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SCENE

VII.

M. DE POURCEAUGNAC, ERASTE 1. MEDECIN, L'APOTIQUAIRE.

ERASTE, à M. de Pourceaugnac. UNe petite affaire m'eft furvenue, qui m'oblige vous quitter; mais voila une perfonne entreles mains de qui je vous laiffe, qui aura foin pour moi de vous traiter du mieux qu'il lui fera poffible. I. MEDECIN

Le devoir de ma profeffion m'y oblige,& c'est aflez que vous me chargiez de ce foin.

M. DE POURCEAUGNA C. C'eft fon Maître d'hôtel, & il faut que ce foitun homme de qualité.

I.

MEDECIN.

Oui, je vous affure que je traiteray Monfieur méthodiquement, & dans toutes les regularitez de nôtre art.

M. DE POURCEAUGNAC.

Mon Dieu, il ne me faut point tant de ceremonies, & je ne viens pas ici pour incommoder. 1. MEDECIN.

Un tel emploi ne me donne que de la joye.
ERAST E.

Voilà toûjours dix piftoles d'avance,en attendant ce que j'ai promis.

M. DE POUR CEAUGNAC.

Non, s'il vous plait, je n'entens pas que vous faffiez de dépenfe, & que vous envoyiez rien acheter pour moy.

ERASTE.

Mon Dieu, laiffez faire, ce n'eft pas pour ce que vous pensez.

M. DE POURCEAUGNAC. Je vous demande de ne me traitter qu'en ami. ERAST E.

C'est ce que je veux faire.Bas au Medecin. Je vous recommande fur tout de ne le point laiffer fortir de vos mains, car par fois il veut s'échaper.

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Ne vous mettez pas en peine.

ERAST E, à M. de Pourc.

Je vous prie de m'excufer de l'incivilité que je

commets.

M. DE POURCEAUGNAC,

Vous vous moquez, & c'est trop de grace que vous me faites.

SCENE VIII.

PREMIER MEDECIN, 2. MEDECIN, M. DE POURCEAUGNAC, L'APOTIQUAIRE.

CE

1. MEDECIN

E m'eft beaucoup d'honneur, Monfieur, d'être Achoifi pour vous rendre fervice.

M. DE POURCEAUGNAC.

Jefuis vôtre ferviteur.

I. MEDECI N.

Voici un habile homme mon Confrere, avec lequel je vais confulter la maniere dont nous Vous

traitterons.

M. DE POURCEAUGNAC

Il ne faut point tant de façons, vous dis-je, & je fuis homme à me contenter de l'ordinaire.

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Allons, des fieges.

M. DE POURCEAUGNAC. Voila, pour un jeune homme des domestiques bien lugubres!

I. MEDECIN.

Allons, Monfieur, prenez vôtre place, Monficur.

Lors qu'ils font affis, les deux Medecins luy prennent
chacun une main, pour luy tâter le poulx.
M. DE POURCEAUGNAC

prefentant fes mains.

Vôtre trés-humble valet. Voyant qu'ils luy tatent le poulx. Que veut dire cela?

I. MEDECIN.

Mangez-vous bien, Monfieur?

M. DE

M. DE POURCEAUGNAC. Ouy, & bois encore mieux.

1. ME DE CIN.

Tant pis; cette grande appetition du froid, & & l'humide, eft une indication de la chaleur & feiche reffe qui eft au dedans. Dormez-vous fort?

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M. DE POURCEAUGNAC.

Ouy, quand j'ay bien soupé.

I. MEDECIN.

Faites-vous des fonges?

M. DE POURCEAUGNAC.

Quelquefois.

1. MEDECIN.

De quelle nature font-ils?

M. DE POURCEAUGNAC.

De la nature des fonges. Quelle diable de converfation eft-ce là.?

1. MEDECIN.

Vos dejections, comment font-elles?

M. DE POURCEAUGNAC.

Ma foy je ne comprens rien à toutes ces questions, & je veux plûtôt boire un coup.

1. MEDECIN.

Un peu de patience, nous allons raifonner fur vôtre affaire devant vous, & nous le ferons en François, pour être plus intelligibles.

M. DE POURCEAUGNAC.

Quel grand raifonnement faut-il pour manger un

morceau?

