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elle est, et que, la mettant où elle n'est pas, ses opinions sont toujours très-fausses et très-mal saines'.

Il est donc vrai? de dire que tout le monde est dans l'illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

3. Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu'ils méritent. Le mal à craindre d'un sot, qui succède par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr“.

4. Pourquoi suit-on la pluralité ? est-ce à cause qu'ils ont plus de raison ? non, mais plus de force. Pourquoi suit-on les anciennes lois et anciennes opinions ? est-ce qu'elles sont les plus saines ? non, mais elles sont uniques, et nous ôtent la racine de la diversité?.

5. L'empire fondé sur l'opinion et l'imagination règne quelque

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1 «Très-mal saines. » On dirait maintenant très-peu saines.

all est donc vrai. » 231. En titre, Raison des effels. P. R., XXXI.

a Le plus grand des maux. » 243. En titre, Opinions du peuple saines. Manque dans P. R.

" « Ni si grand, ni si sûr. » Pascal tranche bien vite une telle question. Mais que cette défense de l'hérédité royale est irrévérencieuse! et que P. R, a fait prudemment de la supprimer ! L'esprit qui sur le trône de Louis XIV osait par supposition placer un sot, et qui ne se prononçait pour ce sot que de peur d'une guerre civile , était par avance républicain. Cf. 7 et 9.

sa Pourquoi suit-on la pluralité ? » 429. Manque dans P. R. Nous disons aujourd'hui, la majorité. Ils, c'est la pluralité, ceux qui la composent.

6 « Plus de raison. » C'est parce que, la majorité et la minorité se composant d'hommes qui ont en moyenne autant de raison les uns que les autres, il y a probabilité, si toutes les opinions sont libres de se produire, que la plus généralement adoptée sera la plus raisonnable. Ce n'est qu'une probabilité, mais on s'en contente faute de mieux.

? « La racine de la diversité. » Il parle de la diversité ou de la contrariété comme d'un vice, qui se trouve ainsi extirpé, déraciné.

• « L'empire fondé sur l'opinion, » 427. Manque dans P. R.

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temps, et cet empire est doux et volontaire : celui de la force règne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde', mais la force en est le tyran.

6. Que l'on a bien fait? de distinguer les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités intérieures! Qui passera de nous deux ? qui cédera la place à l'autre ? Le moins habile? mais je suis aussi habile que lui; il faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un : cela est visible; il n'y a qu'à compter; c'est à moi à céder, et je suis un sot si je conteste. Nous voilà en paix par ce moyen; ce qui est le plus grand des biens.

7. La coutume de voir les rois “ accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui plient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare pas dans la pensée leur personne d'avec leur suite, qu'on y voit d'ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle; et de là viennent ces mots : Le caractère de la Divinité est empreint sur son vi

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a La reine du monde. » Cf. 111, 3, p. 36. Rapprocher de cette pensée celle qui forme le paragraphe 91 de l'article xxiv.

a Que l'on a bien fait. • P. R., xxix. Cette pensée n'est pas dans le manuscrit; on y trouve seulement cette ligne isolée : 11 a qualre laquais. On est bien tenté cependant d'attribuer à Pascal ce développement, dont la forme est vive, familière, dramatique. Peut-être les éditeurs l'ont-ils reproduit de souvenir, d'après une conversation de Pascal.

3 « C'est à moi à céder. » Mais pourquoi faut-il qu'il y en ait un qui cède ? ne peuvent-ils aller de pair ? Et là même où il faut une préférence, pourquoi se battre? pourquoi ne pas s'en rapporter au libre choix des juges naturels? Se battait-on, du temps de Pascal, pour decider qui entrerait à l'Académie ? ou réglait-on cela d'après le nombre des laquais?

na La coutume de voir les rois. » 81. Cette pensée, qui s'attaque encore au prestige et à la religion de la royauté, a été supprimée dans P. R. Cf. II, 3, p. 35.

5 a La machine. » Pascal appelle ainsi cette partie de l'homme par laquelle il est machine, comme l'animal, et n'obéit pas à la réílexion, mais à l'instinct. (Cf. x, 4.)

6 « Et de là viennent ces mots. » Comme il déshabille l'idole! Louis XIV commençait à peine de régner quand Pascal s'exprimait ainsi, et Pascal écrivait au fond de sa retraite. Quand parut l'édition de P. R., le roi avait passé trente ans, il était dans toute la splendeur de son règne ; les poëtes, les écrivains, les orateurs mêmes de la chaire l'encensaient, et de telles paroles, tombant dans le public, auraient paru un blasphème.

