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IId. On demandoit à Caton d'Utique (1), encore enfant, quel étoit fon meilleur ami dans le monde? C'eft mon Frere, répondit-il... Eh bien! quel eft celui qui tient le fecond rang dans votre cœur? C'eft auffi mon Frere. Il ne ceffa de faire cette réponse que lorfqu'on eut ceffé de l'interroger.

IIIme. Intaphernes, l'un des plus grands Seigneurs de Perfe, s'étant révolté contre Darius (2), ce Prince, fe rendit maître de fa perfonne & le condamna à mort avec toute fa famille. Il accorda cependant aux larmes de fon époufe la vie d'un feul d'entr'eux qu'il remit à fon choix. Cette femme choilit fon frere. Le Monarque étonné lui demanda la raifon d'un tel choix Je puis, dit-elle, avoir un autre époux, d'autres enfants, mais, mon pere & ma mere étant morts, je ne puis efpérer d'avoir un autre frere.

IVme. Augufte, 2d. Empereur des Romains, fit prifonnier Andiatorigès avec fa femme & fes

(1) Caton d'Utique, grand Homme d'Etat chez les Romains, qui mourut 45 ans avant J. Chrift. Il avoit prefqu'autant de vices que de vertus mais celles-ci étoient plus éclatantes. A peine avoit-il 14 ans qu'il demanda une épée pour tuer le Tyran Sylla. Il poftula la dignité de Tribun, afin d'empêcher un méchant homme de l'avoir. Ses ennemis lui ayant fait donner le commandement de l'Armée Romaine qui devoit réconquérir l'lfle de Chypre, pour qu'il y perdît fa réputation, il en revint couvert de gloire. Enfin, dans la Guerre de Céfar & de Pompée, n'ayant pu les réunir, il fe déclara contre Céfar qui, victorieux, le fit chercher pour le mettre à mort; & ce fut alors qu'il conseilla à fes amis de prendre la fuite & à fon fils d'implorer la clémence du Vainqueur & qu'après avoir lu deux fois le Traité de l'Immortalité de l'Ame de Platon, il fe tua d'un coup de poignard, à l'âge de 48 ans. Il eût été plus noble de fupporter fon fort avec philofophie.

(2) Darius Codomanus, XIIme. Roi de Perfe : c'eft celui que vainquit Alexandre le Grand. Il vivoit vers le milieu du IVme. Siecle avant Jéfus-Chrift.

enfants; &, après les avoir conduits à Rome en triomphe, il ordonna qu'on fit mourir le pere avec l'aîné des deux fils. Les Bourreaux, chargés de cette trifte fonction, demandoient quel étoit l'aîné des deux freres? Alors, tous deux s'écrierent en même temps je fuis le plus agé, c'eft moi qu'il faut tuer. L'un & l'autre vouloient mutuellement fe conferver la vie. Ce pieux combat ayant duré long-temps, l'aîné fe laiffa vaincre enfin par les larmes & les inftantes prieres de fa mere qui efpéroit tirer de lui plus de fecours; & il confentit, en fanglotant, à la mort de fon jeune frere. Le barbare Augufte,jayant appris cet exemple fingulier d'amour fraternel, feignit de répandre des larmes. On dit même qu'il fit venir à fa Cour Dyetentus (c'étoit l'aîné des deux freres) & qu'il l'y combla de bienfaits ainfi que fa mere.

J

QUINZIEME LEÇON.
Juftice envers nos Maîtres.

'ENTENDS par Maîtres, dans cette Leçon, non ceux qui nous gouvernent fans nous inftruire, tels que les Magiftrats, les Princes, les Rois, non ceux qui, pour telle ou telle fomme d'argent, exigent de nous quelque fervice, mais ceux qui, en nous donnant des leçons, foit de vive voix, foit par écrit, fecondent nos aptitudes à la Vertu, aux Sciences, aux Arts ou méchaniques ou libéraux : ces Maîtres font donc tous ceux qui contribuent à notre éducation, fous quelques titres qu'ils y contribuent, Maîtres de Lecture, d'Ecriture, de Deffin, de Danfe, de Mufique, de Langues, de Philofophie, de Mathématiques &c.

Il eft envers tous ces Maîtres une juftice dont nous devons nous faire gloire & elle confifte à les écouter avec docilité, avec foumiffion, à profiter de leurs enfeignements & à ne jamais oublier, dans tout le cours de notre vie, même longtemps après que nous n'avons plus befoin d'eux qu'ils ont employé une partie de la leur à nous rendre dignes de la Société, & que dès-lors ils méritent notre reconnoiffance.

Je ne balance pas à mettre au rang de nos Maîtres les bons Auteurs vivants, que nous n'avons peut-être jamais vus, mais dont nous avons lu & étudié les Ouvrages.

Voici des exemples qui ne peuvent manquer de fortifier dans votre cœur ces maximes.

TRAITS HISTORIQUES.

Ier. ON

N ne fauroit dire jufqu'où alloit la paffion des Difciples de Socrate (1) pour entendre fes leçons & pour en profiter : ils quittoient pere & mere & renonçoient à toutes les parties de plaifir, pour s'attacher fans réserve à ce fage qui formoit leur cœur, éclairoit leur efprit & dirigeoit leurs pas dans les fentiers de la Vertu. Ariftippe (2), qui devint dans la fuite un célebre

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(1) Socrate, le plus grand Philofophe de la Grece. It avoit 70 ans, lorfque, 400 avant J. Chrift, les Athéniens qui étoient idolâtres, le condamnerent à boire de la ciguë, parce qu'il enfeignoit l'Unité de Dieu. Quand on lui rapporta qu'il avoit été condamné à mort par les Athéniens; & eux, dit-il, le font par la Nature.

