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67. La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux 2.

68. Certains auteurs :, parlant de leurs ouvrages, disent : Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. Ils sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un « chez moi » à la bouche. Ils feraient mieux de dire : Notre livre, notre commentaire, notre histoire, etc., vu que d'ordinaire il y a plus en cela du bien d'autrui que du leur.

69. J'aime la pauvreté 5, parce que Jésus-Christ l'a aimée. J'aime les biens, parce qu'ils donnent le moyen d'en assister les misérables?. Je garde fidélité à tout le monde. Je [ne] rends pas le mal à ceux qui m'en font; mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne, où l'on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes. J'essaie d'être juste, véritable , sincère et fidèle à tous les hommes, et j'ai une tendresse de cœur pour ceux que Dieu m'a upis plus étroitement; et soit que je sois seul, ou à la vue des hommes, j'ai en toutes mes actions la vue de Dieu qui doit les juger, et à qui je les ai toutes consacrées. Voilà quels sont mes sentiments; et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi, et qui, d'un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme

1 a La machine. » 204. Manque dans P. R. Sur la machine arithmétique, ou d'arithmétique, voir la Vie de Pascal, et la note 10.

? « Comme les animaux. » Il semble que ce fragment contient une objection de Pascal à la doctrine des animaux machines, que Descartes avait accréditée. Voir x, 4, p. 160, note 2.

« Certains auteurs. » M. Faugère n'a trouvé cette pensée dans aucun manuscrit. Elle a été publiée par Bossut. A qui Pascal en voulait-il dans ces phrases piquantes ? Nous renonçons à le deviner.

« Pignon sur rue. » Une propriété qui est sur une rue a plus d'importance qu'une autre. D'où cette expression proverbiale.

5 « J'aime la pauvreté. » 104. Publié, mais avec des altérations, dans la Vie de Pascal par madame Périer. Voir la note36 sur cette Vie. Manque dans l'édition de P. R.

o « L'a aimée. » « Bienheureux vous qui êtes pauvres, car le royaume de Dieu » est à vous. » Luc vi, 20.

? « Les misérables. » Sur le zèle de Pascal à servir les misérables , voir sa Vie par madame Périer.

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exempt de tous ces maux' par la force de sa grâce, à laquelle toute

1 la gloire en est due, n'ayant de moi que la misère et l'erreur.

70. La nature' a des perfections pour montrer qu'elle est l'image de Dieu ; et des défauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image.

71.

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Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou par un autre tour de folie, de ne pas être fou.

72. Otez la probabilité; on ne peut plus plaire au monde : mettez la probabilité, on ne peut plus lui déplaire.

73.

L'ardeur des saints à rechercher et pratiquer le bien était inutile, si la probabilité est sûre.

74. Pour faire ? d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grâce; et qui en doute, ne sait ce que c'est que saint et qu'homme.

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75. On aime la sûreté. On aime que le pape soit infaillible en la

De tous ces maux. » Est-ce un chrétien qui parle, ou le Sage du stoïcisme?

« Et l'erreur. » Malgré cette réserve, et malgré le respect que commande le nom de Pascal, comment ne pas s'étonner qu'il ait osé se rendre un tel témoignage, et le consigner par écrit! On croit entendre la prière du pbarisien. « Le pharisien >> priait ainsi en lui-même : Seigneur, je vous rends grâce de ce que je ne suis pas » comme les autres hommes, qui sont voleurs, iniques, adultères, ou comme ce >> publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dime de tout ce que je posv sède. Le publicain au contraire, se tenant éloigné, n'osait pas même lever les yeux » au ciel, mais il se frappait la poitrine, disant : Seigneur, ayez pitié d'un pécheur » comme moi. Et Jésus reprit: « Je vous dis que celui-ci s'en retourna chez lui jus» tifié plutôt que l'autre, car tout homme qui s'élève sera rabaissé, et tout homme » qui s'abaisse sera relevé. » Luc, xvIII, 44.— Jésus aurait-il été moins sévère, quand le pharisien aurait parlé en janseniste, quand il aurait rapporté son mérite à la grâce, et qu'il aurait dit : Je vous remercie de ce que la grâce m'a été donnée plutôt qu'à d'autres, de ce que je suis un favori au milieu des réprouvés ? « Les » élus ignoreront leurs vertus, » dit ailleurs Pascal (23).