I. MEDECIN.

Comme ainfi foit qu'on ne puiffe guerir une ma parfaitement, & qu'on

ladie, qu'on ne la connoienoître, fans en bien

ne la puiffe parfaitement

établir l'idée particuliere & la veritable efpèce, par fes fignes diagnoftiques & prognoftiques; vous me permettrez, Monfieur nôtre Ancien, d'entrer en confideration de la maladie dont il s'agit, avant que de toucher à la therapeutique & aux remedes qu'il nous conviendra faire pour la parfaite curation d'icelle. Je dis donc, Monfieur, avec vôtre permif fion, que nôtre Malade ici prefent, eft Imalheu reufement attaqué, affecté, poffedé, travaillé de cette forte de folie que nous nommons fort bien,

mélancolie hypocondriaque, efpece de folie trésrâcheufe, & qui ne demande pas moins qu'un Efculape comme vous, confommé dans notre art; vous, dis-je, qui avez blanchi, comme on dit, fous le harnois, & auquel il en a tant paffé par les mains de toutes les façons. Je l'appelle mélancolie E hypocondriaque, pour la diftinguer des deux au tres; car le celebre Galien établit doctement à fon ordinaire trois efpeces de cette maladie que nous nommons mélancolie, ainfi appellée non feule. ment par les Latins, mais encore par les Grecs; ce qui eft bien à remarquer pour notre affaire: La premiere, qui vient du propre vice du cerveau; la feconde qui vient de tout le fang, fait & rendu arrabilaire; la troifiéme, appellée hypocondriaque, qui eft la nôtre, laquelle procede du vice de quel que partie du bas ventre, & de la region inferieur re: mais particulierement de la ratte, dont la cha leur & l'inflammation porte au cerveau de nôtre malade beaucoup de fuligines épaiffes & craffesj I dont la vapeur noire & maligne caufe déprava tion aux fonctions de la faculté Princefle, & fait la maladie dont par nôtre raisonnement it eft ma nifeftement atteint & convaincu. Qu'ainfi ne foit, pour diagnoftique inconteftable de ce que je dis, vous n'avez qu'à confiderer ce grand ferieux que vous voyez; cette trifteffe accompagnée de crain te & de defiance, fignes pathognomoniques & individuels de cette maladie, fi bien marquée chez le divin vieillard Hipocrate: cette phyfionomie, ces yeux rouges & hagards, cette grande barbe, cette habitude du corps menue, grefle, noire & velue, lefquels fignes le dénotent trés-affecte: de cette maladie, procedante du vice des hypocondres laquelle maladie par laps de temps naturalifée, envieillie, habituée, & ayant pris droit de bourgeoifie chez lui, pourroit bien degenerer, ou on manie, ou en phtifie, ou en apoplexie, ou même en fine phrenefic & fureur. Tout ceci fuppofé, puis qu'une maladie bien connue eft à demi guerie, car ignoti nulla eft curatio morbi, il ne vous fera pas difficile de convenir des remedes que nous devons faire à Monfieur. Premierement pour remedier à cette

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pletore obturante, & à cette cacochimie luxuriai te par tout le corps, je fuis d'avis qu'il foit ph botomifé liberalement; c'eft-à-dire que les fa gnées foient frequentes & plantureufes: En pr mier lieu de la bafilique, puis de la cephalique & même fi le mal eft opiniâtre, de lui ouvrir veine du front, & que l'ouverture soit large, aft que le gros fang puiffe fortir; & en même temps de le purger, defopiler, & evacuer par purgati propres & convenables; c'eft-à-dire par cholago P gues, melanagogues, & cætera ; & comme la ve ritable fource de tout le mal, eft ou une humeur craffe & feculente, ou une vapeur noire & groffere qui obfcurcit, infecte & falit les efprits animaux, il eft à propos enfuite qu'il prenne un bain d'eau pure & nette, avec force petit lait clair, pour purifier par l'eau la feculence de l'humeur craffe, & éclair. eir par le lait clair la noirceur de cette vapeur; mais avant toute chofe, je trouve qu'il eft bon de le réjouir par agreables converfations, chants & inftrumens de Mufique, à quoy il n'y a pas d'inconvenient de joindre des Danfeurs, afin que leurs mouvemens, difpofition & agilité puiflent exciter & réveiller la parefle de fes efprits engourdis, qui occafionne l'épaiffeur de fon fang, d'où procede la maladie. Voilà les remedes que j'imagine, aufquels pourront être ajoûtez beaucoup d'autres meilleurs par Monfieur nôtre Maître & Ancien, fuivant l'experience, jugement, lumiere & fuffifance qu'il s'eft acquife dans nôtre Art Dixi.

2. MEDECIN.

A Dien ne plaife, Monfieur, qu'il me tombe en penfée d'ajoûter rien à ce que vous venez de dire: vous avez fi bien difcouru fur tous les fignes, les fymptomes & les caufes de la maladie de Monfieur; le raifonnement que vous en avez fair eft fi docte & fi beau, qu'il eft impoffible qu'il ne foit pas fou, & mélancolique hypocondriaque; & quand il ne le feroit pas, il faudroit qu'il le devint, pour la beauté des chofes que vous avez dites, & la jufteffe du raifonnement que vous avez fait. Ouy, Monfieur, yous avez depeint fort graphiquement, graphicè depinxifti, tout ce qui appartient à cette maladie;

P

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