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exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons', le progrès des maladies, etc. Car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir; et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur 2, que dans cette curiosité inutile.

La manière d'écrire3 d'Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie, est la plus d'usage, qui s'insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire, et qui se fait le plus citer, parce qu'elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie; comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde, que la lune est cause de tout, on ne marquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que, lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune, etc., qui est la pensée ci-dessus.

18.

Si le foudre tombait sur les lieux bas, etc.", les poëtes, et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueraient de preuves'.

1 « Le changement des saisons. » Saisons est pris ici dans le sens du latin tempestates; Pascal veut dire les changements de temps, comme à mis P. R.

2 « D'être dans l'erreur. » N'est-ce pas là une faiblesse que le philosophe doit combattre, au lieu de l'autoriser?

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3 «La manière d'écrire. » 444. Manque dans P. R.

« Et de Salomon de Tultie. » «Nos recherches, dit M. Faugère, et celles de >> plusieurs érudits n'ayant pu nous procurer aucune notion sur Salomon de Tullie, » nous supposons que madame Perier, de la main de laquelle ce passage se trouve écrit » dans le manuscrit, aura altéré le nom de l'écrivain cité par Pascal.... » Ce nom est tracé très-distinctement, et à deux fois; mais en supposant que madame Perier se soit trompée, quel autre nom faudra-t il mettre à la place? On n'en trouve aucun dans l'histoire littéraire qui convienne ici. Comment Pascal, qui semble avoir si peu lu, lisait-il un écrivain que personne ne connait, et qu'il nomme à côté d'Épictète et de Montaigne? On serait tenté de croire que Salomon de Tultie n'est qu'un pseudonyme, un ami de Pascal, par exemple, qui lui avait soumis quelque recueil de pensées, où Pascal avait remarqué celle qu'il cite. Ou qui sait si ce n'est pas luimême que Pascal désigne ainsi?

5 « Toute composée de pensées. » Cette manière est bien celle de Pascal.

Si le foudre tombait, etc. » 273. Manque dans P. R. Foudre s'employait alors et au masculin et au féminin.

Ces foudres impuissants qu'en leurs mains vous peignez.
(CORNEILLE, Polyeucte.)

7 « Sur les lieux bas, etc. » Cet etc. indique d'autres suppositions semblables qu'on pourrait faire.

8 « Manqueraient de preuves. » Pourquoi? Au lieu de dire que les grands sont plus exposés aux catastrophes comme les sommets à la foudre, ils diraient, par exemple, que le sage, ayant l'âme élevée, est inaccessible au malheur, qu'au contraire les âmes basses et vulgaires en sont nécessairement atteintes, comme la foudre

19.

Le cœur a son ordre' ; l'esprit a le sien, qui est par principes et démonstrations; le cæur en a un autre. On ne prouve pas qu'on doit être aimé, en exposant d'ordre les causes de l'amour : cela serait ridicule?.

Jésus-Christ, saint Paul ont l'ordre de la charité', non de l'esprit; car ils voulaient échauffer, non instruire. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point. qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.

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20.

Masquer la nature et la déguiser. Plus de roi, de pape, d'évêques ; mais auguste monarque, etc.; point de Paris; capitale du royaume. Il y a des lieux’ où il faut appeler Paris Paris , et d'autres où il le faut appeler capitale du royaumes.

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ne frappe que les lieux bas, etc. Descartes écrivait au P. Mersenne, en janvier 1647: a Vous me mandiez dans votre précédente que les prédicateurs sont contraires à » ma philosophie, à cause qu'elle leur fait perdre leurs belles comparaisons touchant » la lumière; mais s'ils y veulent penser, ils en pourront tirer de plus belles de » mes principes, » etc.

! « Le cœur a son ordre. » 113. P. R., XXXI. En titre dans le manuscrit : L'ordre. Contre l'objection que l'Écriture n'a pas d'ordre.

« Cela serait ridicule. » Montaigne, III, 3, page 361 : Amor ordinem nescit. C'est un passage de saint Jérôme (lettre à Chromatius, Jovinus et Eusébe, à la fin): Præproperus sermo, confusa turbatur oratio; am. ord. n.

3 a De la cbarité. » Cf. xvi, 13.

A la digression sur chaque point. » C'est-à-dire à s'étendre sur chaque chose qui peut exciter le sentiment que l'on a pour fin de produire, sans s'attacher à suivre le fil du raisonnement. 3 a Masquer la nature. » 213. P. R., XXXI.

« De pape, d'évêques. » P. R. a supprimé ces mots, et ensuite l'etc.

