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mais cela n'eft pas pour durer; & fa mort, croyez. moy, vous mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui reparera toutes choses.

MARIA NE.

Mon Dieu, Frofine, c'eft une étrange affaire, lors que pour être heureuse, il faut fouhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un, & la mort ne fuit pas tous les projets que nous faifons.

FROSINE.

Vous moquez-vous? vous ne l'époufez qu'aux conditions de vous laiffer veuve bientôt, & ce doit être là un des articles du contrat. Il feroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois! Le voici en propre perfonne.

MARIANE.

Ah Frofine, quelle figure!

SCENE

V..

HARPAGON, FROSINE, MARIANE.

NE

HARPAGON.

E vous offenfez pas, ma Belle, fi je viens à vous avec des lunettes. Je fçay que vos appas frapent affez les yeux, font affez vifibles d'eux-mêmes, & qu'il n'eft pas befoin de lunettes pour les apperce voir: mais enfin c'eft avec des lunettes qu'on obferve les Aftres, & je maintiens & garantis que vous êtes un Aftre, mais un Aftre, le plus bel Aftre qui fois dans le Païs des Aftres. Frofine, elle ne répond mot & ne témoigne, ce me femble, aucune joie de me voir.

FROSINE.

C'eft qu'elle est encore toute furprife; & puis les filles ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'ame.

HARPAGON.

Tu as raifon. Voilà, belle mignonne, ma fille, qui vient vous falûer.

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SCENE VI.

ELISE, HARPAGON, MARIANE,

FROSINE.

MARIANE.

JEm'acquitte bien tard, Madame, d'une telle vi

ELISE.

Vous avez fait, Madame, ce que je devois faire, & c'étoit à moy de vous prevenir.

HARPAGON.

Vous voyez qu'elle eft grande; mais mauvaise herBe croît toûjours.

MARIANE, bas à Frofme.

O l'homme déplaifant!

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Quel animal!

HARPAGON.

Je vous fuis trop obligé de ces fentimens.

MARIANE, à part.

Je n'y puis plus tenir.

HARPAGON.

Voici, mon fils auffi, qui vous vient faire la reve

rence.

MARIANE, à part à Frofine.

Ah! Frofine, quelle rencontre! c'est justement celuy dont je t'ay parlé.

FROSINE, & Mariane.

L'avanture eft merveilleufe.

HARPAGON.

Je voy que vous vous étonnez de me voir de fi grands enfans; mais je feray bientôt défait & de Tun, & de l'autre.

SCE

SCENE

VIL.

CLEANTE, HARPAGON, ELISE, MA

RIANE, FROSINE.

CLEANT E.

MAdame, à vous dire le vray, c'eft ici une avan ture où fans doute je ne m'attendois pas; & mon Pere ne m'a pas peu furpris, lors qu'il m'a dit tantôt le deffein qu'il avoit formé.

MARIAN E.

Je puis dire la même chofe. C'est une rencontre imprevenë qui m'a furprife autant que vous; & je n'etois point préparée à une pareille avanture.

CLEANTE

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Ileft vray que mon Pere, Madame ne peut pas faire un plus beau choix, & que ce m'eft une fenfible joye que l'honneur de vous voir: Mais avec tout cela, je ne vous affureray point que je me rejouis du deffein où vous pourriez étre de devenir ma BelleMere. Le compliment, je vous l'avoue, eft trop dif ficile pour moy; & c'est un titre, s'il vous plaît, que je ne vous fouhaite point. Ce difcours paroiftra brutal aux yeux de quelques uns; mais je fuis affure que vous ferez perfonne à le prendre comme il fau dra. Que c'est un mariage, Madame, où vous vous imaginez bien que je dois avoir de la repugnance;que vous n'ignorez pas, fçachant ce que je fuis, comme il choque mes interêts; & que vous voulez bien enfin que je vous dife, avec la permiffion de mon Pere, que fi les chofes dépendoient de moy, cet hymen ne le. feroit point.

