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long-temps l'appui de Rome, firent plus peut-être pour la réformation que contre elle. Cela est vrai surtout de l'ordre des Augustins. Presque tous les hommes pieux, d'un esprit libre et élevé, qui se trouvaient dans les cloîtres, se tournèrent vers l'Évangile. Un sang nouveau et généreux circula bientôt dans ces ordres qui étaient comme les artères de la catholicité allemande. On ne savait rien dans le monde des nouvelles idées de l'Augustin de Wittemberg, que déjà elles étaient le grand sujet de conversation des chapitres et des monastères. Plus d'un cloître fut ainsi une pépinière de réformateurs. Au moment où les grands coups furent portés, des hommes pieux et forts sortirent de leur obscurité et abandonnèrent la retraite de la vie monacale, pour la carrière active de ministres de la parole de Dieu. Déjà, dans cette inspection de 1516, Luther réveilla par ses paroles bien des esprits endormis. Aussi a-t-on nommé cette année « l'étoile du matin du jour évangélique.

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Luther, de retour à Wittemberg, se remit à ses occupations ordinaires. Il était à cette époque accablé de travail : ce n'était point assez d'être professeur, prédicateur, confesseur, il était encore chargé d'un grand nombre d'occupations temporelles concernant son ordre et son couvent. « J'ai <«< besoin presque continuellement, écrivait-il, de «< deux secrétaires, car je ne fais presque rien au« tre tout le jour qu'écrire des lettres. Je suis pré<«<dicateur du couvent, orateur de la table, pas«teur et prédicateur de la paroisse, directeur des « études, vicaire du prieur (c'est-à-dire onze fois

((

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PESTE.

243 prieur!), inspecteur des étangs de Litzkau, avo«< cat des auberges de Herzberg à Torgau, lecteur « de saint Paul, commentateur des Psaumes... J'ai « rarement le temps de dire mes heures et de

chanter; sans parler encore du combat avec la <«< chair et le sang, avec le diable et le monde.... << Vois! quel homme oisif je suis 1!... >>

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Vers ce temps, la peste se déclara à Wittemberg. Une grande partie des étudiants et des docteurs quittèrent la ville. Luther resta. « Je ne sais trop, « écrivait-il à son ami d'Erfurt, si la peste me permettra de finir l'épître aux Galates. Prompte et brusque, elle fait de grands ravages, surtout parmi la jeunesse. Vous me conseillez de fuir. Où fuirai-je ? J'espère que le monde ne s'écroulera « pas, si le frère Martin tombe'. Si la peste fait des progrès, je disperserai les frères de tous côtés; « mais moi, je suis placé ici; l'obéissance ne me « permet pas de fuir, jusqu'à ce que celui qui m'a appelé me rappelle. Non que je ne craigne pas « la mort (car je ne suis pas l'apôtre Paul, je suis << seulement son commentateur); mais j'espère que « le Seigneur me délivrera de la crainte. » Telle était la fermeté du docteur de Wittemberg. Celui que la peste ne pouvait faire reculer d'un pas, reculerait-il devant Rome? céderait-il devant l'échafaud?

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Le même courage que Luther montrait en pré

1. Epp. I, p. 41, à Lange, du 26 octobre 1516. 2. Quo fugiam? spero quod non corruet orbis, ruente fratre Martino. Epp. I, p. 42 (du 26 octobre 1516).

244 RAPPORTS DE LUTHER AVEC L'ÉLECTEUR.

sence des maux les plus redoutables, il le déployait devant les puissants du monde. L'électeur était très-content du vicaire-général. Celui-ci avait fait dans les Pays-Bas une bonne récolte de reliques. Luther en rend compte à Spalatin '. C'est une chose singulière que cette affaire de reliques, qui se traite au moment où la réformation va commencer. Certes, les réformateurs savaient peu où ils en devaient venir. Un évêché semblait à l'électeur ètre seul une récompense digne du vicaire-général. Luther, à qui Spalatin en écrivit, en écrivit, désapprouva fort cette idée. « L'amour bannit le jugement, comme << dit Chrysostome, répondit-il. Il y a bien des <«< choses qui plaisent à votre prince, et qui pour<< tant déplaisent à Dieu. Je ne nie pas qu'il ne « soit habile dans les choses du monde; mais en «< ce qui concerne Dieu et le salut des âmes, je « le regarde comme sept fois aveugle, ainsi que Pfeffinger son conseiller. Je ne dis pas cela par « derrière comme un calomniateur: ne le leur ca<< chez pas, car je suis prêt moi-même et en toute « occasion, à le dire en face à l'un et à l'autre. Pour