« Des lieux. » C'est-à-dire des endroits dans le discours. 8 a

Capitale du royaume. » On trouve dans la correspondance du chevalier de Méré une lettre de Miton a Méré (let're 475), où les mêmes principes de goût sont développés fort longuement : « Je viens d'examiner un auteur qui loue Charles-Quint » de ce qu'en cette grande bataille, où il s'agissait d'assujettir l'Allemagne, malgré » les douleurs de la goutte, dont il était ce jour-là si cruellement tourmenté, il se o fit lier sur son cheval, sans sortir de la bataille qu'il ne l'eût gagnée. Et l'auteur, » pensant relever cette action, appelle toujours Charles-Quint ce grand empereur. » Mais il me semble qu'il eût été beaucoup mieux de le nommer simplement Charles, » parce que grand empereur le cache sous ce nom (c'est à peu près l'expression de • Pascal, masquer la nature], et amuse ainsi l'imagination, au lieu que Charles le » montre à découvert, et fait voir plus clairement que c'est lui. Et de plus, quand » on dit que Charles méprise la douleur et la mort pour l'ambition , on dit de lui de » plus grandes choses que si on disait, ce grand empereur. car il est bien plus » grand à Charles, qui est simplement un homme, de mépriser la mort et la douleur, >> qu'il ne l'est à un grand empereur, dont le métier est de mépriser tout pour la » gloire. Sur quoi il me vient dans l'esprit que, si le même auteur eût voulu parler

21. Quand dans un discours? se trouvent des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les trouve si propres qu'on gåterait le discours, il les faut laisser, c'en est la marque”; et c'est là la part de l'envie, qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit; car il n'y a point de règle générale.

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22. Ceux qui font les antithèses“ en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes.

23.

Les langues sont des chiffres, où non les lettres sont changées en lettres, mais les mots en mots; de sorte qu'une langue inconnue est déchiffrable 6.

24. Il y a un certain modèle' d'agrément et de beauté qui consiste

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» de lui retiré à Saint-Just, après qu'il eût quitté ses royaumes et l'empire, se » promenant comme un particulier avec les religieux de l'abbaye, il eût fallu l'appe» ler ce grand empereur.... Je ne sais ce que vous jugerez de ces réflexions; mais » il est vrai qu'en recherchant par cette voie la nature des choses, on pourrait con> paltre en tout ce qu'il y a de bien et de mal, et se rendre un bon juge et même » un excellent ouvrier de la bienséance. »

« Quand dans un discours. » 409. P. R., XXXI. ? « C'en est la marque. » C'est la marque qu'il les faut laisser. M. Vinet (Études sur Pascal, page 415) fait remarquer que Pascal semble donner ici l'exemple dans la règle même, en répétant le verbe (rouver.

a Et c'est là la part de l'envie. » Pascal pense-t-il à quelque passage des Provinciales où l'envie avait critiqué des répétitions ? Voir M. Sainte-Beuve, Port Royal, t. II, p. 545. CP. XXIV, 94. — Méré (OEuvres posthumes, p. 45), parlant de César: a Ce grand homme, a-t-on dit, était persuadé que la beauté du langage dépend » beaucoup plus d'user des meilleurs mots que de les diversifier , et s'il était con» tent d'une expression, il ne s'en lassait point, et ne craignait pas non plus d'en » lasser les autres. »

* « Ceux qui font les antithèses. » 127. P. R., XXXI. En titre dans le manuscrit, Miscell. Langage. Cette comparaison est bien spirituelle. Miscell., c'est Miscellanea, Mélanges.

a Les langues sont des chiffres. » 110. Manque dans P. R.

« Est déchiffrable. » Étant donné un chiffre écrit dans une langue connue, qu'est-ce qui le rend déchiffrable? C'est que la connaissance de la langue fait deviner la valeur des lettres. Étant donné maintemant une langue inconnue exprimant des idées connues, qu'est-ce qui la rendra déchiffrable? C'est que la connaissance des idées fera deviner la valeur des mots. Mais un alphabet se réduit à un très-petit nombre de caractères, tandis qu'une langue contient une infinité de mots. La seconde difficulté est donc hors de toute proportion avec la première, et véritablement énorme.

? « Il y a un certain modèle. v 429. P. R., XXXI.

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en un certain rapport entre notre nature faible ou forte', telle qu'elle est, et la chose qui nous plaît. Tout ce qui est formé sur ce modèle nous agrée : soit maison, chanson, discours, vers, prose, femmes, oiseaux, rivières, arbres, chambres, habits, etc. Tout ce qui n'est point fait sur ce modèle déplait à ceux qui ont le bon goût?. Et comme il y a' un rapport parfait entre une chanson et une maison qui sont faites sur le bon modèle, parce qu'elles ressemblent à ce modèle unique, quoique chacune selon son genre, il y a de même un rapport parfait entre les choses faites sur le mauvais modèle“. Ce n'est pas que le mauvais modèle soit unique, car il y en a une infinité. Mais chaque mauvais sonnet", par exemple, sur quelque faux modèle qu'il soit fait, ressemble parfaitement à une femme vêtue sur ce modèle. Rien ne fait mieux entendre combien un faux sonnet est ridicule que d'en considérer la nature et le modèle, et de s'imaginer ensuite une femme ou une maison faite sur ce modèle-là.

