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cuser un curé sur cette conduite, par un usage reçu, qu'il trouve établi, et qu'il laissera à son successeur; mais c'est cet usage bizarre et dénué de fondement et d'apparence que je ne puis approuver, et que je goûte encore moins que celui de se faire payer quatre fois des mêmes obseques, pour soi, pour ses droits, pour sa présence, pour son assistance.

Tite, par vingt années de service dans une seconde place, n'est pas encore digne de la première, qui est vacante: ni ses talents, ni sa doctrine, ni une vie exemplaire, ni les vœux des paroissiens, ne sauroient l'y faire asseoir. Il naît de dessous terre un autre clerc ' pour la remplir. Tite est reculé ou congédié, il ne s'en plaint pas : c'est l'usage.

Moi, dit le chevecier, je suis maître du chœur: qui me forcera d'aller à matines? mon prédécesseur n'y alloit point, suis-je de pire condition? dois-je laisser avilir ma dignité entre mes mains, ou la laisser telle que je l'ai reçue ? Ce n'est point, dit l'écolâtre, mon intérêt qui me mène, mais celui de la prébende: il seroit bien dur qu'un

Ecclésiastique. (La Bruyère.)

grand chanoine fût sujet au chœur, pendant que le trésorier, l'archidiacre, le penitencier et le grand-vicaire, s'en croient exempts. Je suis bien fondé, dit le prevôt, à demander la retribution sans me trouver à l'office; il y a vingt années entières que je suis en possession de dormir les nuits, je veux finir comme j'ai commencé, et l'on ne me verra point déroger à mon titre : que me serviroit d'être à la tête d'un chapitre? mon exemple ne tire point à conséquence. Enfin c'est entre eux tous à qui ne louera point Dieu, à qui fera voir par un long usage qu'il n'est point obligé de le faire l'émulation de ne point se rendre aux offices divin ne sauroit être plus vive ni plus ardente. Les cloches sonnent dans une nuit tranquille; et leur mélodie qui réveille les chantres et les enfants de chœur, endort les chanoines, les plonge dans un sommeil doux et facile, et qui ne leur procure que de beaux songes: ils se lévent tard, et vont à l'église se faire payer d'avoir dormi.

Qui pourroit s'imaginer, si l'expérience ne nous le mettoit devant les yeux, quelle peine ont les hommes à se résoudre d'eux-mêmes à leur propre félicité, et qu'on ait besoin de gens d'un cer

tain habit, qui, par un discours préparé, tendre et pathétique, par de certaines inflexions de voix, par des larmes, par des mouvements qui les mettent en sueur et qui les jettent dans l'épuisement, fassent enfin consentir un homme chretien et raisonnable, dont la maladie est sans ressource, à ne se point perdre et à faire son salut?

La fille d'Aristippe est malade et en péril ; elle envoie vers son père, veut se réconcilier avec lui et mourir dans ses bonnes graces: cet homme si sage, le conseil de toute une ville, fera-t-il de lui-même cette démarche si raisonnable? y entraînera-t-il sa femme? ne faudra-t-il point pour les remuer tous deux la machine du directeur ?

Une mère, je ne dis pas qui cède et qui se rend à la vocation de sa fille, mais qui la fait religieuse, se charge d'une ame avec la sienne, en répond à Dieu même, en est la caution: afin qu'une telle mère ne se perde pas, il faut que sa fille se sauve.

Un homme joue et se ruine: il marie néanmoins l'aînée de ses deux filles de ce qu'il a pu sauver des mains d'un Ambreville. La cadette est sur le point de faire ses vœux, qui n'a point d'autre vocation que le jeu de son père.

Il s'est trouvé des filles qui avoient de la vertu, de la santé, de la ferveur, et une bonne vocation, mais qui n'étoient pas assez riches pour faire dans une riche abbaye vœu de pauvreté.

Celle qui délibère sur le choix d'une abbaye ou d'un simple monastère pour s'y renfermer, agite l'ancienne question de l'état populaire et du despotique.

Faire une folie et se marier par amourette, c'est épouser Mélite, qui est jeune, belle, sage, économe, qui plaît, qui vous aime, qui a moins de bien qu'Égine qu'on vous propose, et qui, avec une riche dot, apporte de riches dispositions à la consumer, et tout votre fonds avec sa dot.

Il étoit délicat autrefois de se marier; c'étoit un long établissement, une affaire sérieuse, et qui méritoit qu'on y pensât, l'on étoit pendant toute sa vie le mari de sa femme, bonne ou mauvaise même table, même demeure, même lit; l'on n'en étoit point quitte pour une pension: avec des enfants et un ménage complet, l'on n'avoit pas les apparences et les delices du célibat.

Qu'on évite d'être vu seul avec une femme qui n'est point la sienne, voilà une pudeur qui

est bien placee: qu'on sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des personnes dont la réputation est attaquee, cela n'est pas incomprehensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un homme de sa propre femme, et l'empeche de paroître dans le public avec celle qu'il s'est choisie pour sa compagne inseparable, qui doit faire sa joie, ses delices et toute sa société ; avec celle qu'il aime, et qu'il estime, qui est son ornement, dont l'esprit, le mérite, la vertu, l'alliance, lui font honneur ? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage?

Je connois la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise les esprits et contraint les mœurs, dans les choses même les plus dénuées de raison et de fondement : je sens néanmoins que j'aurois l'impudence de me promener au Cours, et d'y passer en revue avec une personne qui seroit ma femme.

Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme que d'épouser une femme avancée en âge; c'est quelquefois prudence, c'est précaution. L'infamie est de se jouer de sa bienfaitrice par des traitements indignes, et qui lui découvrent qu'elle est la dupe d'un hypocrite et d'un ingrat. Si la

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