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nement et de joie qu'on en peut avoir : il ne sait où vous avez pris ce qu'il m'a rapporté de vos paroles; il m'en a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennent plus tant. Je commence à m'accoutumer à vous et à la grâce que Dieu vous fait, et néanmoins je vous avoue qu'elle m'est toujours nouvelle, comme elle est toujours nouvelle en effet. Car c'est un flux continuel de grâces, que l'Écriture compare à un fleuve 2, et à la lumière' que le soleil envoie incessamment hors de soi, et qui est toujours nouvelle, en sorte que s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait reçue disparaîtrait, et on resterait dans l'obscurité.

Il m'a dit qu'il avait commencé à vous répondre, et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en même temps il l'étendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet, où il me mande qu'il n'a pu ni le transcrire ni l'étendre; cela me fait croire que cela sera mal écrit. Je suis témoin de son peu de loisir, et du désir qu'il avait d'en avoir pour vous.

...

4 car je Je prends part à la joie que vous donnera l'affaire des vois bien que vous vous intéressez pour l'Église; vous lui êtes bien obligée. Il y a seize cents ans qu'elle gémit pour vous. Il est temps de gémir pour elle, et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque JÉSUS-CHRIST n'a pris la sienne que pour la perdre pour elle et pour nous.

2.

Il me semble que vous prenez assez de part au miracle pour lettre de M. de Rebours à M. de Pontchâteau, de 1651, conservée dans le Recueil d'Utrecht, page 413 : « Vous me permettrez encore, monsieur, de vous dire qu'il » est à propos que dans les lettres que vous nous écrirez vous ne nommiez per» sonne, comme vous pouvez voir que j'ai fait en celle-ci; afin que si, par quelque >> mauvaise rencontre, les lettres venaient à se perdre, ou à tomber en des mains » ennemies, on ne pût pas avoir pleine lumière de ce qui s'y pourra traiter. Retenons soigneusement ces paroles.

Surprenantes. Voir un passage d'une lettre d'Arnauld, cité dans la première

1 a note sur ces Extraits.

« A un fleuve. » Pascal fait peut-être allusion à ce passage du psaume LXIV: « Tu as visité la terre, et tu l'as soûlée de tes eaux... Le fleuve de Dieu a coulé » pleins bords. »

3

« Et à la lumière. » Jean, 1, 4, 9. Mais la paraphrase qui suit est de Pascal. « L'affaire des... » Des religieuses, dans un manuscrit. Je pense qu'il s'agit de religieuses du Poitou auxquelles s'intéressait Mlle de Roannez. Quant aux religieuses de Port Royal, elles n'avaient à cette époque aucun sujet de joie.

« Il me semble. » Il y a, comme on va le voir, entre la lettre précédente et

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vous mander en particulier que la vérification en est achevée par l'Église, comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand vicaire1.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occassions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et, s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes3. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusques à l'Incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle celle-ci un intervalle de plus de huit mois. Dans cet intervalle, Mile de Roannez était revenue à Paris, soit avant, soit après le grand événement de cette année 4656, je veux dire le miracle de la Sainte Epine. Ce miracle, qui avait éclaté si près de la personne de Pascal, dut toucher d'autant plus le duc de Roannez et sa sœur. Marguerite Perier raconte que Mile de Roanuez pensait encore à se marier quand elle vint faire une neuvaine à la Sainte Epine pour un mal d'yeux, et que le dernier jour de la neuvaine elle fut touchée de Dieu si vivement que durant toute la messe elle fondit en larmes : au retour elle témoigna à sa mère qu'elle voulait se donner à Dieu. On a vu par l'Extrait précédent que depuis longtemps déjà cette conversion était désirée et préparée.

« De M. le grand vicaire. » M. Hodencq, grand vicaire de l'archevêque de Paris, qui était le cardinal de Retz, éloigné de son diocèse. Cette sentence, qui approuva solennellement le miracle, est du 22 octobre 1656, ce qui donne à peu près la date de cette lettre.

2

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Il y a si peu. » Tout ce qui suit, jusqu'à la fin, a été détaché pour l'édition de P. R., et mis à la fin des Pensées sur les miracles, au titre XXVII (Bossut, II, XVI, 8). Mais le Recueil d'Utrecht a reproduit ce morceau en le donnant pour ce qu'il est réellement.

"

« De la vue des hommes. » Cela prend un sens tout particulier adressé à Mile de Roannez. Le Dieu caché l'appelle au cloître.

4 « Les espèces. » Mot consacré dans la langue de la théologie. Il signifie les apparences sensibles, species.

dans l'Apocalypse [II, 17] une manne cachée; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie [XLV, 15]: « Véritablement tu es un Dieu caché1. » C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul [Rom., 1, 20], ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, et adorent JésusCHRIST Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c'est le propre des seuls catholiques : il n'y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs s'arrêtant à l'un ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en JésusCHRIST, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature: « Nous n'avons pas pensé que ce fût lui, » dit encore Isaïe [LIII, 3]; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaitre en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce que s'étant caché en toutes choses pour les autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous 2,

3.

Je ne sais comment vous aurez reçu la perte de vos lettres. Je voudrais bien que vous l'eussiez prise comme il faut 3. Il est temps

« Un Dieu caché. » Voir Pensées, IX, page 132, note 3, et la dernière note sur l'article xx.

2 « Pour nous. » Nulle part ne se montre plus à nu cette doctrine orgueilleuse qui fait du vrai et du bien un privilége éternellement réservé à quelques-uns, éter

nellement interdit à tous les autres.