« La nature. » 90. Manque dans P. R.
« Les hommes. » 483. Manque dans P. R.
« Otez. » 429. Manque dans P. R. Voir 24, et les Provinciales.
« L'ardeur. » ibid. Manque dans P. R.
« Pour faire. » 433. Manque dans P. R. Voir 69.
« On aime. » 109. Manque dans P. R. Cette pensée frappe les Jésuites par deux

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foi, et que les docteurs graves le soient dans les mæurs, d'avoir son assurance.

76.

afin

Il ne faut pas' juger de ce qu'est le pape par quelques paroles des Pères, comme disaient les Grecs dans un concile ?, règle importante, mais par les actions de l'Église et des Pères, et par les

canons.

77.

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Le pape : est premier. Quel autre est connu de tous ? Quel autre est reconnu de tous? ayant pouvoir d'insinuer dans tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche, qui s'insinue partout ? Qu'il était aisé de faire dégénérer cela en tyrannie! C'est pourquoi Jésus-Christ leur a posé ce précepte : Vos autem non sic .

L'unité et la multitude 5 : Duo aut tres in unum . Erreur à exclure l'une des deux, comme font les papistes qui excluent la multitude, ou les huguenots qui excluent l'unité.

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tranchants, en raillant à la fois l'infaillibilité du pape, et les docteurs graves. On sait assez par les Provinciales (voir particulièrement la cinquième) ce que c'était qu'un docteur grave, suffisant pour donner à ses opinions en morale le caractère de la probabilité.

« Il ne faut pas. » 1 23. Manque dans P. R. ? « Dans un concile. » On lit dans Bossuet (Remarques sur l'Histoire des conciles d'Ephèse et de Chalcédoine, de M. Dupin , chap. fer, cinquième remarque) : « C'est v entrer dans l'esprit des Grecs schismatiques, qui, dans le concile de Florence, » voulaient prendre pour honnêteté et pour compliment tout ce que les Pères écri» vaient aux papes pour se soumettre à leur autorité. » Bossuet blâme ici ce principe des Grecs, que Pascal prend pour régle; mais Bossuet parle comme Pascal dans son fameux ouvrage posthume, Defensio declarationis cleri Gallicani, livre vi, chapitre xi , où il montre que le pape Eugène, ayant voulu faire admettre par le concile cette clause : Ut papa habeat sua privilegia jurta canones el dicta sanctorum ,

fut obligé de renoncer à ces derniers mots; et le concile ne reconnut la puissance pontificale que suivant qu'elle avait été déterminée par les actes des conciles et par les canons. Le concile général de Florence, où les Latins et les Grecs s'unirent dans un symbole commun, est de 4 439.

a Le pape. » Même page. Manque dans P. R.

« Non sic. » Luc, xxII, 26 : « Les disciples contestant entre eux sur la pri» mauté, Jésus leur dit : Les rois des nations commandent en maitres. Qu'il n'en soit » pas ainsi purmi vous : mais que celui qui est le plus grand devienne comme le plus » petit, et celui qui commande comme celui qui sert. » 5 « Et la multitude. » Cela sera expliqué au paragraphe 81.

« Duo aut tres in unum. » Ces paroles ne se trouvent nulle part textuellement dans l'Écriture. Ce qui s'en rapproche le plus, et que Pascal parait avoir en vue, est un passage de la première épitre aux Corinthiens, xiv, 27. Saint Paul se plaint que, dans les assemblées des fidèles, il y en a trop qui veulent montrer qu'ils ont reçu de Dieu l'esprit de pr hétie, ou le don des gues, de façon qu'on y entend à la fois toutes sortes de langues et toutes sortes de révélations, et il ajoute : « Si

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78.

Il y a hérésie à expliquer toujours omnes de tous, et hérésie à ne le pas expliquer quelquefois de tous. Bibite ex hoc omnes 2 : les huguenots, hérétiques, en l'expliquant de tous :. In quo omnes peccaverunt“ : les huguenots, hérétiques , en exceptant les enfants des fidèles 5. Il faut donc suivre les Pères et la tradition pour savoir quand , puisqu'il y a hérésie à craindre de part et d'autre 6.

79.

Tout nous peut être’ mortel, même les choses faites pour nous servir; comme, dans la nature, les murailles peuvent nous tuer, et les degrés nous tuer, si nous n'allons avec justesse.

Le moindre mouvement importe à toute la nature; la mer entière change pour une pierre'. Ainsi, dans la grâce, la moindre action importe pour ses suites à tout. Donc tout est important.

