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te generofité furprenante, qui vous fit rifquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes; ces foins pleias de tendrefle,que vous me fites éclater aprés m'avoit tirée de l'eau; & les hommages allidus de cet ardent amour, que ny le temps, ny les difficultez,n'ont rebute, & qui vous faifant negliger & parens & patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur vôtre fortune déguilée, & vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'employ. de domestique de mon Pere. Tout cela fait chez moy, fans doute, un merveilleux effer;& c'en eft afiez à mes yeux, pour me juftifier l'engagement où j'ay pû confentir mais ce n'eft pas affez, peut-être, pour le juftifier aux autres; & je ne fuis pas feure qu'on entre dans mes fentimens.

VALER E.

De tout ce que vous avez dit, ce n'eft que par mon feul amour que je prétens auprés de vous meriter quelque chofe; & quant aux ferupules que vous avez, votre Pere, luy-même, ne prend que trop de foin de vous juftifier à tout le monde ;. & l'exces de fon avarice, & la maniere auftere dont il vit avec. fes enfans, pourroient authorifer des chofes plus étranges. Pardonnez-moy, charmante Elife, fi j'en parle ainfi devant vous. Vous fçavez que fur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, fi je puis comme je l'efpere, retrouver mes parens, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attens des nouvelles avec impatience, & j'en iray chercher moy-même, fi elles tardent à venir.

ELISE.

Ah! Valere, ne bougez d'ici, je vous prie; & fongez feulement à vous bien mettre dans l'efprit de

mon Pere.

VALERE.

Vous voyez comme je m'y prens, & les adroites complaifances qu'il m'a fallu mettre en ufage, pour m'introduire à fon fervice; fous quel mafque de fympathie, & de rapports de fentimens, je me déguife, pour luy plaire, & quel perfonnage je joue tous les jours avec luy, afin d'acquerir fa tendrefle. J'y fais des progrés admirables; & j'éprouve que pour Aaa 3 gagner

monde; mais plus que tout, Valere, le changement de votre cœur, & cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe payent le plus fouvent les témoignages trop ardens d'uninnocent amour.

VALER E.

Ah! ne me faites pas ce tort, de juger de moy par les autres. Soupçonnez moy de tout, Elife, plûtôt que de manquer à ce que je vous doy. Je vous aime trop pour cela; & mon amour pour vous, durera autant que ma vie.

ELISE.

Ah! Valere, chacun tient les mêmes discours. Tous les hommes font femblables par les paroles; & ce n'eft que les actions, qui les découvrent diffe

rens.

VALER E.

Puis que les feules actions font connoître ce que nous fommes; attendez donc au moins à juger de mon cœur par elles, & ne me cherchez point des crimes dans les injuftes craintes d'une fâcheufe prevoyance. Ne m'affaffinez point, je vous prie, par les fenfibles coups d'un foupçon outrageux; & donnez moy le temps de vous convaincre, par mille & mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

ELISE.

Helas! qu'avec facilité on fe laiffe perfuader par les perfonnes que l'on aime! Oui, Valere, je tiens vôtre cœur incapable de m'abufer. Je croy que vous m'aimez d'un veritable amour, & que vous me ferez fidelle; je n'en veux point du tout douter, & je retranche mon chagrin aux appréhentions du blâme qu'on pourra me donner.

VALER E. Mais pourquoy cette inquietude?

ELISE.

Je n'aurois rien à craindre, fi tout le monde vous voyoit des yeux dont je vous voy; & je trouve en votre perfonne dequoy avoir raifon aux chofes que je fais pour vous. Mon cœur, pour fa defenfe, a tout votre merite, appuyé du fecours d'une recon-noiffance où le Ciel m'engage envers vous. Je me reprefente à toute heure ce peril étonnant, qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cet

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te generofité furprenante, qui vous fit rifquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes; ces foins pleias de tendrefle,que vous me fites éclater aprés m'avoit tirée de l'eau; & les hommages allidus de cet ardent amour, que ny le temps, ny les difficultez n'ont rebute, & qui vous faifant negliger & parens & patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur vôtre fortune déguilée, & vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'employ. de domestique de mon Pere. Tout cela fait chez moy, fans doute, un merveilleux effet;& c'en eft afiez à mes yeux, pour me juftifier l'engagement où j'ay· pû confentir mais ce n'eft pas affez, peut-être, pour le juftifier aux autres; & je ne fuis pas feure qu'on entre dans mes fentimens.

VALER E.

