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cienne foi religieuse de la nation, que les philosophes de la Constituante auraient sans doute été inhabiles à la prévenir. La résistance du clergé à la Révolution française était dans la force même des choses: tôt ou tard l'opinion devait rencontrer le dogme et s'y heurter. Seulement le terrain de la lutte était mal choisi; ce n'est point sur une question financière, sur le refus de salaire en cas de refus de serment, qu'il fallait appuyer le défi jeté à l'Église.

Ici, du moins, la Révolution manqua de courage; elle n'osa point se donner elle-même une foi religieuse. D'une main en même temps audacieuse et timide, elle ouvrit le Panthéon aux ombres des philosophes; mais elle ne proclama pas le culte spirituel des grands hommes. Elle aussi avait ses saints et ses martyrs; mais elie les déposa froidement dans de muets tombeaux, dont ne sortit point le rayon de l'immortalité.

ARSENE HOUSSAYE.

LE IX THERMIDOR

FRAGMENTS

DES

MÉMOIRES DE BARRAS

La Révolution a eu trois Barras, comme elle a cu trois Lameth, deux Robespierre, deux Mirabeau. Un premier Barras a été coupé en morceaux, le deuxième fut condamné à mort; le troisième, Paul Barras, le plus célèbre, a traversé toute la Révolution, a parcouru l'Empire, et a fini sa carrière avec celle de la Restauration.

En 1792 il arrive du département du Var au château des Tuileries, à titre de député de la Convention. La Convention le nomme son représentant auprès de l'armée d'Italie, où il se rencontre avec Napoléon Bonaparte. Napoléon prend Toulon. Barras est proconsul à Toulon et à Marseille. Revenu à Paris, la Terreur veut le dévorer. Robespierre va se défaire de Barras, parce qu'il veut se défaire de tous les proconsuls. Barras s'associe à Tallien, à Fouché, à Fréron, et c'est Robespierre qui tombe.

Le lendemain du 9 thermidor, Barras est commandant de la force armée de Paris. Il dit à la tribunc qu'il n'y a d'autre Convention que celle du 9 thermidor.

Il est ensuite le grand nom du Directoire. Il avait fait l'éloge de Bonaparte et

l'avait fait nommer général : après le 18 brumaire, Barras s'offre à Bonaparte consul.

Barère a laissé ses Mémoires que MM. Carnot et David d'Angers ont publiés en quatre volumes. Les Mémoires de Barras sont restés inédits entre les mains de M. Hortensius de Saint-Albin. Barras a joué avec Tallien le premier rôle le 9 thermidor. On pourrait réclamer une part d'action pour Mme Tallien, qui clle aussi jouait les premiers rôles dans cette tragédie héroïque. C'est donc une bonne fortune pour la Revue du XIXe siècle que la publication de ces pages sur l'histoire de la chute de Robespierre, où nous trouvons les plus curieuses révélations.

Nous devons ces fragments à M. Hortensius de Saint-Albin, qui nous promet de publier bientôt ces célèbres Mémoires, qu'on croyait égarés à Frohsdorff.

I

Fouché a revendiqué la gloire d'avoir porté les coups les plus mortels à Robespierre; le fait est que, pour se dérober à sa colère, et, s'il l'eût pu, à sa mémoire implacable, Fouché ne paraissait plus à la Convention nationale et ne couchait plus chez lui. Seulement le soir, sous divers déguisements, il faisait sa ronde chez les collègues qui étaient occupés à préparer l'attaque contre Robespierre.

Le moment de la crise approchait. Le 8 thermidor, Robespierre, dans le nuage des idées contraires qui l'assiégeaient, crut devoir prononcer à la Convention un discours aussi long que vague, mystérieux et menaçant.

Écouté dans un profond silence, il n'obtint pas l'approbation de l'assemblée. Plus confiant dans les jacobins, et bien assuré d'y avoir raison, il se rendit le soir à ce théâtre de ses triomphes ordinaires et non contestés, et il y fit entendre de nouveau le discours que la Convention avait désapprouvé. Deux députés présents, et des citoyens, dirent que Robespierre était un dominateur qui voulait élever autel contre autel, et renverser ce qu'il y avait de plus sacré. Ces députés et ces citoyens furent insultés par le peuple des jacobins. Collot et Billaud, qui avaient cru pouvoir soutenir le combat même dans l'arène qui appartenait exclusivement à Robespierre, firent un reproche à ce dernier de ce qu'il n'avait pas communiqué son discours au comité de salut public, où il ne siégeait plus depuis près de deux mois. Ces réflexions parurent plus qu'impertinentes envers les hauts personnages; elles soulevèrent les jacobins; le bruit fut extrême, et les deux dépu

tés poursuivis par les huées abandonnèrent la tribune, où Couthon monta aussitôt pour faire l'éloge du discours attaqué et de son auteur. Il dénonça la conspiration du comité de salut public contre la liberté; il considéra comme opinion politique du gouvernement, l'opinion qui émanait des jacobins.

