Page images
PDF
EPUB

>>

1658-1664 composa aussi plus tard une ode sur le même sujet, At. 37-43 et la fit parvenir à Fouquet 88, afin d'avoir ses observations avant de la faire paroître. La fierté et le courage du surintendant n'avoient point été abattus par un an et demi d'une dure captivité; car, dans une apostille à une des strophes de cette ode, il dit au poëte qu'il demandoit trop bassement pour lui une chose que l'on doit mépriser, c'est-à-dire la vie. Mais, lui répond La Fontaine, peut-être n'avez-vous >> pas considéré que c'est moi qui parle; moi qui » demande une grâce qui nous est plus chère qu'à » vous. Il n'y a point de termes si humbles, si pathétiques et si pressants, que je ne m'en doive >> servir en cette rencontre : quand je vous intro» duirai sur la scène, je vous prêterai des paroles » convenables à la grandeur de votre âme. » Nous voyons aussi par cette lettre de La Fontaine, que Fouquet qui, deux ans auparavant, avoit été un des régulateurs des destinées de la France, ne put rien comprendre à la strophe où le poëte invite le monarque à détourner sa colère d'un sujet déjà trop puni, pour la diriger contre Rome et Vienne qui osent le braver. Fouquet avoit été pendant quelque temps tellement séparé de tout commerce humain, qu'il prit cette allusion aux affaires d'Europe pour une déclamation téméraire et déplacée, et qu'il demandoit la suppression de la strophe. Ainsi l'aventure des Corses, l'insulte faite au duc de Créquy, la saisie d'Avignon déjà ordonnée, étoient des événements qui n'existoient pas pour lui 89.

LIVRE DEUXIÈME.

est lié avec

Racine.

PARMI ARMI ceux qu'une même inclination pour les 1658-1664 lettres, et surtout pour la poésie, avoit liés avec La Et. 37-43 Fontaine, il étoit un jeune homme qui s'unit avec lui de la plus étroite amitié. Ce jeune homme n'avoit La Fontaine encore composé que des vers d'assez mauvais goût; mais, quoiqu'il fût de plus de dix-huit ans moins âgé que La Fontaine, il avoit fait des études plus profondes et plus complètes, et il étoit plus que lui initié dans la connoissance des modèles de l'antiquité : la langue d'Homère lui étoit familière, et La Fontaine se faisoit souvent expliquer par lui les œuvres de ce prince des poëtes '. Ce jeune homme, c'étoit Racine. Il étoit de la Ferté-Milon, pays de la femme de La Fontaine, ce qui leur procura des connoissances communes à tous deux et des occasions plus fréquentes de se trouver ensemble; mais l'estime qu'ils conçurent , l'un pour l'autre, la confiance mutuelle qui en fut la suite, les rapports sympathiques de deux cœurs susceptibles d'attachement, purent seuls donner à cette liaison ce degré de stabilité et de durée qui la rendit inaltérable.

Pendant le procès de Fouquet, le jeune Racine se trouvoit à Uzès, chez un de ses oncles génovéfain, qui s'engageoit à lui résigner tous ses bénéfices s'il embrassoit l'état ecclésiastique. Racine s'étoit fait

1658-1664 tonsurer, et étudioit la théologie par intérêt et par At. 37-43 nécessité; mais son goût l'entraînoit vers la littéra

ture, et il regrettoit la capitale, les sociétés qu'il y
avoit laissées, les plaisirs qu'il y avoit goûtés. Les
lettres de La Fontaine qui lui rappeloient tout cela,
et le mettoient au courant de toutes les nouvelles de
théâtre et du beau monde, étoient sa principale res-
source contre l'ennui qui l'obsédoit. En effet,
presque toutes les lettres qui nous restent de La
Fontaine présentent un mélange d'esprit, de fran-
chise et de bonhomie qui leur donnent un charme
tout particulier. Il les entremêle presque toujours
de vers, et passe heureusement et avec facilité du
langage de la
prose à celui de la poésie.

