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des Contes de La Fontaine, du Voyage de Chapelle, 1664-1667 et des premières Satires de Boileau, date des an- Æt. 43-46 nées 1664 et 1665 36.

Souvent ces joyeux convives s'amusoient des distractions de La Fontaine, et faisoient contre lui d'innocentes conspirations; ils l'avoient tous surnommé le bon homme. Plusieurs anecdotes, relatives à ce qui se passoit alors dans leur intimité, nous ont été conservées par eux-mêmes, ou transmises par d'Olivet et Louis Racine à qui ils les avoient racontées : il en est une qui prouve jusqu'à quel point le mérite, en apparence si humble, de La Fontaine, étoit apprécié par ces hommes supérieurs 37.

La Fontaine

est surnom

mé le Bon

homme.

liere sur La

Un jour Molière soupoit avec Racine, Despréaux, Mot de MoLa Fontaine, et Descoteaux, fameux joueur de flûte. Fontaine. La Fontaine étoit ce jour-là encore plus qu'à son ordinaire plongé dans ses distractions. Racine et Despréaux, pour le tirer de sa léthargie, se mirent à le railler si vivement, qu'à la fin Molière trouva que c'étoit passer les bornes. Au sortir de table il poussa Descoteaux dans l'embrasure d'une fenêtre, et lui parlant d'abondance de cœur, il lui dit : « Nos >> beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'efface>> ront pas le bon homme. »

Rabelais, ainsi que nous l'avons déjà dit, étoit un des auteurs favoris de La Fontaine, qui l'admiroit follement. Dans une réunion qui eut lieu chez Boileau, et où se trouvoient Racine, Valincour, et un frère de Boileau, docteur en Sorbonne, celuici se mit à disserter sur saint Augustin, et en fit un

Naïveté de La Fontaine.

1664-1667 pompeux éloge. La Fontaine, plongé dans ses Et. 43-46 rêveries habituelles, écoutoit sans entendre; enfin cependant il se réveilla comme d'un profond sommeil pour prouver qu'il avoit bien saisi le sujet de la conversation, il demanda d'un grand sérieux au docteur, s'il croyoit que saint Augustin eût plus d'esprit que Rabelais. Le docteur, surpris, le regarda depuis la tête jusqu'aux pieds, et pour toute réponse: Prenez garde, lui dit-il, M. de La Fontaine, vous avez mis un de vos bas à l'envers. » Ce qui étoit vrai 38.

sion sur les

parte.

Quand La Fontaine étoit animé par la discussion, Sa discus il étoit tout aussi difficile d'interrompre le fil de ses idées, que de le tirer de sa léthargie apparente, lorsqu'il étoit plongé dans ses méditations. Dans l'un et dans l'autre cas, il étoit insensible au bruit et aux discours qui avoient lieu autour de lui. Dans un dîner qu'il fit avec Molière et Despréaux, on se mit à discuter sur le genre dramatique. La Fontaine condamna les à parte. « Rien, disoit-il, n'est plus » contraire au bon sens. Quoi! le parterre entendra ce qu'un acteur n'entend pas, quoiqu'il soit à côté de celui qui parle! » Comme il s'échauffoit en soutenant son sentiment, de façon qu'il n'étoit pas possible de l'interrompre et de lui faire comprendre un seul mot; « Il faut, disoit Despréaux » à haute voix, tandis qu'il parloit: il faut que » La Fontaine soit un grand coquin, un grand ma>> raud. » Despréaux répétoit continuellement les mêmes paroles sans que La Fontaine cessât de disserter. Enfin l'on éclata de rire; sur quoi, La Fon

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taine revenant à lui comme d'un rêve interrompu: 1664-1667 <«< De quoi riez-vous donc? » demanda-t-il. « Com- Æt. 43-46 » ment, lui dit Despréaux, je m'épuise à vous

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injurier fort haut, et vous ne m'entendez point,

quoique je sois si près de vous, que je vous touche; » et vous êtes surpris qu'un acteur sur le théâtre » n'entende point un à parte, qu'un autre acteur » dit à côté de lui 39 ? »

à

Anerdute de

La Fontaine

et de Mad, de

Bouillon.