De tout ce que vous avez dit, ce n'eft que par mon feul amour que je prétens auprés de vous meriter quelque chofe; & quant aux fcrupules que vous avez, vôtre Pere, luy-même, ne prend que trop de foin de vous juftifier à tout le monde ;. & l'exces de fon avarice, & la maniere auftere dont il vit avec. fes enfans, pourroient authorifer des chofes plus étranges. Pardonnez-moy, charmante Elife, fi j'en parle ainfi devant vous. Vous fçavez que fur ce chapitre on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, fi je puis, comme je l'efpere, retrouver mes parens, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous le rendre favorable. J'en attens des nouvelles avec impatience, & j'en iray chercher moy-même, fi elles tardent à venir.

ELISE.

Ah! Valere, ne bougez d'ici, je vous prie; & fongez feulement à vous bien mettre dans l'efprit de

mon Pere.

VALERE.

Vous voyez comme je m'y prens, & les adroites complaifances qu'il m'a fallu mettre en ufage, pour m'introduire à fon fervice; fous quel mafque de fympathie, & de rapports de fentimens, je me déguife, pour luy plaire, & quel perfonnage je joue tous les jours avec luy, afin d'acquerir fa tendrefle. J'y fais des progrés admirables; & j'éprouve que pour

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gagner

gagner les hommes, il n'eft point de meilleure voie, que de fe parer à leurs yeux de leurs inclinations;que de donner dans leurs maximes, encenfer leurs defauts, & applaudir à ce qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaifance; & la maniere dont on les joue a beau étre vifible, les plus fins toûjours font de grandes dupes du côté de Ja flaterie; & il n'y a rien de fi impertinent, & de fi ridicule, qu'on ne faffe avaler, lors qu'on l'affaifonne en louange. La fincerité fouffre un peu au meftier que je fais: mais quand on a befoin des hommes, il faut bien s'ajuster à eux; & puis qu'on ne fçauroit les gagner que par là, ce n'eft pas la faute de ceux qui flatent, mais de ceux qui veulent étre flatez.

ELISE.

Mais que ne tâchez-vous auffi à gagner l'appuy de mon Frere, en cas que la Servante s'avifât de reveler nôtre fecret?

VALER E.

On ne peut pas ménager l'un & l'autre ; & l'efprit du Pere, & celuy du fils, font des chofes fi oppofées, qu'il eft difficile d'accommoder ces deux confidences enfemble. Mais vous, de vôtre part, agif fez auprés de vôtre frere, & fervez-vous de l'amitié qui eft entre vous deux, pour le jetter dans nos interêts, Il vient. Je me retire. Prenez ce temps pour luy parler; & ne luy découvrez de notre affaire, que ce que vous jugerez à propos.

ELISE.

Je ne fçay fi j'auray la force de luy faire cette confidence.

SCENE II.

CLEANTE,

ELISE.

CLEANTE.

E fuis bien-aife de vous trouver feule, ma Soeur, & je brûlois de vous parler, pour m'ouvrir à vousd'un fecret.

ELISE.

Me voilà preste à vous ouïr, mon frere. Qu'avezvous à me dire?

CLE

CLEANTE.

Bien des chofes, ma Sœur, enveloppées dans un

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CLEANTE.

Oui, j'aime. Mais avant que d'aller plus loin, je fay que je dépens d'un Pere, & que le nom de fils me foûmet à fes volontez; que nous ne devons point engager nôtre foy fans le confentement de ceux dont nous tenons le jour; que le Ciel les a fairs les Maîtres de nos vœux, & qu'il nous eft enjoint de n'en difpofer que par leur conduite, que n'étant prevenus d'aucune folle ardeur, ils font en état de fe tromper bien moins que nous, & de voir beaucoup mieux ce qui nous eft propre; qu'il en faut plûtôt croire les lumieres de leur prudence, que l'aveugle ment de notre paffion, & que l'emportement de la jeuneffe nous entraifne le plus fouvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma Soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire: car enfin, mon amour ne veut rien écouter, & je vous prie de ne me point faire de remon

trances,

ELISE.

Vous étes-vous engagé, mon Frere, avec celle que vous aimez?

CLEANTE.

Non; mais j'y fuis réfolu, & je vous conjure encore une fois, de ne me point apporter de raisons pour m'en diffuader.

ELISE.

Suis-je, mon Frere, une fi étrange perfonne ?
CLEANTE

Non; ma Sœur, mais vous n'aimez pas. Vous ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait fur nos cœurs ; & j'apprehende vôtre fageffe.

ELISE.

Helas! mon Frere, ne parlons point de ma fageffe. Il n'eft perfonne qui n'en manque du moins une fois en fa vie; & fije vous ouvre mon cœur, peut-être ferai-je à vos yeux bien moins fage que vous

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