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cioit tout son mérite. Il fut même un de ceux, ainsi 1675-1679 que nous le dirons, qui contribuèrent le plus à sa Et.54-58 nomination.

est lié avec

Quoique La Fontaine ait deux fois travaillé pour La Fontaine l'Opéra, cependant il désapprouvoit ce genre comme M. de Niert. contraire au bon goût; mais il aimoit la musique, et les noms des meilleurs artistes des deux sexes, tant d'Italie que de France, lui étoient familiers. Aussi se plaisoit-il beaucoup dans la société de M. de Niert, premier valet-de-chambre du roi, amateur des beaux-arts, et surtout des médailles 7°; qui, par sa place, avoit une sorte d'intendance sur les spectacles, et particulièrement sur l'Opéra.

" à M. de Niert.

La Fontaine, dans une épître qu'il lui adressa. Epitre nous apprend" que la musique des Atto, des Léo- Janv. 1677. nora, fameux artistes d'Italie, ainsi que celle des Camus, des Gaultier, des Boësset, des Hémon, en France, étoient passées de mode; que Chambonnière et les Couperains n'étoient plus les premiers sur le clavecin, ni La Barre sur la flûte, ni Dubut sur le luth; et même que le célèbre Lambert, qui, avec sa belle-sœur Me Saint-Hilaire, donnoit de si délicieux concerts dans les appartements, les jardins et les bosquets, de sa maison de Puteaux-sur-Seine, avoit cessé de faire les délices des amateurs 72. Le goût étoit changé; on avoit abandonné le luth, le téorbe, la flûte, la viole on vouloit un plus grand fracas d'instruments.

Ce n'est plus la saison de Raymond ni d'Hilaire :
Il faut vingt clavecins, cent violons pour plaire.

1675-1679

Nous apprenons encore, par cette épître, que le

Et. 54-58 public français ne goûta point d'abord l'opéra, transporté d'Italie en France, par le cardinal de Mazarin 23, et que ce fut Louis XIV seul qui soutint ce spectacle, et le mit à la mode. Il est évident aussi, d'après ce que dit La Fontaine, qu'à cette époque l'art du décorateur ou du moins du machiniste étoit encore dans son enfance.

Des machines d'abord le surprenant spectacle
Eblouit le bourgeois, et fit crier miracle :
Mais la seconde fois, il ne s'y pressa plus;
Il aima mieux le Cid, Horace, Héraclius.
Aussi de ces objets l'âme n'est point émue,
Et même rarement ils contentent la vue.
Quand j'entends le sifflet, je ne trouve jamais
Le changement si prompt que je me le promets.
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste ;
Un dieu pend à la corde, et crie au machiniste;
Un reste de forêt demeure dans la mer,

Ou la moitié du ciel au milieu de l'enfer.

Si on oppose au poëte le charme produit par la réunion de tant d'arts divers, il répond :

De genres si divers le magnifique appas
Aux règles de chaque art ne s'accommode

pas.

Le bon comédien ne doit jamais chanter,
Le ballet fut toujours une action muette,
La voix veut le téorbe et non pas la trompette;
Et la viole, propre aux plus tendres amours,
N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours.
Mais Louis veut......

sur le théâtre, ainsi qu'à la campagne,
La foule qui le suit, l'éclat qui l'accompagne;
Grand en tout, il veut mettre en tout de la grandeur.
La guerré fait sa joie et sa plus forte ardeur;
Ses divertissements ressentent tous la guerre :
Ses concerts d'instruments ont le bruit du tonnerre,
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats
Qu'en un jour de combat font les cris des soldats.
Les danseurs, par leur nombre, éblouissent la vue,
Et le ballet paroît exercice, revue,

Jeu de gladiateurs; et tel qu'au champ de Mars,
En leurs jours de triomphe en donnoient les Césars.
Glorieux tous les ans de nouvelles conquêtes,
A son peuple il fait part de ses nouvelles fêtes,
Et son peuple qui l'aime et suit tous ses désirs,
Se conforme à son goût, ne veut que ses plaisirs.

