1675-1679 Dans ce second recueil, La Fontaine s'est abanEt. 54-58 donné, plus que dans le premier, à ces retours sur lui-même, à cette sensibilité douce, naïve, atti rante, qui donnoit tant de charme à son caractère; à ces effusions d'un bon cœur, qui prêtent à tous ses écrits un attrait irrésistible. Dans cette admirable fable des deux pigeons, avec quels tendres accents il regrette et redemande les plaisirs qu'il a goûtés dans l'amour! Amants, heureux amants, voulez-vous voyager? Que ce soit aux rives prochaines. Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau, Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. Pour qui, sous le fils de Cythère, Je servis engagé par mes premiers serments. Voyez quelle douce et sublime philosophie, quel calme et quelle tranquillité d'un cœur pur et en paix avec lui-même, respirent dans les voeux qu'il forme à la suite de cet apologue oriental, intitulé le Songe d'un habitant du Mogol; combien les adieux qu'il fait à la vie impriment à l'âme de sentiments touchants, et la pénètrent d'une mélancolie pleine de charmes ! Si j'osois ajouter au mot de l'interprète, Elle offre à ses amants des biens sans embarras, Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous ses pas. Quand pourront les Neuf Sœurs, loin des cours et des villes. Que si je ne suis né pour de si grands projets, 1675-1679 Et. 54-58 Son amour pour la retraite. a pris les su sieurs des fables de ce se dans Pilpay. La Fontaine, ainsi qu'il le dit lui-même, a pris La Fontaine la plupart des sujets des fables de ce second recueil jets de pludans l'Indien Pilpay ou Bidpaï; mais il en a le plus sou-cond recueil, vent tellement changé le fond, qu'il pourroit à juste titre même réclamer le mérite de l'invention. Il est quelques fables, d'ailleurs, qu'il paroît avoir inventées, ou du moins dont les sources n'ont pu encore être découvertes par les commentateurs, qui ont épuisé tous leurs efforts sur ce sujet 99. D'autres fables ne sont qu'un trait d'histoire qui le frappoit I en est qui dans ses lectures, ou une anecdote qu'il avoit en- invention, o tendu raconter en société, ou enfin le récit de faits singuliers, qui prouvent l'intelligence des animaux, versations. Souvent même il intitule fable, le résumé d'une conversation, qui lui avoit paru intéressante, et sont de son qui lui ont été suggérées par ses lectures ou ses con Et. 54-58 mière fable 1675-1679 qui lui avoit suggéré des réflexions utiles et morales. C'est ainsi qu'il a versifié dans le premier apoSur la pre- logue du dixième livre, ce que Jean Sobieski, depuis du Livre 10. roi de Pologne, lui avoit raconté chez Mme de La Sablière des castors de son pays; la même fable contient aussi divers faits vrais, sur l'intelligence de la perdrix et du rat, admirablement bien mis en vers. Mais lorsque La Fontaine, dans la neuSur la neuvième fable du livre XI, nous raconte qu'un chatdu Livre 11. huant, après avoir pris plusieurs souris, les entassa vieme fable oublie son dî dans son nid, leur coupa les pates avec son bec, pour les empêcher de s'enfuir, et les a nourries avec du blé pour pouvoir ensuite les dévorer à loisir, et qu'enfin il nous assure en note que ce fait est vrai, nous craignons qu'il n'ait été abusé par quelque observateur superficiel 100. Mathieu Marais rapporte que La Fontaine, étant à Antony, chez un de ses amis, ne se trouva point un jour à l'heure du dîner, et ne parut qu'après qu'on eut terminé le repas. On lui demanda où il étoit allé : La Fontaine il dit qu'il venoit de l'enterrement d'une fourmi; qu'il avoit suivi le convoi dans le jardin ; qu'il avoit reconduit la famille jusqu'à la maison, qui étoit la fourmilière, et il fit là-dessus une description du gouvernement de ces petits animaux, qu'il a depuis, dit Marais, portée dans ses fables, dans la Psyché, dans son SaintMalc 1o1. ner pour contempler des fourmis. 101 Nous croyons à la vérité de cette anecdote; les mœurs des fourmis sont si curieuses, si attachantes qu'elles attirent même l'attention du vulgaire et taine consi observateur. tude scienti nuisible dans des enfants, et il n'y a rien d'extraordinaire, selon 1675-1679 nous, à oublier son dîner, lorsqu'on se trouve un t. 54-58 peu fortement engagé dans la contemplation d'un si admirable spectacle. Mais il ne faut pas s'imaginer, comme on le pense communément, que La Fontaine eût étudié en véritable observateur, les mœurs et les habitudes des animaux; ce genre de mérite de- De La Fonmandoit une patience constante, et une tenacité dans déré comme les recherches, dont il n'étoit pas capable: cela même eût été, j'ose le dire, plus nuisible qu'utile à son but. Les hommes prêtent aux animaux des penchants semblables aux leurs, et ces préjugés rendent ces êtres bien plus propres à figurer utilement dans l'apologue une exactitude scientifique détruiroit Une exactisouvent toute illusion. Le naturaliste doit chercher que seroit à décrire et à faire connoître les êtres tels qu'ils sont réellement; le poëte fabuliste doit les peindre tels que le vulgaire les imagine : l'effet qu'il se propose de produire, sera manqué s'il contrarie les idées de ses lecteurs, par une science intempestive; car alors, ils seront plus occupés de ces nouvelles notions, qu'il veut leur donner, que du fond de l'aventure même qu'il raconte, et de la moralité qui en est le résultat. C'est ainsi qu'a pensé La Fontaine; les caractères d'animaux qu'il a tracés, se fondent sur les idées, que le peuple en a conçues, souvent justes, lorsqu'elles sont générales, mais aussi presque toujours inexactes, quand on descend dans les particularités. Si notre fabuliste avoit eu la moindre partie des connoissances en histoire natu l'apologue. 1675-1679 relle, qu'on lui a prêtées, il n'auroit pas versifié. Et. 54-58 sans y rien changer, cette ancienne fable d'Esope, De la fable intitulée, l'Aigle et l'Escarbot, dont l'absurdité est Liv, fab3, sans doute le résultat de quelque ancien contresens de l'Aigle et l'Escarbol, De celle qui a pour titre : commis par un traducteur ignorant. Il est singulier que, ni La Fontaine, ni ses commentateurs ne se soient aperçus qu'il étoit absolument impossible qu'un lapin put se retirer et se blottir dans le trou d'un scarabée 102. Parmi les apologues, qui doivent leur origine à le Gure et le des aventures réelles, qui se sont passées du temps de La Fontaine, on doit compter la onzième fable Mort. Liv. 7, fab. 11. du livre VII, intitulée le Curé et le Mort 103. Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille, en date du 26 février, lui marque : « M. de Bouflers a tué un homme après sa mort; il étoit dans sa bière en carrosse; on le menoit à une lieue de Bouflers pour l'enterrer; son curé étoit avec le corps. On verse; la bière coupe le cou au pauvre curé. » Ensuite, dans une autre lettre, en date du 9 mars 1672, elle lui dit : « Voilà cette petite fable de La Fontaine, sur l'aventure du curé de M. de Bouflers, qui fut tué roide en carrosse auprès de son mort: cet événement est bizarre, la fable est jolie, mais ce n'est rien au prix de celles qui suivront. Je ne sais ce que c'est que ce pot au lait 104. » Ainsi, d'après ces passages, on voit que ce petit apologue n'a pu être écrit qu'après le 26 février, qu'il circuloit déjà dans le monde le 9 mars; tant étoit grand l'empressement, que l'on mettoit à se procurer les moindres |