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POURQUOI CE LIVRE?

Ce livre est né d'un accès d'indignation.

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Tout Français qui voyage entend à l'étranger le français suivant des travails, des œils, une avocate, les effets théâtrals de M. Gattel, des palais ducaux, des repas frugaux, des jours nataux; un viel homme, une vielle femme; une chose fallue, parue, plue, prévalue; un homme allé, nui; un problème résous; Éclairez l'escalier à Monsieur! des habits encrassés, ce molade va pis etc. etc.

Le feu qui petille (sans accent), les meur (mœurs), les pommes de Cotigna, le beu salé, le fromage d'Hollande, vermichelle, co d'Inde, segrétaire, Suyi (Sully), le cardinal Chimène (Ximénès), Jésuss, Kintilien, Kinte Curce, un kesleur, le Kirinal, avan-hier etc. etc.

Et on vous répond: Mais c'est votre pays! ce sont les autorités de votre pays! On vous apporte triomphalement la grammaire officielle, Noël et Chapsal; on vous montre l'approbation en tête, l'approbation du Conseil de l'Instruction publique, et on vous fait remarquer que le membre qui a signé est encore secrétaire perpétuel de l'Académie. De sorte que ce livre réunit toutes les herbes de la saint Jean.

1 Au sérieux.

Ni l'Université ni l'Académie n'ont lu. M. Villemain ne dit pas du beu salé. Voilà M. Cousin, le premier grammairien de l'époque, un de ceux qui ont approuvé. Il approuve donc ce qu'il fait enseigner. Il approuve donc Chapsal prétendant que Bossuet n'est pas à imiter, quand il dit : « Il fallait cacher la pénitence avec le même soin qu'on eût fait les crimes. » M. Cousin ne va donc pas imiter! Il se gardera bien de la locution, lui! Point, il imite, il reproduit, en bonne compagnie, il est vrai. (Voir p. 445.)

Noël non plus n'a pas lu; en voici la preuve irréfutable. Noël était un homme instruit. Il a fait un Dictionnaire français latin, que beaucoup d'entre nous ont encore eu entre les mains. Or, dans ce dictionnaire, les mots sont tout autrement classés et définis que dans la Grammaire. Noël connaissait Tout et Rien substantifs. Chapsal-Noël ne les connait plus.

Enfin Chapsal a avoué, tout avoué. Vous avez son aveu en tête de son second ouvrage, à la place où Noël est absent. Ce second ouvrage, quelque chose comme syntaxe, n'est qu'une reproduction textuelle et partielle du premier. Le nom de Noël n'y est pas. De quel droit Chapsal biffe-t-il ainsi son collaborateur? Du droit du vainqueur. Il a réussi, il supprime l'associé, l'enseigne, l'appeau.

Et maintenant, Université qui avez enrichi et comblé ce vainqueur, continuez d'élever la jeunesse! Proposez lui ce modèle de science et de probité littéraire! Et vous, Académie, vous avez loué ce talent par la bouche de votre secrétaire, mais pour cette vertu n'aviez vous plus rien?

Tous les jours, à toute heure, grâce à Chapsal, la comédie de la maitresse de langue se joue dans le monde entier. Mais ce ne sont pas toujours des comédiens qui jouent la comédie. C'est quelquefois un français que le hasard d'une révolution a jeté hors de la patrie, et que la misère a forcé de se faire « gouverneur d'enfants . » Au moins il peut donner ce qu'il a reçu, l'éducation, et son malheur sert encore la patrie, il porte partout

1 Janot et Colin.

sa langue. Mais figurez vous sa surprise et sa douleur, quand voulant enseigner Bossuet, Racine, Lamennais... l'Université et l'Académie sont là, qui complices des parents, lui imposent Chapsal! J'ai vu cette douleur. Ah je briserai cette tyrannie.

Et pour cette hospitalité qu'il a reçue, le français doit quelque chose. Il le doit à l'étranger, il le doit à sa patrie, qui est toujours innocente de son exil; à cette patrie qu'il voit, qu'il entend, qu'il respire partout, sur les théâtres, dans la presse, dans la conversation. Oui, ce jargon que vous enseignez est unc trahison envers l'étranger, qui aime votre langue, qui l'apprend, qui la parle; oui c'est de l'ingratitude, oui c'est un crime.