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:

La puissance des rois é est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande 2 et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse : et ce fondement-là est admirablement sûr: ; car il n'y a rien de plus sûr que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l'estime de la sagesse.

8.

Les Suisses s'offensent d'être dits gentilshommes, et prouvent la roture de race pour être jugés dignes de grands emplois.

9. On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison.

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! « La puissance des rois. » 79. Manque aussi dans P. R.

« La plus grande. » Pascal n'est pas un frondeur, il s'en faut bien ; la royauté n'a pas un sujet plus fidèle. Mais sa philosophie l'emporte.

3 « Admirablement sûr. » Pascal se trompait!

' « Le peuple. » Voir v, 2. Sera faible. » Vain orgueil d'un penseur, tout pareil, sauf la gravité du ton, à celui de Voltaire, qui répétait sans cesse que la philosophie n'était à l'usage que des honnêtes gens. La raison n'est pas si absolument interdite à la foule. D'ailleurs le peuple ne peut-il pas changer de faiblesse ?

s « Les Suisses s'offensent. » 24. Manque dans P. R. Je ne sais où Pascal a pris cette assertion, qui est bien loin d'être exacte. Les Suisses ne se sont jamais offensés d'ètre dits gentilshommes; nulle part au contraire l'esprit aristocratique n'est demeuré plus fortement enraciné que dans les cantons. On n'y a jamais fait de preuve de roture pour les emplois, mais bien preuve de bourgeoisie; on est à la fois noble et bourgeois, c'est-à-dire membre de la cité. Uu fait mal interprété de l'histoire de Båle a pu donner lieu à cette méprise. Mais tout ce qui regarde le gouverne. ment des cantons avait été très-bien exposé dans le livre de la République des Suisses , traduit du latin de Josias Simler (par Innocent Gentillet), Paris, 1578 Lorsque les petites républiques d'Italie passèrent, au xive siècle, du gouvernement des nobles à celui des corps d'état et des marchands, les nobles furent exclus à perpétuité des emplois , et, dans certaines villes, on ordonna que si une famille troublait l'ordre établi, elle serait inscrite, par décision des juges, au rôle des vobles, et déchue ainsi de tous ses droits à l'administration de la cité (Sismondi, Républ. ilal., t. iv, p. 96, 165). Au reste, de telles lois ne contredisent point, comme paralt le supposer Pascal, le préjugé de la noblesse; elles le confirmeraient plutot si elles ne tombaient pas avec le temps. Ces exclusions, contraires à l'égalité même qu'elles voulaient protéger, ressemblaient à celles qui frappent encore parmi nous les familles princières. La noblesse, dans ces républiques, était comme une royauté

6 « On ne choisit pas. » 85. Manque dans P. R. - Dans les manuscrits du médecin Vallant, contemporain de Pascal, conservés à la Bibliothèque Nationale, se trouve un cahier de quelques pages portant pour titre, Pensées de M. Pascal. M. Faugère a trouvé dans ce cahier le développement suivant de celte pensée : a Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables, à » cause du déréglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir

Saint Augustin a vu qu'on travaille pour l'incertain, sur mer, en bataille, etc.; il n'a pas vu la règle des partis 2, qui démontre qu'on le doit'. Montaigne a vu qu'on s'offense d'un esprit boiteux“, et que la coutume peut tout '; mais il n'a pas vu la raison de cet effet. Toutes ces personnes ont vu les effets, mais ils n'ont pas vu les causes; ils sont à l'égard de ceux qui ont découvert les causes comme ceux qui n'ont que les yeux à l'égard de ceux qui ont l'esprit; car les effets sont comme sensibles', et les causes sont visibles seulement à l'esprit. Et quoique ces effets-là se voient par l'esprit, cet esprit est à l'égard de l'esprit qui voit les causes comme les sens corporels à l'égard de l'esprit.

10.

