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SCENE IV.

LA FLECHE, FROSINE

LA FLECHE.

L'Avanture eft tout à fait drôle.Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes;car nous n'avons rien reconnu au memoire que nous avons.

FROSIN E.

Hé c'eft toy, mon pauvre la Fléche, d'où vient cette rencontre ?

LA FLECHE.

Ah, ah, c'eft toy, Frofine, que viens-tu faire ici?
FROSIN E.

Ce que je fais par tout ailleurs; m'entremettre d'affaires, me rendre ferviable aux gens, & profiter du mieux qu'il m'eft poffible des petits talens que je pais avoir. Tu fçais que dans ce monde il faut vivre d'adreffe; & qu'aux perfonnes comme moy le Ciel n'a donné d'autres rentes, que l'intrigue, & que l'induftrie.

LA FLECHE.

As-tu quelque négoce avec le patron du logis?
FROSIN E.

Oui, je traitte pour luy quelque petite affaire, dont j'efpere une recompenfe.

LA FLECH E.

De luy! Ah, ma foy, tu feras bien fine, fi tu em tires quelque chofe; & je te donne avis que l'argent ceans eft fort cher.

FROSINE.

Il y a de certains fervices qui touchent merveilleufement.

LA FLE CHE.

Je fuis vôtre valet; & tu ne connois pas encore le Seigneur Harpagon. Le Seigneur Harpagon eft de tous les humains, l'humain le moins humain; le mortel de tous les mortels le plus dur, & le plus ferré. Il n'eft point de fervice qui pouffe fa reconnoiffance jufqu'à luy faire ouvrir les mains. De la loüange, de l'eftime, de la bienveillance en paroles & de l'amitié tant qu'il vous plaira; mais de l'argent, point d'affaires. 11 n'eft rien de plus fec & Bbb s

de:

de plus aride, que fes bonnes graces & fes careffes; & donner eft un mot pour qui il a tant d'averfion, qu'il ne dit jamais je vous donne, mais je vous prefte le bon jour. FROSINE.

Mon Dieu,je fçay l'art de traiter les hommes. J'ay le fecret de m'ouvrir leur tendrefle, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils font fenfibles.

LA FLECHE.

Bagatelles. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homnie dont il eft queftion. Ileft Ture là-deffus, mais d'une Turcquerie à defefperer tout le monde, & l'on pourroit crever, qu'il n'en branleroit pas. En un mot, il aime l'argent, plus que reputation, qu'honneur, & que vertu; & la venë d'un demandeur luy donne des convulfions. C'eft le frapper par fon endroit mortel, c'eft luy percer le cœur, c'eft luy arracher les entrailles; & fi... Mais il revient; je me retire.

SCENE V.

HARPAGON, FROSINE.

HARPAGON.

Tout va comme il faut. Hé bien, qu'eft-ce, Fro

fine?

FROSINE.

Ah, mon Dieu! que vous vous portez bien! & que vous avez là un vray vifage de fanté !

Qui moy?

HARPAGON

FROSINE.

Jamais je ne vous vis un teint fi frais, & fi gaillard. HARPAGON,

Tout de bon ?

FROSINE.

Comment? vous n'avez de vôtre vie été fi jeune que vous étes; & je vois des gens de vingt-cinq ans qui font plus vieux que vous.

HARPAGON.

Cependant, Frofine, j'en ay foixante bien com

prez,

FRO

FROSINE

Hé bien, qu'est-ce que cela, foixante ans? Voilà bien dequoy! C'eft la fleur de l'âge cela; & vous entrez maintenant dans la belle faifon de l'homme. HARPAGON..

Il eft vray; mais vingt années de moins pourtant ne me feroient point de mal, que je croy.

FROSINE.

Vous moquez vous? Vous n'avez pas befoin de cela; & vous étes d'une pâte à vivre jufques à

cent ans.

Tu le crois?

HARPAGON.

FROSINE.

Affeurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. O que voilà bien là entre vos deux yeux un figne de longue vie !

HARPAGON.

Tu te connois à cela ?

FROSIN E..

Sans doute. Montrez-moy vôtre main. Ah mon Dieu! quelle ligne de vie!

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Comment ?

HARPAGON.

FROSINE.

Ne voyez-vous pas jufqu'où va cette ligne-là?