La presse parisienne, Karr, les français qui passent, ont beaucoup discrédité Chapsal. Mais alors l'étranger s'est trouvé dans l'embarras. Qui prendre? Un gouvernement a pris pour ses athénées une grammaire qu'il suffit d'ouvrir à sa première page. Elle ne connait pas l'article 1. Nous n'en citerons donc que la prononciation. En voici un échantillon, d'après un tableau d'homonymes (l'auteur a voulu dire paronymes, sons identiques). Donc, d'après ce tableau, le pôle du monde, et Paul sont un seul et même son. Donc pôle et Virginie, et le Paul du monde. Donc encore un acre de terre, et une humeur acre; la ville de dol, et le Dôle et la fraude; la côte de la Bourse, et une cote enfoncée; le département du gare! et un cocher qui crie: Gard! la hale au blé, et le halle du grand air; l'église St. rauque, et une voix Roch; échec et mát, et le mat 2 d'un vaisseau; la rosée du matin, et les oreilles du matin; les paumes de reinette, et la pomme de la main; la Beauce du chameau, et les blés de la bosse; une saule frite, et un sol pleureur; les pattes du pâtissier, et les quatre pâtes d'un chien 3 etc. Le nom de l'imprimeur n'a pas peu contribué au succès. C'est imprimé chez Didot.

1 L'article indéfini : un, une, des etc.

2 En outre, mat se prononce matt, de sorte qu'il faudrait dire le matt d'un vaisseau.

3 Pôle, rauque, mât, mâtin, paume, Beauce, saule, pâte, LONGS; les autres, p. 13, ou BREFS : Paul, Roch, mat (matt), matin, pomme, etc.

Il y en a un troisième, qui a fait son chemin surtout dans la diplomatie, un « professeur de rhétorique » et nous le voulons croire; assez volumineux, prenant les nuances de la langue pour des contradictions, et pour des créations des mots comme une angesse, une évêchesse, une siresse...

Qu'il soit donc le seul coupable, si jamais sur la surface du globe, on rencontre un frère disant à sa sœur tu es une angesse! ou un peuple à sa reine Siresse!

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Il y en a un quatrième qui fait office de Trésor, chez les vieux magistrats etc. Par son titre il représente tous les autres. Prescrit par feu M. de Fontanes pour être donné en prix dans les colléges. Honoré d'éloges et d'une subvention, sous deux secrétaires successifs de l'Académie. Autorisé à imprimer qu'il a « servi aux travaux de l'Académie. » Celui là est une insulte perpétuelle à toute la littérature française.

Reste l'Académie, autorité que ne nous envient ni l'Allemagne, ni l'Angleterre; autorité qui en est encore à j'ai sorti, au fusil qui a parti, au bouquet qui fleure bon; qui partage avec l'Université le co d'Inde, et les pommes de Cotigna; qui conserve l'ouette et les habits ouettés; qui prononce indamne, indamnité; avriye, babiye, ciye, périye; qui ne se lit pas elle même, et qui ne cite jamais.

L'Académie est après tout le seul Dictionnaire qu'un honnête homme puisse citer 1.

Le beu salé, les mots ellipsés (Grammaire no 2) le gramma

1 Nous ne citerons donc même pas le Dictionnaire de Nodier et d'un alsacien, sorte d'accouplement bizarre, comme Noël et Chapsal. Mais Nodier a plus fait que Noël, il a fait une préface Seulement il a oublié d'y expliquer pourquoi il s'était jadis évertué, en plusieurs feuilletons, à démontrer l'impossibilité d'un Dictionnaire.

On n'a pas oublié non plus la collection de « cuirs » que Karr s'amusait à extraire du Dictionnaire Napoléon Landais, à peu près à la même époque, et dans le même journal, le Temps.

Quelle collection du même genre il y aurait à faire dans un Dictionnaire plus récent, frère de la Grammaire no 3, et riche de l'argot des métiers, sans compter les exemples de MM. Demandre, Deleuze, Paul, Pierre, Jacques.

Et dans les Boiste, les Delanneau! Et dans les recueils de synonymes des recteurs de l'Université, couronnés ou non par l'Académie! Etc., etc.

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