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BRINDAVOINE.

Vous fçavez bien, Monfieur, qu'un des devans de mon pourpoint eft couvert d'une grande tache de l'huile de lampe.

LA MERLUCHE.

Et moy, Monfieur, que j'ay mon haut-de-chauffest out troué par derriere, & qu'on me voit revérence parler...

HARPAGON.

Pour vous,

Paix. Rangez cela adroitement du côté de la muraille, & préfentez toûjours le devant au monde. Harpagon met fon chapeau au devant de fon pourpoint, pour montrer à Brindavoin: comment il doit faire pour cacher la tache d'huile. Et vous, tenez toujours vôtre chapeau ainfi, lors que vous fervirez. ma fille, vous aurez l'oeil fur ce que l'on deffervira, & prendrez garde qu'il ne s'en faffe aucun dégât. Cela fied bien aux filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma Maitreffe qui vous doit venir vifiter, & vous mener avec elle à la Foire. Entendez-vous ce que je vous dis?

Ouy, mon Pere.

ELIS F

HARP AGON.

Et vous, mon fils le Damoiseau, à qui j'ay la bonté de pardonner l'hiftoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de luy faire mauvais visage.

CLEANTE.

Moy, mon Pere, mauvais vifage? & par quelle raifon?

HARPAGON.

Mon Dieu, nous fçavons le train des enfans dont les Peres fe remarient, & de quel œil ils ont coûtume de regarder ce qu'on appelle Belle-Mere, Mais fi vous fouhaitez que je perde le fouvenir de vôtre derniere fredaine, je vous recommande, fur-tout, de régaler d'un bon vifage cette perfonne-là, & de luy faire enfin tout le meilleur accueil qu'il vous fera poffible.

CLEANT E.

A vous dire le vray, mon Pere, je ne puis pas vous promettre d'être bien-aife qu'elle devienne ma Belle-Mere. Je mentirois, fije vous le difois: mais

pour

pour ce qui est de la bien recevoir, & de luy faire bon vifage, je vous promets de vous obeïr ponctuellement fur ce chapitre

HARPAGON.

Prenez-y garde au moins.

CLEANT E.

Vous verrez que vous n'aurez pas fujet de vous en plaindre.

HARPAGON.

Vous ferez fagement. Valere, aide-moy à ceci. Ho ça, Maître Jacques, approchez-vous, je vous ay gardé pour le dernier.

M. JACQUES.

Eft-ce à vôtre cocher, Monfieur, ou bien à vôtre cuifinier, que vous voulez parler? car je fuis l'un & l'autre.

HARPAGON.

C'eft à tous les deux.

M. JACQUES.

Mais à qui des deux le premier?
HARPAGON.

Au cuifinier.

M. JACQUES.

Attendez donc, s'il vous plaît.

Il ofte fa cafaque de cocher, & paroit veftu en
Cuifinier.

HARPA GON
Quelle diantre de cérémonie eft-ce là?

M. JACQUES.

Vous n'avez qu'à parler.

HARPAGON.

Je me fuis engagé, Maître Jacques, à donner ce foir à fouper.

M. JACQUES.

Grande merveille!

HARPAGON.

Dy-moy un peu, nous feras-tu bonne chere?
M. JACQUES.

Ouy, fi vous me donnes bien de l'argent.
HARPAGON.

Que diable toûjours de l'argent! Il femble qu'ils n'ayent autre chofe à dire,de l'argent, de l'argent,de l'argent. Ah! ils n'ont que ce mot à la bouche, de

Par

l'argent. Toûjours parler d'argent. Voilà leur épée de chevet, de l'argent.

VALER E.

Je n'ay jamais veu de réponse plus impertinente que celle là. Voilà une belle merveille, que de faire bonne chére avec bien de l'argent.C'est une chose la plus aifée du monde, & il n'y a fi pauvre efprit qui n'en fit bien autant: mais pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent.

M. JACQUES. Bonne chére avec peu d'argent?

Ouy.

VALERE.

