouvant guère empirer. La poutre ne fléchit pas sous les pieds du prince et ne lui joua aucun mauvais tour. Il se trouva de l'autre côté dans une suite de chambres relativement moins délabrées. Par les crevasses des voûtes filtrait une faible lueur bleue, car, pendant tout ce voyage souterrain, les heures s'étaient écoulées et l'aurore se levait sur la campagne romaine. La clarté devint bientôt plus vive et Lothario put abandonner sa torche. Le jour entrait dans la ruine à travers des fissures obstruées d'herbes et de broussailles. Des colonnes aux cannelures frustes, aux chapiteaux émoussés, supportaient les arcs des voûtes, et aux murailles dépouillées de leurs revêtements de marbre, les plantes pariétaires, pour en voiler la nudité, avaient suspendu leurs vertes draperies. Au fond, brillait comme une étoile, une petite percée de ciel bleu. Se hissant sur un monceau de briques, de fragments de pierre et de marbre mêlés de terre, Lothario parvint jusqu'à l'ouverture qu'il n'eut pas besoin d'élargir pour y passer, car, nous l'avons dit, il était svelte et mince. S'appuyant sur la paume des mains, il souleva son corps et se trouva bientôt hors du gouffre, en pleine lumière, au milieu d'un troupeau de buffles qui le regardaient avec une stupeur farouche, et reniflaient à son aspect en secouant la bave de leurs muffles et en grattant la terre de leurs sabots. Lothario les écarta doucement en leur disant les mots auxquels ils ont l'habitude d'obéir, et il s'éloigna d'eux à pas lents sans en être poursuivi.

La lumière rose et bleue du matin s'étalait sur la vaste campagne déserte, dorant les arches des aqueducs et faisant scintiller par places les flaques d'eau amassées aux plis du terrain. Des fumées légères indiquant les feux de pâtre, montaient dans l'air limpide, et les bondrées, cherchant leur proie, décrivaient des cercles dans l'azur au-dessus de la grandiose solitude. A l'horizon, se découpait la silhouette de Rome, dominée par le dôme de Saint-Pierre, semblable à une montagne arrondie. Le prince savoura avec une inexprimable volupté cet air pur, ce vent frais, cette lumière sereine, cette calme et splendide magnificence de la nature; sa poitrine oppressée pendant plusieurs heures par la voûte de ces ruines souterraines qui pouvaient être pour lui le couvercle du sépulcre, se dilatait délicieusement. Il remontait du gouffre à la surface, il revivait, il ressuscitait.

Une calèche qui avait mené la veille, des voyageurs à Castel-Gandolfo revenait à vide. Lothario la hêla, et en moins d'une heure le galop des petits chevaux romains, si actifs et si pleins de feu, l'avait ramené à son palais; il se coucha et dormit d'un profond somme. Lorsqu'il se leva vers midi, il murmura en bâillant et en s'étirant : « Et l'on dit qu'il n'arrive plus d'aventures! »

La disparition de Violanta resta toujours inexplicable, une instruction fut commencée et abandonnée faute d'indices. Les âmes pieuses dirent que le diable avait emporté la princesse, qui s'adonnait à la magic. A Rome, cette explication ne semble pas invraisemblable. Le fils du ténor Ambrosio prit les fièvres et mourut.

VII

La Dafné était retournée à Paris, où le jeune attaché d'ambassade vint la rejoindre. Elle avait repris sa vie habituelle. Mais, au dernier carnaval, comme elle était en train de souper, au Café Anglais, avec quelques biches et quelques gandins de la plus belle eau, faisant grand tapage et commençant à briser les cristaux, un jeune homme pâle, à favoris noirs, et de l'air le plus distingué, se trompant sans doute de numéro ouvrit la porte du cabinet, ayant au bras un très-élégant domino bleu ramené de l'Opéra. Le jeune homme qui n'était autre que Lothario, s'excusa poliment de s'être introduit de la sorte en si bonne compagnie, et il allait se retirer lorsque Dafné se levant toute droite, les yeux hagards, la figure livide, exprimant une indicible terreur comme si elle voyait un spectre, murmura d'une voix étranglée :

Oh! les morts reviennent donc. » Puis elle tomba raide, renversant sa chaise et entraînant la nappe de ses mains crispées; elle était plus blanche que sa robe de taffetas blanc, et la mort lui mettait aux joues sa terrible poudre de riz.

On s'empressa autour d'elle, on la releva, mais tout ce qu'on fit fut inutile.

Elle murmura encore quelques mots étranges: la femme noire, l'œil gauche du sphinx de droite, presser le bouton, patatra, » et elle mourut.

-Eh bien, voilà une jolie fin, dit Zerbinette; Dafné est crevée d'une indigestion d'écrevisses à la bordelaise, c'était fatal. On périt toujours par ce qu'on aime.

Ce fut toute l'oraison funèbre de Mlle Dafné de Montbriand, et pour achever sa disgrâce, la mort, qui aime la vérité, ne la reçut au cimetière Montmartre que sous le nom de Mélanie Tripier.

A vrai dire, elle ne méritait pas d'autre oraison funèbre ni d'autre épitaphe.

Le prince Lothario, avait discrètement refermé la porte, .et dans le cabinet voisin, il soulevait la barbe de dentelles du domino bleu qui ne voulait pas se démasquer, et prenait sur des lèvres qui disaient « non », un baiser qui disait « oui ».

THÉOPHILE GAUTIER.

L'ART MODERNE

DEPUIS DAVID

Lorsque le XVIIIe siècle s'éteignait sous les souffles âpres et vigoureux qui s'élevaient des rivages froids de l'antiquité, lorsqu'il achevait de livrer ses compositions pleines de poésie avec Prudhon, chez qui nous feuilletons ses dernières pages, un homme était déjà venu, athlète d'une époque épuisée, dont le fier pinceau n'allait posséder que les sévérités, les graves sourires, et quelque chose d'inflexible dans sa pureté comme la vertu sombre et la sauvage grandeur du vieil Horace. Il allait avec son génie lumineux mais sans chaleur, son style éloquent mais sans éclat, et qui ne sait pas palpiter dans sa brièveté comme une période de Tacite, son audace qui n'a jamais possédé le coloris de la violence, il allait remanier tout un siècle; et s'il n'avait pas en lui les souffles d'un poëme épique à faire jouer en une tête d'Homère, du moins il avait un sentiment profond de la manière de Phidias. Avec David, la forme allait s'épurer sans le rayonnement, comme l'intelligence sans l'amour. C'était la foi moins ses vertiges, la vaillance sans émotion.

Peut-être était-il nécessaire que l'art, un peu amolli, un peu affaissé et entièrement dominé par la Régence, pût absorber des séves plus énergiques et plus fécondes, et qui fissent de nouveau circuler en lui cette vie qui s'écoulait lentement sous des influences tièdes et appesantissantes. Le vent qui avait passé sur les touffes de roses des bosquets de Cypris, dont l'haleine embaumée jetait dans l'âme je ne sais quelle langueur, ne déposait dans l'oreille du songeur que les murmures des

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