La société violemment agitée mit à la porte le député Brival. Plusieurs membres de la Convention nationale furent en même temps. forcés de s'esquiver. Le comité de sûreté générale avait demandé copie du discours de Robespierre; elle lui fut refusée; le tumulte ne faisait que s'augmenter, et promettait déjà d'être bien autrement sérieux pour le lendemain.

Le 9 thermidor, Vadier ouvrit l'attaque dans la Convention, de la manière la plus singulière; il accusa Robespierre de s'être opposé aux mesures que les comités avaient voulu prendre contre les conspirateurs: Cambon se réunit à Vadier. Robespierre, dit-il, ne s'était-il pas opposé au décret sur les rentiers? >>

«

Barère attendait, pour prendre un parti, qu'il pût le faire sans danger, quand on vit arriver le collègue Saint-Just, d'un air profond et concentré. Il parut à la tribune, et commença ce discours par la phrase éloquente de celui de Robespierre qui la veille avait causé tant d'agitation.

Tallien l'interrompit : « Il faut déchirer le rideau qui couvre tant de crimes,» s'écria-t-il courageusement *.

Robespierre se croyait encore maître absolu de la tribune dont il disposait depuis si longtemps d'une manière exclusive. Quel est son étonnement, lorsqu'il s'y présente à son tour, de n'y pouvoir obtenir la parole!

C'était Collot qui présidait la Convention; il était par sa vigueur l'un des plus capables de tenir tête à Robespierre; il en soutint le choc avec fermeté, jusqu'à ce que Tallien vint prendre part au combat en articulant contre Robespierre les reproches les plus inattendus. L'éternel accusateur de tout le monde était abasourdi de la position d'accusé, où, pour la première fois, il se trouvait lui-même, et il ne tarda pas à perdre la tête.

Après avoir promené ses regards incertains sur les diverses parties de l'assemblée, il les arrêta sur la droite. Il invoquait ses membres

* Tallien, amoureux, Tallien qui allait mourir deux fois, puisqu'il aimait passionnément celle qu'il a épousée depuis et qui était déjà marquée pour l'échafaud, ful, il faut le reconnaître, celui qui joua le plus résolùment sa tête au 9 hermidor.

avec la plus humble douceur. Il les appelait hommes purs et il traitait de brigands les députés de la Montagne; lorsque de tous les côtés des clameurs s'élevèrent; sa voix fut couverte par ces mots : « A bas le tyran, à bas le nouveau Catilina ! » Thuriot venait de remplacer Collot au fauteuil; Robespierre, se tournant avec fureur vers celui-ci : « Président des assassins, s'écriait-il, je te demande la parole!» Thuriot la lui refuse et agite la sonnette avec une violence supérieure à tous les efforts de Robespierre. Quelques voix de députés s'avançant sur lui avec le geste de la menace, se font entendre: « Tais-toi, bourreau, le › sang de Danton te coule dans la bouche, il t'étouffe. »

De toutes les parties de la salle, surtout de celles où siégent les membres du gouvernement, on réclama le décret d'accusation contre Robespierre: le décret fut rendu.

Pendant qu'on mettait aux voix le décret d'accusation, on remarqua qu'il roulait entre ses mains un canif tout ouvert; il regardait la tribune comme invoquant encore, même alors qu'il ne pouvait plus parler, ces adhésions populaires, instruments de sa puissance, qu'il avait depuis si longtemps obtenues par ses discours. Voulait-il se tuer avec ce canif qui avait suffi à Valazé, l'une de ses victimes? Était-ce le courage qui manquait à Robespierre, ou avait-il conservé l'espérance de triompher encore?

Cette espérance pouvait être fondée, la Convention était remplie ce jour-là de ses partisans. Ils avaient reflué des jacobins, où la veille ils avaient fait le serment de se réunir. Les juges du tribunal révolutionnaire, les jurés, l'état-major d'Henriot, occupaient l'intérieur même de la salle; soit que la cause de Robespierre fût dans le fanatisme sincère, soit qu'elle fût dans le calcul de la peur de tous ces individus, il n'est pas moins certain qu'ils étaient là, attendant les victimes que Teutatès leur aurait livrées. Robespierre n'avait qu'un mot à dire, il lui aurait suffi d'un signe pour faire égorger la Convention nationale, mais Robespierre était vaincu déjà dans l'organe de sa puissance, sa voix était exténuée, ses paroles étouffées par des cris unanimes.

Robespierre n'avait pas à sa disposition l'action militaire que peut obtenir le geste seul du commandement. Il n'avait pas assez d'audace pour lever un pan de sa robe comme Romulus, ou pour frapper comme Sylla.

Il lui aurait fallu un fantôme de légalité nominal, derrière lequel il dirigeât toutes les rigueurs agréables à ses passions haineuses, et qui lui laissât le prétexte de pouvoir dire encore qu'il avait agi régulièrement, afin qu'on fût obligé d'agir aussi régulièrement envers lui!

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