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MON FRÈRE AÎNÉ ADOLPHE HAVET,

HOMMAGE D'UNE TENDRE ET RECONNAISSANTE AFFECTION.

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La nouveauté de cette édition n'est pas dans le texte qu'elle contient. Ce texte est celui que M. Faugère, mettant à profit les découvertes de M. Cousin, et répondant à son appel, a fait paraitre en 1844, d'après le manuscrit autographe entièrement dépouillé pour la première fois; grand et précieux travail, récompensé par l'honneur même qui s'attache au titre de premier éditeur des vraies Pensées de Pascal. Quoique je me sois reporté moi-méme au manuscrit autographe, dont j'ai tiré plusieurs corrections, cependant mon édition ne diffère pas, en général, de celle de M. Faugère, quant au texte de chaque fragment pris à part. Elle présente cependant un autre aspect, et ce n'est plus le même livre, en ce que la disposition n'est plus la même. J'ai expliqué, dans l'Etude sur les Pensées de Pascal, qui suit cet Avertissement, les motifs qui m'ont déterminé à classer ces fragments suivant un ordre qui n'est pas véritablement nouveau, mais qui est le même, à très-peu de chose près, que celui de toutes les éditions faites d'après Bossut, c'est-à-dire des éditions les plus répandues et les plus nombreuses (a).

Mon édition comprend : 4° toutes les pensées proprement dites, c'est-àdire tous les fragments contenus dans le manuscrit autographe, à l'excep

2 tion seulement des notes qui se rapportent aux Provinciales, lesquelles doivent entrer dans les éditions des Provinciales, et non dans les éditions des Pensées (6); 2° les Opuscules qu’on est habitué à lire, sous une forme ou sous une autre, dans les éditions des Pensées faites d'après Bossut, plus le Discours sur les passions de l'amour.

J'ai placé en tête des fragments de Pascal sa Vie écrite par Mme Perier (c). Quant aux relations qui nous ont été conservées de deux conversations de Pascal, l'Entretien avec M. de Saci, et les Discours à un jeune duc sur la condition des grands, je les ai placées, comme pièces préliminaires de l'édition, à la suite de la Vie de Pascal qu'elles complètent.

J'ai eu le plaisir inattendu de m'apercevoir qu'après tant de restaurations, on m'avait laissé encore une restauration à faire : cette édition des Pensées est la première où l'on trouvera le véritable texte de l'Entretien de Pascal avec M. de Saci. Ce texte était pourtant ouvert à tous les yeux,

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(a) Voyez la Table des articles à la fin du volume.

J'ai conservé cependant parmi ces notes celles que les anciennes éditions des Pensées avaient accueillies, par exemple xxiv, 66.

(c) J'ai consulté le texte donné par M. Faugère dans son édition des Lettres et Opuscules des saurs et de la nièce de Pascal.

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il ne reposait pas même dans un manuscrit, comme celui des Pensées, il avait été imprimé en 1728 par le P. Des Molets, d'après le manuscrit des Mémoires de Fontaine, mais on l'a laissé dans les Mémoires de Des Molets sans songer à s'en servir. M. Faugère lui-même n'a donné ce morceau que d'après les Mémoires de Fontaine imprimés (1736), où il n'avait été reproduit qu'avec beaucoup d'altérations. On avait fait comme pour les Pensées, on avait effacé les hardiesses et les traits de scepticisme : voyez mon préambule, pages XXXIII, XXXIV, et mes remarques.

Je répète cependant que la tàche d'éditeur n'a pas été mon principal objet; mon travail consiste surtout dans mes notes. M. Cousin le premier a reconnu et fait reconnaitre la véritable lettre et le véritable esprit des Pensées; M. Faugère en a publié le premier le texte complet et authentique; j'entreprends le premier d'y joindre un commentaire où se trouvent toutes les explications et tous les renseignements qu'on souhaite en les lisant.