25. Comme on dit beauté poétique', on devrait aussi dire beauté géométrique, et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point : et la raison en est qu'on sait bien quel est l'objet de la géométrie,

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« Faible ou forte. » Que signifient ces paroles ? S'il s'agit de notre nature à chacun, plus faible chez celui-ci, plus forte chez celui-là, le bon goût ne serait donc pas le même pour tous, et le modèle ne serait pas unique, ce qui semble contraire à la pensée de Pascal. S'il s'agit de notre nature en général, de la nature humaine, pourquoi ajouter faible ou forte? N'est-ce pas que Pascal, qui sait si bien la faiblesse de la nature, pense néanmoins que telle qu'elle est, faible ou forle, elle est pour nous la mesure du beau ? ? « Le bon goût.

» Ou le goût bon (comme au paragr. 28), locution familière dans la bonne compagnie , parmi les honnétes gens à la façon du chevalier de Méré, et que celui-ci emploie fréquemment, quoiqu'il ait écrit : « Il serait à désirer de » faire en sorte qu'il eût le goût bon, car si je me veux expliquer, il faut bien que » je me serve de ce mot dont tant de gens abusent. » (M. Collet, page 33.)

« Et comme il y a. v Tout ce qui suit manque dans P. R.

« Sur le mauvais modèle. » Ce bon et ce mauvais modèle, sur lesquels sont faites à la fois les maisons, les chansons, les femmes, etc., ne sont-ils pas des idées de Platon, c'est-à-dire de pures abstractions sans réalité ?

a Chaque mauvais sonnet. » On s'occupait alors beaucoup des sonnets, et on attachait une grande importance à ce petit poëme; on sait les vers de Boileau à ce sujet dans l'Art poélique.

« Vêtue sur ce modèle. » Voir le paragraphe suivant. ? « Comme on dit beauté poétique. » 1 29. En titre, Beauté poétique. P. R., XXXI.

« Et la raison en est, » Un théorème, une découverte scientifique peut être belle , peut avoir de la beauté, mais non des beautés. Le beau est là dans le fond même, dans l'essence de la solution trouvée; en poésie, il est dans des mouvements

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et qu'il consiste en preuves, et quel est l'objet de la médecine, et qu'il consiste en la guérison; mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément, qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter; et, à faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : « siècle d'or, merveille de nos jours, fatal, etc."; » et on appelle ce jargon beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme sur ce modèle-là, qui consiste à dire de petites choses avec de grands mots”, verra une jolie demoiselle toute pleine de miroirs et de chaines', dont il rira, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers. Mais ceux qui ne s'y connaîtraient pas l'admireraient en cet équipage; et il y a bien des villages où on la prendrait pour la reine : et c'est pourquoi nous appelons les sonnets faits sur ce modele-là les reines de villages.

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d'imagination ou de passion qui sont des accidents, et qui ont chacun à part leur effet et leur charme. Ce sont là les vraies beautés poétiques. Les idées de Pascal semblent ici bizarres et fausses. Puisqu'il cite ailleurs Corneille, il aurait pu y trouver des beautés poétiques qui ne sont pas un jargon.

« Fatal, etc. » P. R. a mis , fatal laurier , bel astre. Pascal raille seulement l'emploi de l'adjectif fatal, mis à la mode par Malherbe, qui avait une grande prédilection pour ce mot, ainsi que l'a remarqué Ménage. Il l'emploie le plus souvent dans une acception favorable, au sens du latin fatalis.

Puissance, quiconque tu sois
Dont la fatale diligence
Préside à l'empire françois ! (Ode 4.)
Tu menois le blond Hyménée,
Qui devoit solonnellen ent
De ce fatal accouplement

Célébrer l'heureuse journée. (Ode 6, au duc de Bellegarde.)
Plus haut, dans cette même ode :

Qui ne sait de quelles tempêtes.

Leur falale main autrefois, etc. etc. Quant au siècle d'or, voir surtout les Stances récitées au ballet de Madame princesse d'Espagne. (II, 28). Enfin, l'expression de merveille revient à chaque instant, enchassée de diverses manières. Voilà les agréments que répétaient à satiété tous ces petits poètes, que Boileau trouvait si aisé d'imiter, s'il eût voulu

Dans ses vers recousus mettre en pièces Malherbe. a De petites choses avec de grands mots. v Excellente définition de la fausse éloquence, et qui est de tous les temps.

3 « De miroirs et de chaines. » M. Sainte-Beuve ( Port-Royal, t. III, p. 49) a justement rapproché du fragment de Pascal ce passage des Lettres persanes : « Ce » sont ici les poëtes, c'est-à-dire ces auteurs dont le métier est de mettre des en» traves au bon sens, et d'accabler la raison sous les agréments, comme on ense» velissait autrefois les femmes sous leurs ornements el leurs parures. » (Lettre 437.)

« Nous appelons. » Qui, nous? Apparemment la petite société d'hommes de goût , de raffinés, dont Méré était l'oracle.

* Le mariage d'Henri IV avec Marie de Médicis.

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