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où il triomphe! Je veux être un Lycaon, un Égisthe, l'occasion ne peut être meilleure, ni les conjonctures plus favorables, si je desire du moins de fleurir et de prospérer. Un homme dit ': Je passerai la mer, je dépouillerai mon père de son patrimoine, je le chasserai, lui, sa femme, son héritier, de ses terres et de ses états; et, comme il l'a dit, il l'a fait. Ce qu'il devoit appréhender, c'étoit le ressentiment de plusieurs rois qu'il outrage en la personne d'un seul roi: mais ils tiennent pour lui; ils lui ont presque dit: Passez la mer, dépouillez votre père 2, montrez à tout l'univers qu'on peut chasser un roi de son royaume, ainsi qu'un petit seigneur de son château, ou un fermier de sa métairie : qu'il n'y ait plus de différence entre de simples particuliers et nous, nous sommes las de ces distinctions: apprenez au monde que ces peuples que Dieu a mis sous nos pieds peuvent nous abandonner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à un étranger; et qu'ils ont moins à craindre de nous, que nous d'eux et de leur puissance. Qui pourroit voir des choses si tristes avec des yeux sees

Le prince d'Orange. -2 Le roi Jacques II.

et une ame tranquille? Il n'y a point de charges qui n'aient leurs privileges: il n'y a aucun titulaire qui ne parle, qui ne plaide, qui ne s'agite pour les defendre : la dignité royale seule n'a plus de privileges; les rois eux-mêmes y ont renoncé. Un seul, toujours bon et magnanime, ouvre ses bras à une famille malheureuse. Tous les autres se liguent comme pour se venger de lui, et de l'appui qu'il donne à une cause qui leur est commune: l'esprit de pique et de jalousie prévaut chez eux à l'intérêt de l'honneur, de la religion, et de leur état; est-ce assez ? a leur intérêt personnel et domestique; il y va, je ne dis de leur élection, mais de leur succession, de leurs droits comme héréditaires : enfin, dans tout, l'homme l'emporte sur le souverain. Un prince délivroit l'Europe 2, se délivroit lui-même d'un fatal ennemi, alloit jouir de la gloire d'avoir détruit un grand empire3: il la neglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nes arbitres et médiateurs temporisent; et lorsqu'ils pourroient avoir déja employé utilement leur mediation,

pas

1 Louis XIV, qui donna retraite à Jacques II et à toute sa famille, apres qu'il eut été obligé de se retirer d'Angleterre.- - L'Empereur. - 3 Le Turc. - 4 Innocent XI.

boient, qui s'affrontent, qui se mordent et se déchirent, vous dites: Voilà de sots animaux; et vous prenez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disoit que tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers dans une plaine, et qu'après avoir miaulé tout leur soûl ils se sont jetés avec fureur les uns sur les autres, et ont joué ensemble de la dent et de la griffe; que de cette mélee il est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur puanteur; ne diriez-vous pas: Voilà le plus abominable sabbat dont on ait jamais ouï parler? Et si les loups en faisoient de même, quels hurlements! quelle boucherie! Et si les uns ou les autres vous disoient qu'ils aiment la gloire, concluriez-vous de ce discours qu'ils la mettent à se trouver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir leur propre espèce? ou, après l'avoir conclu, ne ririez-vous pas de tout votre cœur de l'ingénuité de ces pauvres bêtes? Vous avez déja, en animaux raisonnables, et pour vous distinguer de ceux qui ne se servent que de leurs dents et de leurs ongles, imaginé les lances, les piques, les dards, les sabres et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement;

car avec vos seules mains que pouviez-vous vous faire les uns aux autres, que vous arracher les cheveux, vous égratigner le visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la tête? au lieu que vous voilà munis d'instruments commodes, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges plaies d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper. Mais comme vous devenez d'année à autre plus raisonnables, vous avez bien enchéri sur cette vieille manière de vous exterminer vous avez de petits globes' qui vous tuent tout d'un coup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la tête ou à la poitrine; vous en avez d'autres plus pesants et plus massifs, qui vous coupent en deux parts ou qui vous éventrent, sans compter ceux qui, tombant sur vos toits, enfoncent les planchers, vont du grenier à la cave, en enlèvent les voûtes, et font sauter en l'air, avec vos maisons, vos femmes qui sont en couche, l'enfant et la nourrice: et c'est là encore où git la gloire; elle aime le remue-ménage, et elle

2

:

3

Les balles de mousquet. -3 Les bombes.

2 Les boulets de canon.

est personne d'un grand fracas. Vous avez d'ailleurs des armes défensives, et dans les bonnes régles vous devez en guerre être habillés de fer, ce qui est sans mentir une jolie parure, et qui me fait souvenir de ces quatre puces célébres que montroit autrefois un charlatan, subtil ouvrage, dans une fiole où il avoit trouvé le secret de les faire vivre: il leur avoit mis à chacune une salade en tête, leur avoit passé un corps de cuirasse, mis des brassards, des genouillères, la lance sur la cuisse; rien ne leur manquoit, et en cet équipage elles alloient par sauts et par bonds dans leur bouteille. Feignez un homme de la taille du mont Athos: pourquoi non? une ame seroit-elle embarrassée d'animer un tel corps? elle en seroit plus au large: si cet homme avoit la vue assez subtile pour vous découvrir quelque part sur la terre avec vos armes offensives et défensives, que croyez-vous qu'il penseroit de petits marmousets ainsi équipés, et de ce que vous appelez guerre, cavalerie, infanterie, un mémorable siége, une fameuse journée ? N'entendrai-je donc plus bourdonner d'autre chose parmi vous? le monde ne se divise-t-il plus qu'en régiments et en compagnies? tout est-il devenu bataillon ou escadron?

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