M. JACQUES.

Par ma foy, Monfieur l'Intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce fecret, & de prendre 'mon office de cuifinier: auffi bien vous mêlez-vous céans d'être le factotum.

HARPAGON.

Taifez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra?

M.

Voilà Monfieur vôtre Intendant, qui vous fera bonne chére pour peu d'argent.

HARPAGON.

Haye. Je veux que tu me répondes.
M. JACQUES.

Combien ferez-vous de gens à table?

HARPAGON.

Nous ferons huit ou dix; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a

bien pour dix.

Cela s'entend.

VALER E.

M. JACQUES.

Hébien, il faudra quatre grands potages, & cinq affietes. Potages.. Entrées...

HARGA PON.

Que diable, voilà pour traiter toute une ville entiere.

M. JACQUES.

-Rôt...

HAR

HARPAGON, en luy mettant la
main fur la bouche.

Ahtraître, tu manges tout mon bien.
M. JACQUES.

Entremets....

HARPAGON.

Encor?

VALER E.

Eft-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde? & Monfieur a-t-il invité des gens pour les affaffiner à force de mangeaille? Allez-vous en lire un peu les préceptes de la fanté; & demander aux Medecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme, que de manger avec excés.

Il a raifon.

HARPAGON,

VALER E.

Apprenez, Maître Jaques, vous, & vos pareils, que c'eft un coupe-gorge, qu'une table remplie de trop de viandes; que pour fe bien montre rami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité régne dans les repas qu'on donne; & que fuivant le dire d'un Ancien: Il faut manger pour vivre, & non pas vivre pour manger.

HARPAGON.

Ah que cela eft bien dit! Approche, que je t'embraffe pour ce mot. Voilà la plus belle fentence que j'aye entendu de ma vie. Il faut vivre pour manger, &non pas manger pour vi... Non, ce n'eft pas cela. Comment eft-ce que tu dis?

VALER E.

Qu'il faut manger pour vivre, & non pas vivre pour

manger,

HARPAGON.

Ouy. Entens-tu? Qui est le grand homme qui a dit cela?

VALER E.

Je ne me fouviens pas maintenant de fon nom.

HARPAGON.

Souviens-toy de m'écrire ces mots. Je les veux faire graver en lettres d'or fur la cheminée de ma Salle. VALER E.

Je n'y manu eray pas. Et pour vôtre soupé, vous

n'a

n'avez qu'à me laiffer faire. Je régleray tout cela

comme il faut.

Fai donc.

HARPAGON.

M. JACQUES.

Tant mieux, j'en auray moins de peine.

HARPA GON.

Il faudra de ces chofes, dont on ne mange guéres, & qui raffafient d'abord; quelque bon Haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien garni de ma

rons.

VALER E.

Repofez-vous fur moy.

HARPAGON.

Maintenant, Maître Jacques, il faut nettoyer mon caroffe.

M. JACQUES.

Attendez. Ceci s'adreffe au cocher. Il remet fa cafaque. Vousdi tes...

HARPAGON.

Qu'il faut nettoyer mon caroffe, & tenir mes chevaux tout prêts pour conduire à la Foire...

M. JACQUES.

Vos chevaux, Monfieur? Ma foy, ils ne font point du tout en état de marcher. Je ne vous diray point qu'ils font fur la litiere, les pauvres bêtes n'en ont point, & ce feroit fort mal parler: mais vous leur faites obferver des jeûnes fi auftéres, que ce ne font plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.

HARPAGON.

Les voilà bien malades, ils ne font rien.

M. JACQUES.

Et pour ne faire rien, Monfieur, eft-ce qu'il ne faut rien manger? Il leur vaudroit bien mieux, les pauvres animaux, de travailler beaucoup, & de manger de même. Cela me fend le cœur, de les voir ainfi extenuez: car enfin j'ay une tendreffe pour mes chevaux, qu'il me femble que c'eft moy-même, quand je les voy pâtir; je m'ète tous les jours pour eux les chofes de la bouche; & c'eft être, Monfieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de fon prochain.

HAR

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