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OCTAVE.

La curiofité me fit preffer Leandre de voir ce q c'étoit. Nous entrons dans une falle, où nous voyos une vielle femme mourante, affiftée d'une fervan qui faifoit des regrets, & d'une jeune fille toute foadante en larmes, la plus belle, & la plus touchan: qu'on puiffe jamais voir.

Ah, ah.

SCAPIN.

OCTAVE.

Une autre auroit paru effroyable en l'état où elle étoit; car elle n'avoit pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des braffieres de nuit quí étoient de fimple futaine; & fa coiffure étoit une cornette jaune, retrouflée au haut de fa tête; qui laiffoit tomber en defordre fes cheveux fur fes épaules; & cependant faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, & ce n'étoit qu'agrémens, & que charmes, que toute fa perfonne.

2

SCAPIN.

Je fens venir les chofes.

1

OCTAVE.

Si tu l'avois veuë, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurois trouvée admirable.

SCAPIN.

Oh je n'en doute point; & fans l'avoir veuë, je vois bien qu'elle étoit tout-à-fait charmante.

OCTAV E.

Ses larmes n'étoient point de ces larmes defagreables, qui défigurent un vifage; Elle avoit à pleurer, une grace touchante; & fa douleur étoit la plus belle du monde,

Je vois tout cela.

SCAPIN

OCTAVE.

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Elle faifoit fondre chacun en larmes, en fe jettant amoureufement fur le corps de cette mourante, qu'elle appelloit fa chere mere ; & il n'y avoit personne qui n'oût l'ame percée de voir un fi bon

naturel.

SCAPIN.

En effet, cela eft touchants, & je vois bien que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

OCTA

OCTAV E.

Ah! Scapin, un barbare l'auroit aimée.

SCAPIN

Affûrément. Le moyen de s'en empêcher?
OCTAV E..

Aprés quelques paroles, dont je tâchai d'adou cir la douleur de cette charmante affligée, nous fortimes de là; & demandant à Leandre ce qu'il lui fembloit de cette perfonne, il me répondit froidement qu'il la trouvoit affez jolie. Je fus piqué de la: froideur avec laquelle il m'en parloit, & je ne voulus point lui découvrir l'effet que les beautez avoient fait fur mon ame.

SILVESTRE,

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Si vous n'abregez ce recit, nous en voilà pour jufqu'à demain. Laiflez-le moi finir en deux mots. Son cœur prend feu dés ce moment. Il ne fçauroit plus vivre, qu'il n'aille confoler fon aimable affligée. Ses frequentes vifites font rejettées de la fervante, devenue la gouvernante par le trépas de la mere; voilà mon homme au defefpoir. preffe, fupplie, conjure; point d'affaire. On lui. dit que la fille, quoi que fans bien, & fans appuy, eft de famille honnête; & qu'à moins que de l'époufer on ne peut fouffrir fes pourfuites. Voilà fon amour augmenté par les difficultez. I confulte dans fa tête, agite, raifonne, balance, prend fa refolution; Le voilà marié avec elle de puis trois jours.

J'entens.

SCAPIN

SILVESTRE.

Maintenant mets avec cela le retour impréveu du Pere, qu'on n'attendoit que dans deux mois; la découverte que l'Oncle a faite du fecret de notre mariage, & l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille que le Seigneur Geronte a fuë d'ufeconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Ta

ne

rente.

A VE.

Et par deffus tout cela; mets encore l'indigence où fe trouve cette aimable perfonne, & l'impuiffan ce où je me vois d'avoir dequoi la fecourir.

SCA

"

SCAPIN.

Eft-ce-là tout? Vous voilà bien embarraffez w deux pour une bagatelle. C'eft bien là dequoi tant allarmer. N'as-tu point de honte, toi, de d meurer court à fi peu de chofe? Que diable, te vo grand & gros comme pere & mere, & tu ne fçauros trouver dans ta tête, forger dans ton efprit quelque rufe galante, quelque honnête petit ftratagéme, por ajufter vos affaires? Fy. Pefte foit du butor. Je voudrois bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper; je les aurois joüez tous deux par deffous la jambe; & je n'étois pas plus grand que cela, que je me fignalois déja par cent tours d'adrefle jolis.