3

« Comme il faut. Mile de Roannez avait à craindre que ses lettres ne fussent surprises et ne compromissent Port Royal. Voir la note 5 de la page 487.

de commencer à juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur. Si vous avez eu ces sentiments, j'en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolée sur une raison plus solide que celle que j'ai à vous dire, qui est que j'espère qu'elles se retrouveront. On m'a déjà apporté celle du 5'; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. Du Gas 2 l'est davantage, néanmoins cela me fait espérer de ravoir l'autre.

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Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n'avais rien écrit pour vous3, je ne vous sépare point vous deux, et je songe sans cesse à l'un et à l'autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celle-ci, vous regardent assez. En vérité, je ne puis m'empêcher de vous dire que je voudrais être infaillible dans mes jugements, vous ne seriez pas mal si cela était, car je suis bien content de vous, mais mon jugement n'est rien. Je dis cela sur la manière dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persécuté, et de ce que fait le ... Je ne suis pas surpris de voir M. N. ' s'y intéresser, je suis accoutumé à son zèle, mais le vôtre m'est tout à fait nouveau; c'est ce langage nouveau que produit ordinairement le cœur nouveau. JÉSUS-CHRIST a donné dans l'Évangile cette marque pour reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau ; et en effet le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Ce que vous dites des jours où vous vous êtes trouvée seule, et la consolation que vous donne la lecture sont des choses que M. N. sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir, et ma sœur aussi. Ce sont assurément des choses nouvelles, mais qu'il faut sans cesse renouveler; car cette nouveauté, qui ne peut déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne

1 << Celle du 5. » Voir plus loin nos conjectures sur la date de cette lettre.

2

« M. Du Gas. » Voir page 487, note 5. Celle de M. Du Gas paralt signifier, celle que vous écriviez à M. Du Gas.

3 a Pour vous. » En écrivant au duc de Roannez.

4 « De ce que fait le... » Je n'ai aucune lumière sur ce dont parle ici Pascal.

5

«De voir M. N. » N. est-il ici un nom quelconque, ou serait-ce l'initiale de Nicole ?

G « Un langage nouveau. » Marc, XVI, 47: « Voici les signes qui accompagneront » ceux qui auront cru: Ils chasseront les démons en mon nom, ils parleront dans >> des langues nouvelles. » Pascal substitue le sens mystique au sens littéral.

9 « Et ma sœur aussi. » Jacqueline.

lui peut plaire, est différente des nouveautés de la terre, en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant; au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d'autant plus, qu'il dure davantage. « Notre vieil homme périt, dit saint >> Paul1, et se renouvelle de jour en jour, » et ne sera parfaitement nouveau que dans l'éternité, où l'on chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle David dans les psaumes de Laudes 2, s2, c'est-à-dire ce chant qui part de l'esprit nouveau de la charité.

Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes, que je vois bien que leur zèle ne se refroidit pas; cela m'étonne, car il est bien plus rare de voir continuer dans la piété que d'y voir entrer. Je les ai toujours dans l'esprit, et principalement celle du miracle', parce qu'il y a quelque chose de plus extraor dinaire, quoique l'autre le soit aussi beaucoup et quasi sans exemple. Il est certain que les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire qu'il prépare en l'autre. Aussi, quand je prévois la fin et le couronnement de son ouvrage par les commencements qui en paraissent dans les personnes de piété, j'entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses élus. Je vous avoue qu'il me semble que je les vois déjà dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quitté jugeront le monde avec JÉSUS-CHRIST, selon la promesse qu'il en a faite. Mais quand je viens à penser que ces mêmes personnes peuvent

2

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1 << Dit saint Paul. » Coloss., 111, 9-10, et ailleurs.

>>

De Laudes. » Cantate Domino canticum novum, ces mots se trouvent dans plusieurs psaumes, dont l'un, le psaume CXLIX, se chantait en effet aux Laudes du dimanche à cette époque, comme on le voit par le Bréviaire de Paris de 4653, partie

d'automne.

3

« Celle du miracle. » Ces mots ont fait penser d'abord à la petite miraculée, la nièce de Pascal, Marguerite Perier, mais on voit bien vite qu'il ne peut être question d'elle ici. C'était une enfant de dix ans, tout à fait incapable de cette grande piété et de ce grand zèle. Mais qui sont donc ces deux personnes dont parle Pascal? Ils ne les faut pas chercher bien loin. Ce sont, je crois, celles-mêmes à qui il écrit, Mile de Roannez et son frère. Il prend ce tour pour mieux donner le change à ceux qui pourraient surprendre sa lettre; l'accident qui est arrivé, et dont il se plaint en commençant, est cause qu'il redouble de précaution. C'est Mile de Roannez qui est désignée par ces mots, celle du miracle, car c'était le miracle qui avait décidé sa conversion. Voir plus haut. L'autre personne est M. de Roannez, bien extraordi naire aussi sans doute, car quoi de plus extraordinaire, parmi les miracles de la grâce, qu'un duc et pair, seul héritier d'un grand nom, qui avait renoncé à 24 ans au monde et au mariage, pour attacher sa destinée à celle de quelques persécutés? « De ces trônes » Le détour qu'a pris Pascal lui permet seul d'adresser à celle à qui il écrit de tels hommages. Pourrait-il lui dire en face: Je vous vois déjà couronnée et radieuse au haut du ciel?

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