(2) Ariftippe vivoit dans le 4me. Siecle avant J. Christ; ce fut lui qui fonda la Secte qu'on nomme Cirénaïque, de Cyrene fa Patrie, & qui faifoit confifter le bonheur de l'Homme dans la volupté, non du corps, mais de l'ame. Il étoit grand

Philofophe, fur un entretien avec Ifomachus, conçut un fi vif défir d'aller l'entendre qu'il en maigrit jufqu'à ce qu'il put fe fatisfaire à cet égard. Athenes & Mégare étoient en guerre; l'animofité des deux Peuples éclatoit avec tant de violence qu'on faifoit prêter ferment aux Généraux Athéniens de ravager le territoire de Mégare deux fois par année & qu'il étoit défendu aux Mégariens, fous peine de la vie, de mettre le pied dans l'Attique. Cette défense ne put éteindre & arrêter le zele d'Euclide (1); il fortoit de fa ville, fur le foir, en habit de femme, la tête couverte d'un voile & fe rendoit au logis de Socrate, où il fe tenoit jufqu'à ce que, le jour approchant, il s'en retournât dans le même état où il étoit venu.

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IId. Anacharfis (2), Prince Scythe, ayant connu toute l'utilité des fciences auxquelles s'appliquoient les Grecs, abandonna fon Pays, pour venir puifer, dans Athênes, alors le féjour des beaux-arts, ces connoiffances fublimes qui l'ont mis au nombre des Sages. En arrivant, il alla chez Solon (3) & lui fit dire ce qu'il étoit &

Courtifan. Sur quoi, Denys, Tyran ou Roi de Syracufe, lui dit un jour,.qu'il étoit bien étonnant qu'on vit les Philofophes à la porte des Princes: ce n'eft pas plus étonnant, répondit Ariftippe, que de voir les Médecins chez les Malades.

(1) Ce n'eft point l'Euclide d'Alexandrie, fi célebre par fes Eléments de Géométrie, qui vivoit 300 ans avant J. Chrift mais Euclide de Mégare, Fondateur d'une Secte nommée la Contentieufe, parce qu'elle difputoit fur tout.

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(2) Anacharfis fe rendit célebre par l'austérité de fa vie & par fon mépris pour les richeffes; il vivoit au milieu du 6me. Siecle avant J. Chrift. Suivant lui, la vigne porte trois fortes de fruits, l'ivreffe, la volupté & le répentir.

(3) Solon, Légiflateur d'Athènes, vivoit au milieu du 6me. Siecle avant J. Chrift. N'ayant point fait de Loi contre les Parricides, on lui en demanda la raifon : c'eft, répondit-il, parce que je ne crois pas qu'il puiffey en avoir. Ce fut lui qui dit au riche Créfus qu'il ne falloit donner le nom d'heureux à perfonne avant fa mort.

que, fi cela ne l'incommodoit pas, il logeroit chez lui mais Solon qui, quoique Philofophe, avoit, ainfi que tous les Grecs, du mépris pour les autres nations & fur-tout pour les Scythes, qu'il appelloit barbares, lui fit répondre que l'ufage étoit de fe faire, dans fa propre patrie, les hôtes chez qui on fe proposoit de loger un jour dans une ville étrangere. Sur quoi, Anacharfis fe rendit dans la chambre du Philofophe Grec & lui dit je fuis ici dans ma patrie & dès-lors la juftice veut que l'hofpitalité nous uniffe. Solon, charmé de fa hardieffe ingénieufe, le reçut trèsbien, le logea, conçut pour lui, dès la premiere converfation, une eftime particuliere, &, lui trouvant de grandes difpofitions à la philofophie, dirigea fes pas dans la carriere de la fageffe. Anacharfis fut bien profiter des leçons d'un fi grand

maître.

IIIme. Le Sophifte (1) Lucius, étant venu à Rome, rencontra l'Empereur Marc- Aurele (2) & lui demanda où il alloit: je vais, lui répondit l'Empereur, entendre les leçons du Philofophe Sextus. Lucius étonné leva les mains au Ciel pour marquer fa furprife. Il n'y a rien-là qui doive vous étonner, reprit Marc - Aurele; à tout age, il n'eft pas honteux d'apprendre ce qu'on ne fait pas.

IVme. Diogene (3) fe rendit à Athènes, at

(1) Un Sophiste eft maintenant un homme qui fait des raifonnements captieux; le nom s'en prend en mauvaise part. C'étoit autrefois un Philofophe, un Amateur de la Sageffe.

(2) Marc-Aurele, très-vertueux Empereur, vérifia cette maxime de Platon, que le Monde feroit heureux, fi les Philofophes étoient Rois, ou, files Rois étoient Philofophes; il vivoit dans le 2d. Siecle après J. Chrift.

(3) Diogene, impudent, mais fenfé, méprifoit presque tous les hommes retire-toi, dit-il à Alexandre le Grand, & ne m'empêche pas de jouir du foleil, c'est l'unique bien que

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