SILVESTRE.

J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talens, & que je n'ai pas l'efprit comme toi, de me brouiller avec la Juftice.

OCTAVE.

Voici mon aimable Hiacinte.

SCENE III.

HIACINTE, OCTAVE, SCA-
PIN, SILVESTRE.

HIACINTE.

AH, Octave, eft-il vrai ce que Silveftre vient de

dire à Nerine, que vôtre Pere eft de retour, qu'il veut vous marier?

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OCTAV E.

Oui, belle Hiacinte, & ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que vois-je? vous pleurez! Pourquoi ces larmes? Me foupçonnez-vous, ditesmoi, de quelque infidelité, & n'étes-vous pas affùrée de l'amour que j'ay pour vous?

HIACIN TE.

Oui, Octave, je fuis fûre que vous m'aimez; mais je ne le fuis pas que vous m'aimiez toûjours.

OCTAV E,

Eh peut-on vous aimer, qu'on ne vous aime toute fa vie?

HIACIN TE.

J'ay ouï dire, Octave, que vôtre fexe aime moins ng-temps que le nôtre, & que les ardeurs que les mmes font voir, font des feux qui s'éteignent auffi cilement qu'ils naiffent.

OCTAV E.

Ah! ma chere Hiacinte, mon cœur n'eft donc as fait comme celui des autres hommes, & je ns bien pour moi que je vous aimerai jufqu'au tom

au.

ites

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HIACINTE.

qui

Je veux croire que vous fentez ce que vous & je ne doute point que vos paroles ne bient finceres; mais je crains un pouvoir ɔmbattra‹ dans votre cœur les tendres fentimens ue vous pouvez avoir pour moi. Vous dépendez 'un Pere, qui veut vous marier à une autre peronne; & je fuis fûre que je mourrai, fi ce malheur

n'arrive.

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Non, belle Hiacinte, 'y a point de Pere qui puiffe me contraindre à vous manquer de foi, & je me refoudrai à quitter mon païs, & le jour même s'il eft befoin, plûtôt qu'à vous quitter. J'ay déja pris, fans l'avoir veuë, une averfion effroyable pour celle que l'on me deftine ; & fans être cruel, je fouhaiterois que la mer l'écartât d'ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hiacinte, I car vos larmes me tuent, je ne les puis voir fans me fentir percer le cœur.

HIACIN TE.

Puis que vous le voulez, je veux bien effuyer mes pleurs, & j'attendrai d'un ceil conftant ce qu'il plaira au Ciel de réfoudre de moi.

OCTAV E.

Le Ciel nous fera favorable. 3

HIACINTE

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HIA CINTE

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Elle n'eft pas tant fotte, ma foy, & je la tro:

affez paffable.

OCTAVE.

Voicy un homme qui pourroit bien, s'il le vo loit, nous être dans tous nos befoins, d'un fecous merveilleux.

SCAPIN.

J'ay fait de grands fermens de ne me mêler plus du Monde; mais fi vous m'en priez bien fort tous deux, peut-être....

OCTAVE.

Ah! s'il ne tient qu'à te prier bien fort, pour obtenir ton aide, je te conjure de tout mon cœur de prendre la conduite de nôtre barque.

SCAPIN

Et vous, ne me dites-vous rien?

H.IACINTE.

Je vous conjure, à fon exemple, par tout ce qui vous eft le plus cher au monde, de vouloir fervir nôtre amour.

SCAPIN.

Il faut fe laiffer vaincre, & avoir de l'humanité. Allez, je veux m'employer pour vous.

Croy que....

OCTAVE.

SCAPIN, parlant à Hiacinte.

Chut. Allez-vous-en vous, & foyez en repos. E: vous, preparez-vous à foûtenir avec fermeté l'abord de vôtre pere.

OCTAV E.

Je t'avoue que cet abord me fait trembler paravance, & j'ay une timidité naturelle que je ne fçaurois vaincre.

SCAPIN.

Il faut pourtant paroître ferme au premier choc, de peur que fur vôtre foibleffe il ne prenne le pié de vous mener comme un enfant. Là, tâchez de vous compofer par étude. Un peu de hardiesse, & fongez à répondre réfolument fur tout ce qu'il pour ra vous dire.

OCTA.

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