La Fontaine se plaint ensuite de ce qu'on a trop d'engouement pour l'Opéra et pour Lully:

Le Français, pour lui seul contraignant sa nature,
N'a que pour l'Opéra de passion qui dure.
Les jours de l'Opéra, de l'un à l'autre bout,
Saint-Honoré, rempli de carrosses partout,
Voit, malgré la misère à tous états commune,
Que l'Opéra tout seul fait leur bonne fortune.
Il a l'or de l'abbé, du brave, du commis;
La coquette s'y fait mener par ses amis;
L'officier, le marchand tout son rôti retranche,
Pour y pouvoir porter tout son gain le dimanche.
On ne va plus au bal, on ne va plus au cours :
Hiver, été, printemps, bref, Opéra toujours;
Et quiconque n'en chante, ou bien plutôt n'en gronde
Quelque récitatif, n'a pas l'air du beau monde.
Avec mille autres biens le jubilé fera

Que nous serons un temps sans parler d'Opéra ;
Mais aussi de retour de mainte et mainte église,
Nous irons, pour causer de tout avec franchise
Et donner du relâche à la dévotion,

Chez l'illustre Certin faire une station :

Certin, par mille endroits également charmante,
Et dans mille beaux arts également savante;
Dont le rare génie et les brillantes mains

Surpassent Chambonnière, Hardel, les Couperains.
De cette aimable enfant le clavecin unique

Me touche plus qu'Isis et toute sa musique :
Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux
Pour contenter l'esprit, et l'oreille, et les yeux.

1675-1679 Æt.54-58

Mademoiselle
Certin.

Mlle Certin dont les talents furent développés par Détails sur Lully, devint célèbre par les beaux concerts qu'elle donnoit chez elle, et où les plus habiles compositeurs

portrait

de

1675-1679 faisoient porter leur musique ; mais, à l'époque à la1. 54-58 quelle La Fontaine écrivoit son épître, cette jeune virtuose, que M. de Niert faisoit élever, n'avoit pas plus de quinze ans 74. Ce fut alors qu'on célébra en France le jubilé, ouvert par le pape Clément X 25, jubilé, que notre poëte se proposoit de passer d'une manière si peu édifiante, et dont l'effet le plus efficace et le plus heureux, suivant lui, étoit de faire cesser les entretiens sur l'opéra, qui l'ennuyoient si fort. L'opéra d'Isis, de Quinault, fut joué pour la première fois le 5 janvier 1677. Ces deux circonstances fixent la date de la composition de cette épître de La Fontaine à la fin de 1676 ou au commencement de 1677. l'ers pour le On voit par des vers, faits pour le portrait de Mezetin quelque temps après l'époque où nous sommes, que La Fontaine s'amusoit de toutes sortes de spectacles, même des farces. Angelo Constantini, plus connu sous le nom de Mezetin, qui, dans les canevas italiens, représente toujours un intrigant, amusoit alors tout Paris par son talent pour les parades comiques; il devint assez célèbre pour que son portrait peint par De Troye fût gravé par Yvermeulen, et c'est pour ce portrait que La Fontaine fit les six vers, que Gacon nous a conservés, afin d'avoir occasion de rapporter deux mauvaises épigrammes qu'il avoit faites contre notre poëte 76. Liaison de La La Fontaine fréquentoit aussi la Champmeslé", la Chuqui ravissoit tous les amateurs du théâtre. Racine,

Mezclin.

Fontaine avec
Champ-

me

qui déclamoit les vers avec autant de perfection, qu'il les faisoit, avoit développé par ses leçons les

talents de cette actrice. L'élève fut quelque temps 1675-1679 reconnoissante envers un maître épris de ses char- . 54-58 mes 78; mais bientôt elle le quitta pour le fils de la marquise de Sévigné 79, qui fut ensuite remplacé par plusieurs autres. Cependant elle n'étoit rien moins que jolie ; mais elle étoit bien faite, avoit une belle taille; tous ses traits exprimoient la sensibilité; sa voix douce et pénétrante dans les rôles tendres acquéroit de la force et de l'énergie, quand la situation théâtrale le demandoit 8. Elle eut toujours une cour très-nombreuse; et, dans une lettre que La Fontaine lui écrivit de la campagne, alors que Louis XIV étoit au fort de ses conquêtes, et qu'elle se trouvoit entourée par beaucoup d'adorateurs, il lui dit : « Tout sera bientôt au roi de France, et à Lettre à » Mile de Champmeslé 82. » Nous voyons par cette même lettre, que La Fare, bien connu de La Fontaine à cause de sa grande intimité avec Me de La Sablière, étoit souvent chez la Champmeslé : La Fontaine s'y plaisoit beaucoup aussi, et il aidoit son mari, à la fois auteur et acteur, dans la composition de ses pièces. L'on croit que La Fontaine eut surtout la plus grande part à la petite comédie représentée sous le nom de Champmeslé, et intitulée, Je vous prends sans vert, Je vous prends qu'on a même insérée dans ses œuvres, comme médie. étant de lui, mais sans preuves suffisantes 3. M. de Tonnerre étoit alors l'amant en titre de la Champmeslé; La Fontaine qui s'amusoit beaucoup de sa gaieté, regrette dans sa lettre de ne plus se trouver exposé à ses niches et à ses brocards. Nous

83

Mademoiselle
Champ-

de

meslé. 1678.

sans vert, co

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