Ces secours, qui ne sont pas inutiles pour lire les classiques, même quand il s'agit d'ouvrages régulièrement composés et préparés à loisir pour le public, m'ont semblé particulièrement nécessaires pour l'étude d'un recueil de matériaux, de notes sans suite et sans liaison', ramassées seulement après la mort de l'auteur, et qui en outre ont eu cette singulière destinée, que, quoique publiées il y a plus de cent soixante-dix ans, elles étaient inédites, en un certain sens, hier encore, tant leur texte véritable diffère de celui qui est en possession de toutes les bibliothèques et de toutes les mémoires depuis si longtemps. Mon premier soin a été d'introduire entre ces deux textes des rapprochements fréquents, qui font ressortir à la fois l'intention des corrections faites par Port-Royal et la force de la leçon originale. Chacun de ces rapprochements est un véritable commentaire ou de l'idée de Pascal, ou de son style. Voyez, par exemple, les notes des pages 12 et 13, et la note 1 de la page 33, etc., etc.

Il faut bien remarquer que, lorsque tout un fragment ou tout un alinéa est indiqué comme manquant dans l'édition de Port-Royal, il ne s'ensuit pas de là qu'il soit demeuré inédit jusqu'à notre temps. En général, tout ce qui compose les vingt-quatre premiers articles des Pensées se trouve déjà dans Bossut. Il n'en est pas moins intéressant de remarquer que les premiers éditeurs n'avaient pas osé imprimer telle ou telle chose. Mais, au contraire, dans tout autre cas que celui d'une suppression complète, lorsqu'il s'agit d'un déplacement, d'une décomposition arbitraire, d'une fausse composition, d'une altération quelconque de l'expression ou de la phrase, alors l'infidélité de l'édition de Port-Royal a passé dans les éditions postérieures et a fait loi jusqu'à M. Cousin. Alors donc cette expression, le texte de Port-Royal, signifie le texte universellement reçu il n'y a pas dix ans.

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Il n'est pas étonnant que des phrases que Pascal ne jetait sur le papier que pour lui-même soient quelquefois obscures et difficiles à entendre. C'est tantôt le raisonnement qui est trop serré, et la suite des idées qu'on a peine à saisir , comme aux paragraphes vi, 40, ou xxv, 36; tantôt un seul mot sous-entend des faits qu'il faut savoir, et sans lesquels le fragment demeure une véritable énigme, comme dans les passages sur le mem (xx, 7, p. 259) ou sur les soixante-dix semaines de Daniel (xvIII, 5). Je me suis attache à éclaircir ces deux sortes d'obscurités. Mais le plus souvent on saisit très-bien ce que Pascal a voulu dire, et l'objet du commentaire n'est pas de faire entendre sa pensée, mais de faire qu'on y entre davantage.

Le meilleur interprète de Pascal est Pascal lui-même : les mêmes idées reviennent sans cesse dans son livre sous différentes formes, et ainsi des fragments quelquefois très-éloignés se servent de commentaire les uns aux autres. J'ai donc renvoyé continuellement le lecteur d'une pensée à une autre pensée, qui la prépare ou l'achève ou l'éclaircit. J'ai établi aussi, entre le Pascal des Pensées et le Pascal des Provinciales, de fréquents rapprochements.

Toutes les fois que Pascal cite un passage de l'Écriture, ou qu'il y renvoie, ou qu'il y fait allusion , j'ai indiqué ce passage d'une manière précise. Quoique les anciens éditeurs eussent fait une grande partie de ce travail, ils avaient négligé encore bien des passages. Je traduis le texte cité quand il y a quelque intérêt à le rapprocher de l'interprétation que Pascal en donne. De cette manière, sans discuter cette interprétation, je fournis au lecteur le moyen de la discuter lui-même.

Pascal cite par leur nom Épictète, saint Augustin, Tertullien, etc., sans indiquer les passages. J'ai donné des renvois précis.

Voltaire avait averti déjà que, parmi les Pensées, un grand nombre étaient tirées de Montaigne, observation que Ch. Nodier a poussée depuis jusqu'à l'outrer dans une sortie fort bizarre contre Pascal (a). Ces imitations ont été signalées dans l'édition de M. Faugère beaucoup plus complétement qu'elles ne l'avaient encore été. On trouvera cependant ici plusieurs rapprochements frappants qui avaient été oubliés. Voyez page 32, note 6; p. 49, note 4, et les notes sur xxiv, 24, etc.