Cependant on a étrangement exagéré ces distractions et ces rêveries de La Fontaine, et on a cru tort d'après une anecdote mal interprétée, qu'elles le plongeoient dans une sorte d'insensibilité physique. La duchesse de Bouillon, allant à Versailles, rencontra le matin La Fontaine, qui rêvoit seul sous un arbre du Cours, et le soir, en revenant, elle le trouva dans le même endroit et dans la même attitude, quoiqu'il eût plu toute la journée. Ce fait prouve seulement que La Fontaine aimoit mieux travailler en plein air que dans l'enceinte d'une chambre, et qu'il préféroit se mettre à couvert sous un dais de verdure plutôt que sous un toit sombre et triste. Nul ne croira certainement qu'il n'avoit pas changé de position depuis la première fois que la duchesse l'avoit rencontré. Il s'étoit bien trouvé le matin dans ce lieu solitaire, et il étoit retourné le soir. En effet tous les endroits lui étoient bons pour travailler; il n'eut jamais de ca- travailler en binet particulier, ni de bibliothèque : mais il se plaisoit davantage dans la solitude des champs; et il nous apprend qu'il aimoit surtout les frais ombrages, les verts tapis des prés, et le doux bruit des ruisseaux 4o.

y

La Fontaine aimoit a

plein air.

à

La Fontaine

Thierry.

1664-1667 La Fontaine alloit tous les ans en automne à Æt. 43-46 Château-Thierry, pour l'arrangement ou plutôt le Voyages de dérangement de ses affaires : ses dépenses excédoient Chateau ses revenus; il établissoit la balance en vendant régulièrement une portion de son patrimoine. Alors les réunions des cinq amis se trouvoient interrompues, parce que La Fontaine emmenoit avec lui Boileau et Racine. Molière étoit trop occupé pour céder à ses instances; et Chapelle, qui d'ailleurs quittoit difficilement la capitale, eût été, par les habitudes qu'il avoit contractées, un compagnon de voyage fort incommode. C'est à Château-Thierry que Boileau conçut l'idée de sa satire sur le festin, et qu'il trouva une partie des originaux qu'il a mis en scène, entre autres celui qui dit,

Statuts des réunions de

Vieux - Colombier.

Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture;
A mon gré, le Corneille est joli quelquefois.

A leur retour de Château-Thierry, les réunions la rue du de la rue du Vieux-Colombier recommençoient plus fréquentes qu'auparavant, et parmi les plaisanteries qui égayoient les repas, une des plus bouffonnes, sans contredit, étoit d'avoir toujours ouvert sur une table le poëme de la Pucelle de Chapelain, pour servir à celui qui avoit commis quelques fautes dignes de punition. Selon les statuts de la société, celui qui s'étoit rendu coupable d'une faute grave devoit lire vingt vers de ce poëme ; l'arrêt qui condamnoit à lire la page entière étoit assimilé à un arrêt de mort". Ces vrais amis ne se contentoient pas de se faire respectivement sur leurs ouvrages de salutaires cri

Anecdote de

Boileau et de

Chapelle.

tiques, ils cherchoient aussi à se corriger mutuelle- 1664-1667 ment des défauts qu'ils observoient en eux; mais t. 43-46 cela étoit plus difficile. Tous faisoient de continuelles réprimandes à Chapelle, sur sa passion pour le vin. Boileau, le rencontrant un jour dans la rue, lui en voulut parler. «Vous avez raison, dit Chapelle, je me corrigerai; mais entrons ici, nous en causerons plus à notre aise. » Ils entrèrent tous deux dans un cabaret, et Chapelle demanda une bouteille qui fut bientôt suivie d'une autre, puis celle-ci, d'une troisième; Chapelle, écoutant avec attention et d'un air repentant, remplissoit le verre de Boileau, qui, s'animant dans son discours, buvoit toujours sans s'en apercevoir, jusqu'à ce qu'enfin le prédicateur et le nouveau converti s'enivrèrent 3. Depuis lors, Boileau se promit de renoncer à corriger Chapelle de son inclination pour le vin. De même les quatre on veut réamis échouèrent contre l'invincible antipathie de Fontaine avec La Fontaine, lorsqu'ils entreprirent de le racommoder avec sa femme. Mme de La Fontaine, qui se trouvoit alors à Paris, avec son mari, mécontente de lui, l'avoit quitté, et s'étoit retirée à ChâteauThierry. On fit comprendre à La Fontaine que cette séparation ne lui faisoit point honneur, et on l'engagea à faire un voyage à Château-Thierry, pour se réconcilier avec sa femme. Boileau et Racine lui firent tant d'instances, qu'il se fit violence, et partit dans la voiture publique. Arrivé chez sa femme, il trouva une domestique qui ne le connoissoit pas, et qui lui dit que Madame étoit au Salut. La Fontaine,

concilier La

sa femme.

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