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quoi voulez-vous, continue-t-il, entourer cet « homme (Staupitz) de tous les tourbillons et de <<< toutes les tempêtes des soucis épiscopaux2 ? »

L'électeur ne prenait pas en mauvaise part la franchise de Luther. « Le prince, lui écrivait Spa«< latin, parle souvent de vous et avec beaucoup << d'honneur. » Frédéric envoya au moine de quoi

1. L. Epp. I, p. 45..

2. Ib., p. 25.

CONSEILS AU CHAPELAIN.

245

se faire un froc : c'était de très-beau drap. « Il se«rait trop beau, dit Luther, si ce n'était pas un <<< don de prince1. Je ne suis pas digne qu'aucun << homme se souvienne de moi, bien moins encore <«< un prince, et un si grand prince. Ceux qui me << sont le plus utiles sont ceux qui pensent le plus « mal de moi. Rends grâces à notre prince de sa <«< faveur; mais sache que je désire n'être loué ni << de toi, ni d'aucun homme, toute louange d'hom<< me étant vaine, et la louange qui vient de Dieu << étant seule vraie. »

L'excellent chapelain ne voulait pas se borner à ses fonctions de cour. Il désirait se rendre utile au peuple; mais, commie plusieurs en tout temps, il voulait le faire sans blesser les esprits, sans irriter personne, en se conciliant la faveur générale. « In

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diquez-moi, écrivait-il à Luther, quelque écrit à <«< traduire en langue vulgaire, mais un écrit qui plaise généralement et qui en même temps soit <«< utile. »—«Agréable et utile! répondit Luther: cette <«< demande surpasse mes forces. Plus les choses sont <«< bonnes, moins elles plaisent. Qu'y a-t-il de plus << salutaire que Christ? Et pourtant il est pour la plupart une odeur de mort. Vous me direz que « vous ne voulez être utile qu'à ceux qui aiment «< ce qui est bon. Alors faites seulement entendre << la voix de Christ vous serez agréable et utile <«< n'en doutez pas, mais au très-petit nombre; car <<< les brebis sont rares dans cette triste région de loups 2. >>

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1. L. Epp. I, p. 45.

2. Ib., p. 46.

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Luther recommanda cependant à son ami les sermons du dominicain Tauler. « Je n'ai jamais vu, « dit-il, ni en latin ni dans notre langue, une théologie plus saine et plus conforme à l'Évangile. << Goûtez donc et voyez combien le Seigneur est doux, mais lorsque vous aurez d'abord goûté et «< vu combien est amer tout ce que nous sommes 1. »

«

Ce fut dans le courant de l'année 1517 que Luther entra en rapport avec le duc George de Saxe. La maison de Saxe avait alors deux chefs. Deux princes, Ernest et Albert, enlevés dans leur jeunesse, du château d'Altenbourg par Kunz de Kaufungen, étaient devenus, par le traité de Leipsig, les fondateurs des deux maisons qui portent encore leur nom. L'électeur Frédéric, fils d'Ernest, était, à l'époque dont nous faisons l'histoire, le chef de la branche Ernestine; et son cousin, le duc George, l'était de la branche Albertine. Dresde et Leipsig se trouvaient dans les états du duc, et il résidait dans la première de ces villes. Sa mère, Sidonia, était fille du roi de Bohême, George Podiebrad. La longue lutte que la Bohême avait soutenue avec Rome, depuis les temps de Jean Hus, avait eu quelque influence sur le prince de Saxe. Il s'était souvent montré désireux d'une réformation. « Il l'a sucé au sein de sa mère, disait-on; «< il est de sa nature ennemi du clergé 2. » Il tourmentait de plusieurs manières les évêques, les abbés, les chanoines et les moines; et son cousin

1. L. Epp. I, p. 46.

2. Dise. de table, p. 1849.

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