Mais indépendamment de l'Écriture et des Pères, ou de Montaigne et d'Épictète, il y a en divers endroits des Pensées le témoignage de l'impression qu'avait faite sur Pascal tel ou tel esprit ou tel ou tel livre contemporain. Comme il ne nomme jamais ou presque jamais, on n'avait guère remarqué ces traces de ses conversations ou de ses lectures. Je puis me permettre de dire, en général, que je suis le premier qui les aie suivies. On verra dans mes notes que telle pensée vient de Descartes, ou de Balzac, ou de Gro

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(a) Questions de littérature légale (anonymel, 1812, page 21.

tius, ou de Méré (a), ou d'une Anthologie de Port-Royal, ou du Cyrus, ou du Pugio fidei, etc. (b). D'autres notes, en faisant voir de quelles idées on était préoccupé alors, quelles questions on soulevait et quels débats on agitait, éclaireront par cela même certains fragments. Voyez p. 314, note 2; p. 346, note 5; p. 327, note 5, etc. Voyez encore, pour des détails d'une autre sorte, les notes des pages 253, 437, 446.

Les lettres à Mlle de Roannez n'avaient été l'objet d'aucun éclaircissement; j'ai cherché à me rendre compte des moindres particularités qu'elles présentent. J'ose croire que cette étude des détails donne à ces lettres un aspect nouveau et un intérêt imprévu. Ce qui pouvait ne sembler qu'une suite de lieux-communs de dévotion janséniste, paraît, ainsi éclairé, le développement d'une espèce de drame intérieur plein d'émotion, et le journal des assauts que l'âme violente de Pascal livre à une autre âme qu'elle subjugue enfin.

L'attention qu'on donne nécessairement à ce qu'on s'oblige d'expliquer fait apercevoir des fautes jusque-là inaperçues; ainsi je crois avoir établi qu'on s'est trompé jusqu'ici en supposant que le jeune seigneur auquel s'adressent les Discours sur la condition des grands était le duc de Roannez je montre que cela n'est pas possible (c). — Voyez aussi la note de la page 448.

Je ne veux pas détailler ici tous les genres d'éclaircissement qui ont pu entrer dans mes remarques, mais j'affirme qu'à l'exception des fragments compris dans l'Appendice (voyez ma note p. 519), je n'ai pas laissé passer une phrase du texte de Pascal sans essayer de répondre à toute question qui se présentait à mon esprit à l'occasion de cette phrase. Lorsque j'en ai rencontré que je n'ai pu résoudre, je me suis arrêté encore pour déclarer que je ne le pouvais pas (d).

J'ai joint aux notes qu'on pourrait appeler d'explication des notes de goût, et aussi des notes philosophiques. Il n'y a guère de fragment qui ne prêtât aux unes et aux autres, mais j'en ai été très-sobre; je n'ai pas prétendu enseigner au lecteur, à chaque instant, comment il doit sentir ou penser. Il y a cependant des occasions où l'on m'aurait reproché de ne pas exprimer l'admiration que cette éloquence appelle, ou la leçon de goût qui ressort de l'analyse de certaines beautés. Quant à la philosophie, j'ai déjà dit ailleurs que je ne prétendais pas discuter avec Pascal; mais il se rencontre pourtant tel paralogisme subtil qu'on doit démêler, telle illusion d'une vive imagination dont on a besoin de se défendre, telle dif

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(a) Pour Méré, j'ai été devancé par M. Fr. Collet, et j'ai profité de son travail. Voyez la note 16 sur la Vie de Pascal, p. xIx.

(b) Voyez p. 96, note 3; p. 117, note 3; p. 159, note 2; p. 381, note 5; etc., etc.

(c) J'avais moi-même répété cette erreur sur la foi d'autrui (p. 94).

(d) C'est ainsi que j'ai eu le regret de ne rien trouver de satisfaisant pour rendre compte du nom inexpliqué de Salomon de Tultie, vII, 17.

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