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faits nobles? Ils ne sont pas si vains: c'est pour le profit qu'ils en reçoivent. Cela ne leur sied-il pas mieux que d'entrer dans les gabelles? je ne dis pas à chacun en particulier, leurs vœux s'y opposent, je dis même à la communauté.

Je le déclare nettement, afin que l'on s'y prépare, et que personne un jour n'en soit surpris: s'il arrive jamais que quelque grand me trouve digne de ses soins, si je fais enfin une belle fortune, il y a un Geoffroy de La Bruyère que toutes les chroniques rangent au nombre des plus grands seigneurs de France qui suivirent Godefroy de Bouillon à la conquête de la Terre-Sainte: voilà alors de qui je descends en ligne directe.

Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout ce qui n'est pas vertueux; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose.

Il y a des choses qui, ramenées à leurs principes et à leur première institution, sont étonnantes et incompréhensibles. Qui peut concevoir en effet que certains abbés à qui il ne manque rien de l'ajustement, de la mollesse, et de la vanité des sexes et des conditions, qui entrent auet franchises attachés à la noblesse, avoient acheté de charges de secrétaire du roi.

près des femmes en concurrence avec le marquis et le financier, et qui l'emportent sur tous les deux, qu'eux-mêmes soient originairement, et dans l'étymologie de leur nom, les pères et les chefs de saints moines et d'humbles solitaires, et qu'ils en devroient être l'exemple? Quelle force, quel empire, quelle tyrannie de l'usage! Et sans parler de plus grands désordres, ne doit-on pas craindre de voir un jour un simple abbé en velours gris et à ramages comme une éminence, ou avec des mouches et du rouge comme une femme?

Que les saletés des dieux, la Vénus, le Ganymède, et les autres nudités du Carache aient été faites pour des princes de l'Église, et qui se disent successeurs des apôtres, le palais Farnèse en est la preuve.

Les belles choses le sont moins hors de leur place: les bienséances mettent la perfection, et la raison met les bienséances. Ainsi l'on n'entend point une gigue à la chapelle, ni dans un sermon des tons de théâtre; l'on ne voit point d'images profanes dans les temples, un Christ, par exemple, et le Jugement de Pâris dans le

Tapisseries. (La Bruyère.)

même sanctuaire, ni à des personnes consacrées à l'église le train et l'équipage d'un cavalier.

I

Déclarerai-je donc ce que je pense de ce qu'on appelle dans le monde un beau salut, la décoration souvent profane, les places retenues et payées, des livres distribués comme au théâtre, les entrevues et les rendez-vous fréquents, le murmure et les causeries étourdissantes, quelqu'un monté sur une tribune qui y parle familièrement, séchement, et sans autre zéle que de rassembler le peuple, l'amuser, jusques à ce qu'un orchestre, le dirai-je? et des voix qui concertent depuis long-temps se fassent entendre? Est-ce à moi à m'écrier que le zèle de la maison du Seigneur me consume, et à tirer le voile léger qui couvre les mystères, témoins d'une telle indécence? Quoi! parcequ'on ne danse pas encore aux T. T. 2, me forcera-t-on d'appeler tout ce spectacle office d'église?

L'on ne voit point faire de vœux ni de pèlerinages pour obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux, l'ame plus reconnoissante; d'être plus

Le motet, traduit en vers françois par L. L**.

2 Théatins.

(La Bruyère.)

équitable, et moins malfaisant; d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude et de la mauvaise raillerie.

Quelle idée plus bizarre que de se représenter une foule de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, qui se rassemblent à certains jours dans une salle, pour y applaudir à une troupe d'excommuniés, qui ne le sont que par le plaisir qu'ils leur donnent, et qui est déja payé d'avance? Il me semble qu'il faudroit, ou fermer les théâtres, ou prononcer moins sévèrement sur l'état de comédien.

Dans ces jours qu'on appelle saints, le moine confesse pendant que le curé tonne en chair contre le moine et ses adhérents: telle femme pieuse sort de l'autel, qui entend au prône qu'elle vient de faire un sacrilege. N'y a-t-il point dans l'église une puissance à qui il appartienne, ou de faire taire le pasteur, ou de suspendre pour un temps le pouvoir du barnabite?

Il y a plus de rétributions dans les paroisses pour un mariage que pour un baptême, et plus pour un baptême que pour la confession. L'on diroit que ce soit un taux sur les sacrements, qui semblent par là être appréciés. Ce n'est rien

au fond que cet usage; et ceux qui reçoivent pour les choses saintes ne croient point les vendre, comme ceux qui donnent ne pensent point à les acheter : ce sont peut-être des apparences qu'on pourroit épargner aux simples et aux indévots. Un pasteur frais et en parfaite santé, en linge fin et en point de Venise, a sa place dans l'œuvre après les pourpres et les fourrures; il y achève sa digestion, pendant que le Feuillant ou le Récollet quitte sa cellule et son désert, où il est lié par ses vœux et par la bienséance, pour venir le prêcher, lui et ses ouailles, et en recevoir le salaire, comme d'une pièce d'étoffe. Vous m'interrompez et vous dites : Quelle censure! et combien elle est nouvelle et peu attendue! ne voudriez-vous point interdire à ce pasteur et à son troupeau la parole divine, et le pain de l'Évangile? Au contraire, je voudrois qu'il le distribuât lui-même le matin, le soir, dans les temples, dans les maisons, dans les places, sur les toits; et que nul ne prétendît à un emploi si grand, si laborieux, qu'avec des intentions, des talents et des poumons capables de lui mériter les belles offrandes et les riches rétributions qui y sont attachées. Je suis forcé, il est vrai, d'

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