La première lettre que Racine écrivit dès qu'il fut arrivé en Languedoc, fut adressée à La Fontaine qui, ainsi que lui, avoit eu les fièvres peu de temps auparavant. «< Tout ce que j'ai vu ne m'a pas empêché de songer autant à vous que je le faisois, lorsque nous nous voyions tous les jours:

Avant qu'une fièvre importune
Nous fit courir même fortune,
Et nous mit chacun en danger
De ne plus jamais voyager.

Comme si alors tout dût être commun entre ces deux amis, ils se ressembloient non seulement par leur goût pour la poésie, mais aussi par leur inclination pour les femmes : la lettre dont nous venons de parler le prouve, et n'a pas été lue par ceux qui ont prétendu que c'étoit sous le beau ciel du Lan

t. 37-43 Première

lettre de Racine à La Fon

taine.

guedoc que Racine avoit reçu les premières leçons 1658-1664 de l'amour. « Je ne me saurois, écrit le jeune Racine, empêcher de vous dire un mot des beautés de cette province; on m'en avoit dit beaucoup de bien à Paris; mais, sans mentir, on ne m'en avoit encore rien dit auprès de ce qui en est, et pour le nombre et pour l'excellence: il n'y a pas une villageoise, pas une savetière qui ne disputât de beauté avec les Fouilloux et les Meneville. Toutes les femmes y sont éclatantes, et s'y ajustent d'une façon qui leur est la plus naturelle du monde; et pour ce qui est de leur personne,

Color verus, corpus solidum et succi plenum *.

Mais, comme c'est la première chose dont on m'a dit de me donner de garde, je ne veux pas en parler davantage; aussi bien ce seroit profaner une maison de bénéficier comme celle où je suis, que d'y faire de longs discours sur cette matière, domus mea, domus orationis **; c'est pourquoi vous devez vous attendre que je ne vous en parlerai plus du tout. On m'a dit soyez aveugle. Si je ne le puis être tout-à-fait, il faut du moins que je sois muet : car, voyez-vous, il faut être régulier avec les réguliers, comme j'ai été loup avec vous et avec les autres loups vos compères. Adîou sias. >>

Ce langage n'est certainement pas d'un novice.

* Un coloris vrai, un corps ferme, la fleur de l'embonpoint et de la santé. TERENT. Eun. Act. II, sc. v.

** Ma maison est une maison de prière.

Fouilloux et

Meneville.

1658-1664 Mais disons quelles étoient ces beautés célèbres si Et. 37-43 bien connues de La Fontaine, auxquelles Racine comparoit les femmes du Languedoc. Mademoiselle De Miles de Fouilloux dont presque tous les éditeurs de Racine ont défiguré le nom3, amie intime de Me de La Vallière, paroît avoir été, comme elle, attachée à MADAME; elle reçut du roi cinquante mille écus pour épouser le marquis de Sourdis 4. Mademoiselle de Meneville qui étoit fille d'honneur de la reine, n'eut pas un sort aussi heureux : lorsqu'on saisit les papiers de Fouquet, on trouva des lettres de dames de la cour qu'il avoit conservées. « Alors, dit la bonne Mme de Motteville, on vit qu'il y avoit des femmes et des filles qui passoient pour sages, et qui ne l'étoient pas 5.» Mlle de Meneville fut une des plus compromises par cette enquête qui fut faite chez le surintendant. Elle fut chassée et forcée de se retirer dans un couvent. Mme de La Fayette dit que c'étoit une des plus belles personnes de ce temps. Le duc d'Anville (auparavant comte de Brionne) en étoit amoureux, et avoit voulu l'épouser ".

Poignant dont nous avons déjà parlé, l'ami commun de La Fontaine et de Racine, se trouve souvent mêlé dans leur correspondance 7. On voit que Racine écrivoit à Poignant sans espoir de réponse; mais il n'en étoit pas de même à l'égard de La Fontaine. Dans une lettre à l'abbé Le Vasseur, Racine dit : « M. de La Fontaine m'a écrit, et me mande force nouvelles de pièces de poésies, et surtout des pièces de théâtre. Je m'étonne que vous ne m'en

« PreviousContinue »