D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite? A cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, >> pour gouverner un État le premier fils d'une reine? On ne choisit pas pour gou» verner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison; cette loi serait » ridicule et injuste. Mais parce qu'ils le sont et le seront toujours [ridicules et in» justes], elle devient raisonnable et juste. Car qui choisira-t-on? Le plus vertueux » et le plus habile? Nous voilà incontinent aux mains chacun prétend être le plus » vertueux et le plus habile. Attachons donc cette qualité à quelque chose d'incon> testable. C'est le fils aîné du roi ; cela est net, il n'y a point de dispute. La raison >> ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus grand des maux. » Le manuscrit autographe ne contient que la phrase que nous donnons dans le texte. Peut-être que Pascal l'avait développée de vive voix, et qu'on a reproduit de mémoire ses paroles. Cf. iv, 2. Cependant la négligence même de la rédaction porte à croire qu'elle est originale. Nicole l'a fondue dans le texte de son traité de la Grandeur, Ire partie, chap. 5 (et non, comme on l'a dit, dans celui de l'Education d'un prince). Voir tout le chapitre. M. Vinet (page 452) voit une épigramme dans cette expression, le premier fils d'une reine. Elle serait très-peu digne de Pascal. M. Vinet n'a pas fait attention qu'il y a un peu plus bas, le fils aîné du roi.

1 « Saint Augustin a vu qu'on travaille.» 430. P. R., XXXI. Le fond de cette pensée, que, même dans les choses humaines, on se conduit souvent d'après une simple croyance et sans certitude démonstrative, revient souvent dans saint Augustin, particulièrement dans les traités de Fide rerum quæ non videntur; de Fide, Spe et Charitate; de Utilitate credendi. Ce que j'ai trouvé qui se rapproche le plus de la phrase de Pascal est ce passage d'un sermon (t. v, p. 196, b): Quanta patiuntur pro sua iniquitate latrones... pro sua avaritia negotiatores, mare transmeantes, ventis tempestatibusque corpus et animam commillentes, sua relinquentes, ad ignota currentes!

2 «La règle des partis. » Sur la règle des partis, cf. x, 4.

3 « Qui démontre qu'on le doit. » Cf. xxiv, 88.

Qu'on s'offense d'un esprit boiteux. » Voir le paragraphe suivant.

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«

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« La raison de cet effet.» Voir les notes sur l'art. v, 2.

« Comme sensibles. » Il dit seulement comme sensibles, parce que ce sont des

faits moraux qui se voient par l'esprit, ainsi qu'il le dit ensuite.

8 a D'où vient qu'un boiteux. » 232. P. R., XXIX.-Montaigne, III, 8 (de l'Art

et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons; sans cela nous en aurions pitié et non colère.

Épictète demande' bien plus fortement pourquoi ne nous fàchonsnous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal. Ce qui cause cela, est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux 2: mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n'en ayant d'assurance qu'à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix; car il faut préférer nos lumières à celles de tant d'autres, et cela est hardi et difficile. Il n'y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux.

11.

Le respect est, Incommodez-vous. Cela est vain en apparence, mais très-juste; car c'est dire : Je m'incommoderais bien si vous en aviez besoin, puisque je le fais bien sans que cela vous serve. Outre que le respect est pour distinguer les grands: or, si le respect était d'être en fauteuil, on respecterait tout le monde, et ainsi on ne distinguerait pas : mais, étant incommodé, on distingue fort bien.

de conferer), p. 425: « De vray, pourquoi, sans nous esmouvoir, rencontrons-nous » quelqu'un qui ayt le corps tortu et mal basti; et ne pouvons souffrir le rencontre » d'un esprit mal rangé sans nous mettre en cholere? »

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IV,

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Epictete demande. » Voir les Entretiens d'Epictète recueillis par Arrien,

2 « Et que nous ne sommes pas boiteux. » Pour amener ces derniers mots, il aurait fallu dire dans ce qui précède que nous ne nous fàchons pas si on dit que nous sommes boiteux. Mais il aurait failu ajouter, quand nous ne le sommes pas. Car on se fâche si on l'est, ou si seulement on paraît l'être. Or nous paraissons toujours mal raisonner à ceux qui raisonnent autrement que nous. Cf. Nicole, des Moyens de conserver la paix entre les hommes, II, 3.

3 Le respect est. » 406. Manque dans P. R. C'est-à-dire que la manière de témoigner du respect à quelqu'un consiste à s'incommoder pour lui. Mais, par ce tour il semble que c'est le monde qui parle et qui donne ses règles: Incommodezvous. En effet, c'est s'incommoder que de rester devant quelqu'un tête nue, ou de demeurer debout, ou de s'asseoir sur un siége sans dossier, etc. « Cela est vain, » c'est-à-dire peu solide, peu raisonnable. On a déjà vu plusieurs fois ce mot en ce

sens.

4 << Car c'est dire. » Car témoigner son respect en s'incommodant, c'est dire. 5 « D'être en fauteuil. » On attachait une grande importance, à cette époque, à la distinction d'un fauteuil et d'un pliant. Voir Saint-Simon, et les poètes comiques.

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