HARPAGON. Voilà un compliment bien impertinent. Quelle belle confeffion à luy faire!

MARIA NE.

Et moy, pour vous répondre, j'ay à vous dire que, les chofes font fort égales; & que fi vous auriez de la repugnance à me voir vôtre Belle-Mere, je n'en aupas moins fans doute à vous voir mon beau-Fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce foit may qui cherche à vous donner cette inquietude. Je ferois fort. Ccc 4

rois

fâchée de vous caufer du déplaifir; & fi je ne m'y vois forcée par une puiffance abfoluë, je vous donne'ma parole, que je ne confentiray point au mariage qui vous chagrine.

HARPAGON.

Elle a raifon. A fot compliment, il faut une réponfe de même. Je vous demande pardon, ma belie, de l'impertinence de mon fils. C'eft un jeune fot, qui ne fçait pas encore la confequence des paroles qu'il dit.

MARIA NE.

Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offenfée; au contraire, il m'a fait plaifir de m'expliquer ainfi fes veritables fentimens. J'aime de Juy un aveu de la forte; & s'il avoit parlé d'autre façon, je l'en eftimerois bien moins.

HARPAGON.

C'eft beaucoup de bonté à vous, de vouloir ainfi excufer les fautes. Le temps le rendra plus fage, & vous verrez qu'il changera de fentimens.

CLEANTE.

Non,mon Pere,je ne fuis point capable d'en changer; & je prie inftam nent Madame de le croire. HARPAGON.

Mais voyez quelle extravagance! Il continue encore plus fort.

CLEAN TE.

Voulez-vous que je trahiffe mon cœur?

HARPAGON.

Encore? Avez-vous envie de changer de difcours?
CLEANTE.

Hé bien, puis que vous voulez que je parle d'autre façon; fouffrez, Madame, que je me mette ici à la place de mon Pere; & que je vous avoue, que je n'ay rien veu dans le monde de fi charmant que vous ; que je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire; & que le titre de vôtre époux eft une gloire, une felicité, que je préfererois aux deftinées des plus grands Princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur de vous poffeder eft à mes regards la plus belle de toutes les fortunes; c'eft où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je ne fois capable de faire pour une conquête fi preciéule; & les obstacles les plus puiffans...

HAR

HARPAGON.

Doucement, mon fils, s'il vous plaît.

CLEANTE.

C'eft un compliment que je fais pour vous à Ma. dame. HARPAGON.

Mon Dieu,j'ay une langue pour m'expliquer moimême, & je n'ay pas befoin d'un Interprete comme vous. Allons, donnez des fieges.

FROSIN E.

Non, il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en revenir plûtôt, & d'avoir tout le temps enfuite de vous entretenir.

HARPA GON.

Qu'on mette donc les chevaux au caroffe. Je vous prie de m'excufer, ma Belle, fi je n'ay pas fongé à vous donner un peu de collation avant que de partir. CLEANTE.

J'y ay pourveu, mon Pere, & j'ay fait apporter ici quelques baffins d'oranges de la Chine, de citrons doux, & de confitures, que j'ay envoyé querir de vôtre part.

HARPA GON, bas à Valere.

Valere.

VALERE, à Harpagon,

Il a perdu le fens.

CLEANTE.

Eft-ce que vous trouvez, mon Pere, que ce ne foit pas affez? Madame aura la bonté d'excufer cela, s'il luy plaît.

MARIA NE.

C'eft une chofe qui n'étoit pas néceffaire.

CLEANTE.

Avez-vous jamais veu, Madame, un diamant plus vif que celuy que vous voyez que mon Pere a au doigt?

MARIAN E.

Il eft vray qu'il brille beaucoup.

CLEANTE.

Il l'bte du doigt de fon Pere, & le
donne à Mariane.

Il faut que vous le voyiez de prés.

MARIANE.

Il eft fort beau,fans doute,& jette quantité de feux,

CLE

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