Page images
PDF
EPUB

pas en Europe. A la vérité, les Jésuites le vendoient 1679-1682 au poids de l'or; par cette raison il n'étoit adminis- t. 58-61 tré qu'à petites doses, et il ne faisoit aucun bien, ou faisoit du mal. Cependant s'il eut ses détracteurs, il eut aussi ses partisans: divers médecins écrivirent en sa faveur; mais ce ne fut qu'en 1679 que le chevalier de Talbot, en l'administrant, infusé dans du vin, fit des cures si répétées, qu'enfin le quinquina attira l'attention de tous les gens de l'art, et fut préconisé comme un remède souverain contre la fièvre. Il fut connu en France sous le nom de remède anglais. Lorsque Colbert et plusieurs seigneurs de la cour eurent été guéris par ce moyen, Louis XIV donna au chevalier Talbot deux mille louis d'or et une pension annuelle de deux mille francs pour obtenir de lui la manière de préparer et de prendre le quinquina, et il fit en même temps acheter à Cadix et à Lisbonne une très-grande quantité de ce spécifique pour les hôpitaux de son royaume. C'est dans ces circonstances que Mme la duchesse de Bouillon, qui avoit épousé avec chaleur la cause du quinquina, crut qu'un des moyens les plus efficaces d'en propager l'usage, étoit de faire célébrer ses vertus par la Muse de La Fontaine, chérie du public, et devenue en quelque sorte populaire. On voit cependant que notre poëte pressentoit combien étoit ingrate la tâche qu'on lui imposoit, et qu'il ne s'en acquittoit qu'à regret, et comme malgré lui.

ne

Je ne voulois chanter que les héros d'Esope;
Pour eux seuls en mes vers j'invoquois Calliope;

1679-1682

El. 58-61

Même j'allois cesser, et regardois le port.
La raison me disoit que mes mains étoient lasses:
Mais un ordre est venu plus puissant et plus fort
Que la raison ; cet ordre accompagné de grâces,
Ne laissant rien de libre au cœur ni dans l'esprit,
M'a fait passer le but que je m'étois prescrit.
Vous vous reconnoissez à ces traits, Uranie:
C'est pour vous obéir, et non pas par mon choix,
Qu'à des sujets profonds j'occupe mon génie.
Disciple de Lucrèce une seconde fois 19.

Par ce dernier vers La Fontaine fait allusion au discours sur l'âme des bêtes, adressé à Mme de La Sablière, et inséré dans ses fables.

Il est un passage du poëme du Quinquina, qui mérite d'être remarqué, parce qu'il nous prouve que La Fontaine, reconnoissant envers ses bienfaiteurs, étoit juste même envers ceux dont il n'avoit pas à se louer. Colbert, qui n'avoit jamais pu oublier que La Fontaine étoit l'ami et le panégyriste de Fouquet, ne l'avoit point compris au nombre des gens de lettres, auxquels il fit distribuer, de la part du roi, des gratifications et des pensions. La FonLa Fontaine taine, qui, dans ce poëme, avoit célébré la guérison du ministre, comme un exemple connu et remarquable des effets du remède qu'il préconisoit, n'en saisit pas moins cette occasion de le louer des encouragements qu'il donnoit aux lettres.

loue Colbert.

Et toi que le quina guérit si promptement,
Colbert, je ne dois point te taire;

D'autres que moi diront ton zèle et ta conduite,
Monument éternel aux ministres suivants;
Ce sujet est trop vaste, et ma Muse est réduite
A dire les faveurs que tu fais aux savants 20.

Contes de Belphegor et

d'Ephèse.

Malgré la médiocrité du poëme du Quinquina, 1679-1682 et celle de l'opéra de Daphné", le volume qui 7. 58-61 contenoit ces deux ouvrages, eut du succès, parce que l'auteur y joignit son charmant conte de Bel- de la Matrone phégor", qui n'avoit pas encore paru, et celui de la Matrone d'Ephèse13, qui semble avoir été imprimé séparément, en 1664, mais que La Fontaine, par une raison que nous ignorons, n'avoit pas fait réimprimer dans aucun des recueils de contes qu'il avoit publiés pendant ce long intervalle de temps. Le même volume renferme aussi deux actes d'un opéra, intitulé Galatée, que La Galatée, Fontaine avoit commencé. « Mais, dit-il dans son