HARPAGON.
Hé bien, qu'est-ce que cela veut dire?

FROSINE.

Par ma foy, je difois cent ans, mais vous pafferez les fix-vingts,

HARPAGON.

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Il faudra vous affommer, vous dy-je; & vous mettrez en terre, & vos enfans, & les enfans de vos enfans.

HARPAGON.

Tant mieux. Comment va nôtre affaire?

FROSINE.

Faut-il le demander? & me voit-on mêler de rien, dont je ne vienne à bout? J'ay, fur tout pour les mariages, un talent merveilleux. Il n'eft point de

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par

partis au monde, que je ne trouve en peu de temps Je moyen d'accoupler; & je croy, fi je me l'étois mis en tête, que je marierois le grand Turc avec la Republique de Venife. Il n'y avoit pas fans doute de fi grandes difficultez à cette affaire-cy. Comme j'ay commerce chez elles, je les ay à fond l'une & l'autre entretenues de vous, & j'ay dit à la Mere le deffein. que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir paffer dans la rue, & prendre l'air à fa fenêtre.

HARPAGON

Qui a fait réponse...

FROSINE.

Elle a receu la propofition avec joie; & quand je luy ay témoigné que vous fouhaitiez fort que fa fille affiftât ce foir au contract de mariage qui fe doit faire de la vôtre, elle y a confenti fans peine, & me l'a confiée pour cela.

HARPAGON.

C'eft que je fuis oblige, Frofine, de donner à fauper au Seigneur Anfelme; & je feray bien-aise qu'elê foit du régale.

FROSINE.

Vous avez raifon. Elle doit aprés difné rendre vifite à vôtre fille, d'où elle fait fon conte d'aller faire un tour à la Foire, pour venir enfuite au foupé.

HARPAGON.

Hé bien; elles iront ensemble dans mon caroffe, que je leur prêteray.

FROSINE. Voilà juftement fon affaire.

HARPAGON.

Mais, Frofine,as-tu entretenu la Mere touchant le bien qu'elle peut donner à fa fille? Luy as tu dit qu'il falloit qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fit quelque effort, qu'elle fe faignât pour une occafion comme celle-cy? Car encore n'épouse-t-on point une fille, fans qu'elle apporte quelque chofe.

FROSINE.

Comment? c'eft une fille qui vous apportera douze mille livres de rente.

HARPAGON.

Douze mille livres de rente!

FRO

FROSINE.

Oui. Premiérement, elle eft nourrie & élevée dans une grande épargne de bouche. C'eft une fille accoûtumée à vivre de falade, de lait, de fromage & de pommes, & à laquelle par conféquent il ne faudra ny table bien fervie, ni confommez exquis, ny orges mondez perpétuels, ny les autres délica teffes qu'il faudroit pour une autre femme; & cela ne va pas à fi peu de chofe, qu'il ne monte bien, tous les ans, à trois mille francs pour le moins. Ou tre cela, elle n'eft curieufe que d'une propreté fort fimple, & n'aime point les fuperbes habits, ny les riches bijoux, ni les meubles fomptueux, où don. nent fes pareilles avec tant de chaleur, & cet article là vaut plus de quatre mille livres par an. De plus, elle a une averfion horrible pour le jeu, ce qui n'eft pas commun aux femmes d'aujourd'huy; & j'en fçay une de nos quartiers, qui a perdu à trente & quarante vingt mille francs cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au jeu par an, & quatre mille francs en habits & bijoux, cela fait neuf mille livres; & mille efcus que nous mettons la nourriture, ne voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptez?

HARPAGON. Oui, cela n'eft pas mal, mais ce compte-là n'eft rien.de réel.

FROSINE.

Pardonnez-moy. N'eft-ce pas quelque chofe de réel, que de vous apporter en mariage une grande. fobrieté, l'héritage d'un grand amour de fimplicité de parure, & l'acquifition d'un grand fond de haine pour le jeu ?

HARPA GON

C'eft une raillerie, que de vouloir me conftituër fa dot de toutes les dépenfes qu'elle ne fera point. Je n'iray pas donner quittance de ce que je ne reçois pas; & il faut bien que je touche quelque chole.

FROSINE.

Mon Dieu, vous toucherez affez; & elles m'ont parlé d'un certain Païs, où elles ont du bien, dont vous ferez le maître.

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