En chaque action, il faut regarder, outre l'action, notre état présent, passé, futur, et des autres à qui elle importe, et voir les liaisons de toutes ces choses. Et lors on sera bien retenu '0.

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» donc il y en a qui aient le don des langues, qu'on n'en entende que deux ou trois » au plus, et chacun à son tour, et qu'il y ait un interprète pour traduire leurs pa» roles (el unus interpretetur). » Et un peu plus loin : « Que deux ou trois prophéti» sent (duo aut tres dicant), et que les autres écoutent et jugent. » Pascal, qui use et abuse des textes, parait avoir détourné celui-ci, dans sa pensée, à signifier qu'il peut y avoir dans l'Église, non pas une seule opinion (celle du pape) mais deux ou trois, c'est-à-dire plusieurs, à la condition que cette pluralité se reduira à l'unité par une décision collective (celle des conciles).

1 « Il y a hérésie. » Même page. Manque dans P. R.

? a Ex hoc omnes. » « Buvez-en lous , car ceci est mon sang. » Paroles de JésusChrist à la Cène. Matth., XXVI ,

3 « De tous. » Car, suivant la doctrine de l'Église, il n'y a que ceux qui sont en état de grâce qui doivent boire le sang de Jésus-Christ dans la communion.

« Peccaverunt. » Rom. v, 42 : « De même que le péché est entré dans le monde » par un homme, en qui tous ont péché. »

« Des fidèles. » Voir une longue discussion sur ce passage de saint Paul dans Bossuet, Défense de la tradition el des saints Pères , livre vi, chapitre xii et suivants.

« De part et d'autre. » Il semble que l'intention de ce fragment est d'insinuer qu'il peut être permis de dire que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous.

« Tout nous peut être. » 107. Manque dans P. R.

« Pour une pierre. » Assertion très-contestable, fondée sur l'hypothèse cartésienne du plein absolu et continu dans la nature. Si tout est plein, aucune force, aucune action ne se perd dans le vide; il y a communication infinie du moindre mouvement imprimé en un point quelconque de la matière.

« Et des autres. » Et l'état présent, passé, futur, des autres personnes à qui elle importe.

« Bien retenu. » Ce fragment est dirigé contre la morale relâchée des casuistes.

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80.

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Tous les hommes se haissent naturellement l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n'est que feinte, et une fausse image de la charité; car au fond ce n'est que

haine.

Ce vilain fond de l'homme, ce figmentum malumo, n'est que couvert; il n'est pas ôté.

81. [Si l'on veut dire que l'homme est trop peu pour mériter la communication avec Dieu , il faut être bien grand pour en juger.]

82.

L'homme n'est pas digne de Dieu, mais il n'est pas incapable d'en être rendu digne.

Il est indigne de Dieu de se joindre à l'homme misérable; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misère.

83..

... Les malheureux , qui m'ont obligé de parler du fond de la religion!... Des pécheurs purifiés sans pénitence, des justes justifiés sans charité, tous les chrétiens sans la grâce de Jésus-Christ,

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« Tous les hommes. » 467. Manque dans P. R. On lit encore p. 449 du manuscrit : « Grandeur. Les raisons des effets marquent la grandeur de l'homme, » d'avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre. » Et, page 405 : « Grandeur de » l'homme dans sa concupiscence même. d'en avoir su tirer un règlement admirable, » et en avoir fait un tableau de la charité. »

« Ce vilain fond. » 465. Manque dans P. R. 3 « Figmentum malum. » On lit au psaume cu, 14: a Dieu sait bien de quelle > matière nous sommes faits : quoniam ipse cognovit figmentum nostrum. » - Cf.

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Vi, 20.

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« Si l'on veut dire. » 47. Manque dans P. R. Ce fragment avait été barré par Pascal. Cf. III, 9, p. 483.

sa L'homme n'est pas. » 27. Manque dans P. R. Cf. 81.

6 a Les malheureux. » 449. Manque dans P. R. C'est encore ici comme un fragment des Provinciales; ces malheureur sont les Jésuites. Il entend qu'il a été conduit par leurs attaques à montrer qu'ils ont corrompu la religion dans son fond même. Il va dire comment. Voir, à la suite de la Vie de Pascal, la note sur les doctrines du jansenisme. - On lit encore p. 343 du manuscrit : « Ces malheureux , » qui nous ont obligé de parler des miracles ! »

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