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DU BON, DU Vrai, des idées, du premier PRINCIPE, par Antisthène, vendeur de marée.

Si les ambassadeurs des princes étrangers étoient des singes instruits à marcher sur leurs pieds de derrière, et à se faire entendre par interpréte, nous ne pourrions pas marquer un plus grand étonnement que celui que nous donnent la justesse de leurs réponses, et le bon sens qui paroît quelquefois dans leurs discours. La prévention du pays, jointe à l'orgueil de la nation, nous fait oublier que la raison est de tous les climats, et que l'on pense juste par-tout où il y a des hommes. Nous n'aimerions pas à être traités ainsi de ceux que nous appelons barbares; et s'il y a en nous quelque barbarie, elle consiste à être épouvantés de voir d'autres peuples raisonner comme nous.

Tous les étrangers ne sont pas barbares, et tous nos compatriotes ne sont pas civilisés: de même, toute campagne n'est pas agreste 2, et toute ville n'est pas polie. Il y a dans l'Europe

I Ceux de Siam, qui vinrent à Paris dans ce temps-là.
2 Ce terme s'entend ici métaphoriquement.
(La Bruyère.)

un endroit d'une province maritime d'un grand royaume, où le villageois est doux et insinuant, les bourgeois au contraire et le magistrat grossiers, et dont la rusticité est héréditaire.

Avec un langage si pur, une si grande recherche dans nos habits, des mœurs si cultivées, de si belles lois et un visage blanc, nous sommes barbares pour quelques peuples.

Si nous entendions dire des Orientaux qu'ils boivent ordinairement d'une liqueur qui leur monte à la tête, leur fait perdre la raison, et les fait vomir, nous dirions, Cela est bien barbare.

Ce prélat se montre peu à la cour, il n'est de nul commerce, on ne le voit point avec des femmes, il ne joue ni à grande ni à petite prime, il n'assiste ni aux fêtes ni aux spectacles, il n'est point homme de cabale, et il n'a point l'esprit d'intrigue toujours dans son évêché, où il fait une résidence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple par la parole, et à l'édifier par son exemple: il consume son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence; il n'a que l'esprit de régularité, et il est imitateur du zèle et de la piété des apôtres. Les temps sont changés, et il

est menacé sous ce règne d'un titre plus éminent.

Ne pourroit-on point faire comprendre aux personnes d'un certain caractère et d'une profession sérieuse, pour ne rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire d'eux qu'ils jouent, qu'ils chantent, et qu'ils badinent comme les autres hommes; et qu'à les voir si plaisants et si agréables, on ne croiroit point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers et si sévéres? oseroit-on même leur insinuer qu'ils s'éloignent par de telles manières de la politesse dont ils se piquent, qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors aux conditions, qu'elle évite le contraste, et de montrer le même homme sous des figures différentes, et qui font de lui un composé bizarre, ou un grotesque?

Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure sur une seule et première vue : il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir le voile de la modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie cache la malignité. Il n'y a qu'un très petit nombre de connoisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer. Ce n'est que peu peu, et forcés même par le temps et les occasions, que la vertu

parfaite et le vice consommé viennent enfin à se

déclarer.

FRAGMENT.

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Il disoit que l'esprit dans cette belle personne étoit un diamant bien mis en œuvre. Et continuant de parler d'elle, c'est, ajoutoit-il, «< comme une nuance de raison et d'agrément qui occupe les yeux et le cœur de ceux qui lui parlent; on ne sait si on l'aime ou si on l'admire: " il y a en elle de quoi faire une parfaite amie, il y a aussi de quoi vous mener plus loin que <«<l'amitié : trop jeune et trop fleurie pour ne pas

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plaire, mais trop modeste pour songer à plaire,

elle ne tient compte aux hommes que de leur mérite, et ne croit avoir que des amis. Pleine de vivacités et capable de sentiments, elle surprend et elle interresse; et sans rien ignorer de ce qui peut entrer de plus délicat et de plus fin dans les conversations, elle a encore ces saillies heureuses qui, entre autres plaisirs qu'elles font, dispensent toujours de la répli« que: elle vous parle comme celle qui n'est pas savante, qui doute et qui cherche à s'éclaircir; « et elle vous écoute comme celle qui sait beau

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« coup, qui connoît le prix de ce que vous lui « dites, et auprès de qui vous ne perdez rien de « ce qui vous échappe. Loin de s'appliquer à vous contredire avec esprit, et d'imiter Elvire, qui « aime mieux passer pour une femme vive que << marquer du bon sens et de la justesse, elle s'ap« proprie vos sentiments, elle les croit siens, elle << les étend, elle les embellit ; vous êtes content de << vous d'avoir pensé si bien, et d'avoir mieux dit << encore que vous n'aviez cru. Elle est toujours au<< dessus de la vanité, soit qu'elle parle, soit qu'elle << écrive: elle oublie les traits, où il faut des rai« sons; elle a déja compris que la simplicité est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de « vous jeter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis discours et les belles - lettres qu'elle met à tous usages, Artenice n'emploie auprès de vous que la sincérité, l'ardeur, l'em« pressement et la persuasion. Ce qui domine en elle, c'est le plaisir de la lecture, avec le goût « des personnes de nom et de réputation, moins

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pour en être connue que pour les connoître. On peut la louer d'avance de toute la sagesse qu'elle aura un jour, et de tout le mérite qu'elle « se prépare par les années, puisque avec une

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