[ocr errors]
[ocr errors]

avant-propos, l'inconstance et l'inquiétude qui >> me sont si naturelles, m'ont empêché d'achever les » trois actes, à quoi je voulois réduire ce sujet. Peut-être est-il fâcheux que La Fontaine n'ait pas terminé cette petite pièce; les deux actes qui nous en restent promettoient quelque chose de mieux que Daphné. Elle commence par une chanson charmante, qui fut mise en musique, dans le temps, par Lambert; et Mathieu Marais, qui écrivoit peutêtre plus de vingt ans après, nous dit que, de son temps, cette chanson se trouvoit dans la bouche de tout le monde 25.

opéra

la naissance du duc de Bourgogne. Gaon 1682

La Fontaine avoit chanté le mariage du dauphin Baitades sur dans son épître à Mme de Fontanges; et, deux ans et demi après, il composa deux ballades sur la naissance de Louis, duc de Bourgogne 26, dont l'enfance devoit bientôt protéger sa vieillesse. La dauphine

1682-1684 accoucha le 6 août 1682, et La Fontaine eut bien 1.61-63 raison de dire, dans une de ses ballades :

La Fontaine sollicite

démie.

une

Or est venu l'enfant tant souhaité.

Jamais événement ne produisit une plus grande alégresse. « Chacun, dit Choisy, se donnoit la liberté d'embrasser le roi. La foule le porta, depuis la Surintendance où Me la dauphine accoucha, jusqu'à ses appartements; il se laissoit embrasser à qui vouloit. Le bas peuple paroissoit hors de sens; on faisoit des feux de joie, et tous les porteurs de chaises brûloient familièrement la chaise dorée de leur maîtresse. Ils firent un grand feu dans la cour de la galerie des Princes, et y jetèrent une partie des lambris et des parquets, destinés pour la grande galerie. Bontemps, en colère, le vint dire au roi, qui se mit à rire, et dit : « qu'on les laisse faire; »> nous aurons d'autres parquets. » La joie parut aussi vive à Paris, et fut de bien plus longue durée; les boutiques furent fermées trois jours durant; toutes les rues étoient pleines de tables, où les passants étoient conviés et forcés de boire sans payer; et tel artisan mangea cent écus, dans ces trois jours, qu'il ne gagnoit pas dans une année 27. »

La mort de Colbert qui eut lieu, le 6 septemplace à l'Aca-bre 168328, laissoit une place vacante dans l'Académie française. La Fontaine avoit publié presque toutes ses fables et presque tous ses contes, Boileau avoit fait paroître l'Art poétique, le Lutrin, neuf de ses satires, et neuf de ses épîtres, et ni

:

l'un ni l'autre de ces deux grands poëtes n'é- 1682-1684 toient de l'Académie. Il faut avouer pour la justifi- Æ7. 61-63 cation de ce corps, que, sous le rapport des convenances morales, les contes du premier, comme, sous le rapport des convenances sociales, les satires du second, formoient des motifs d'objections trèsfondés mais cette compagnie comprit enfin que c'étoit s'illustrer elle-même que d'admettre dans son sein, deux hommes qui faisoient la gloire de la littérature française seulement ses membres ne s'accordoient pas sur celui qu'il falloit recevoir le premier. La Fontaine qui désiroit vivement être nommé, mit dans cette affaire plus de suite et de constance que son caractère indolent ne sembloit le comporter. Il écrivit, dit-on, une lettre à un prélat, membre de l'Académie, pour témoigner quelques regrets de la licence de ses écrits, et pour promettre de n'en plus composer de semblables 29. Comme il craignoit la concurrence de Boileau, il le pria de se désister en sa faveur. Boileau lui dit Boileau, que, si l'Académie lui faisoit l'honneur de le nommer, il accepteroit, mais qu'il ne feroit aucune démarche. Cependant les amis de Boileau cherchèrent autant qu'ils le purent à empêcher la nomination de son concurrent: un d'eux, l'académicien Roze, qui étoit Roze attaque secrétaire du cabinet du roi, et président d'une cour dans l'Acadésouveraine, jeta sur la table de l'Académie un des volumes des Contes de La Fontaine, comme pour faire honte à la compagnie de penser à choisir un homme qui étoit l'auteur d'écrits aussi licencieux. S'aperce

Il est le concurrent de

La Fontaine

mie.

« PreviousContinue »