Page images
PDF
EPUB

DORANTE.

Que voulez-vous dire, Madame Jourdain & quelles fantaifies font les vôtres, de vous aller mettre en tête que vôtre mari dépense fon bien, & que c'eft luy qui donne ce régale à Madame? Apprenez que c'eft moy, je vous prie; qu'il ne fait feulement que me prêter fa maiton, & que vous devriez un peu mieux regarder aux chofes que vous dites.

M. JOURDAIN.

Ouy, impertinente, c'eft Monfieur le Comte qui donne tout ceci à Madame, qui est une perfonne de qualité. Il me fait l'honneur de prendre ma maison, & de vouloir que je fois avec luy.

Me. JOURDAIN.

Ce font des chanfons que cela; je fçay ce que je fçay.

DORANTE.

Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes.

Me. JOURDAIN.

[ocr errors]

Te n'ay que faire de lunettes, Monfieur, & je vois affez clair; il y a long temps que je fens les chofes & je ne fuis pas une bête. Cela eft fort vilain à vous pour un grand Seigneur, de prêter la main comme vous faites aux fottifes de mon mary. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela n'eft ny beau, ny honnête à vous, de mettre de la diffention dans un ménage, & de fouffrir que mon mary foit amoureux

de vous.

DORIMENE.

Que veut donc dire tout ceci Allez,Dorante, vous vous moquez, de m'expofer aux fottes vifions de cette extravagante.

DORANTE.

Madame, hola Madame, où courez-vous?
M. JOURDAIN.

Madame. Monfieur le Comte, faites-luy mes excufes, & tâchez de la ramener. Ah, impertinente que vous etes, voilà de vos beaux faits; vous me venez faire des affronts devant tout le monde, & vous chaffez de chez moy des perfonnes de qualité.

Me.

JOURDAIN.

Me.

Je me moque de leur qualité.

M. JOURDAIN,

Je ne fçay qui me tient, maudite, que je ne vous fende latête avec les piéces du repas que vous étes venuë troubler. On otela table.

Me. JOURDAIN, fortant.

Je me moque de cela. Ce font mes droits que je défens, & j'auray pour moy toutes les femmes. M. JOURDAIN,

Vous faites bien d'éviter ma colére. Elle eft arri

vée là bien malheureufement. J'étois en humeur de dire de jolies chofes, & jamais je ne m'étois fenti tant d'esprit. Qu'est-ce que c'est que cela ?

SCENE III.

COVIELLE déguifé, MONSIEUR
JOURDAIN, LAQUAIS,

COVIELLE.

Monfieur, je ne fçay pas j'ay l'honneur d'être

connu de vous.

M. JOURDAIN.

Non, Monfieur.

COVIELLE.

Je vous ay veu que vous n'étiez pas plus grand que cela.

Moy?

M. JOURDAIN.

COVIELLE.

Ouy, vous étiez le plus bel Enfant du monde, & toutes les Dames vous prenoient dans leurs bras pour vous baifer.

M. JOURDAIN,

Pour me baifer?

COVIELLE.

Ouy. J'étois grand amy de feu Monfieur vôtre

Pere.

M. JOURDAIN,

De feu Monfieur mon Pere?

COVIELLE.

Ouy. C'étoit un fort honnête Gentilhomme.

M.

[blocks in formation]

M. JOURDAIN.

Et vous l'avez connu pour Gentilhomme?

Sans doute.

COVIELLE..

M. JOUR DAIN.

Je ne fçay donc pas comment le monde eft fait.
COVIELLE.

Comment?

M. JOURDAIN.

Il y a de fottes gens qui me veulent dire qu'il a été Marchand.

COVIELL E.

Luy Marchand! C'est pure médifance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faifoit, c'eft qu'il étoit fort obligeant, fort officieux; & comme il fe connoiffoit fort bien en étoffes, il en alloit choisir de tous les côtez, les faifoit apporter chez luy, & en donnoit à fes amis pour de l'argent.

M. JOURDAIN.

Je fuis ravi de vous connoître, afin que vous rendiez ce témoignage-là que mon Pere étoit Gentil homme.

COVIEL'L E.

Je le foûtiendray devant tout le monde.
M. JOURDAIN,

Vous m'obligerez. Quel fujet vous ameine?

COVIELLE.

Depuis avoir connu feu Monfieur vôtre Pere honnête Gentilhomme, comme je vous ay dit, j'ay

voyage par tout le monde..

M. JOUR

M. JOURDAIN.

Par tout le monde!

Ouy..

COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Je penfe qu'il y a bien loin en ce Païs-là.

COVIELLE,

Affûrément. Je ne fuis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; & par l'intérêt que je prens à tout ce qui vous touche, je viens vous an noncer la meilleure nouvelle du monde.

Quelle?

M. JOURDA I N.

COVLELLE.

Vous fçavez que le Fils du grand Turc eft ici?
M. JOURDAIN.

Moy? non.

COVIEL L.E.

Comment? Il a un train tout-à-fait magnifique, tout le monde le va voir, & il a été receu en ce Païs comme un Seigneur d'importance.

M. JOURDAIN.

Par ma foy, je ne fçavois pas cela.

COVIELLE

Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il eft amoureux de vôtre Fille.

M.. JOURDAIN...

Le Fils du grand Turc?

COVIELLE.

Ouy, & il veut être vôtre gendre.

Mr. JOURDAIN.

Mon gendre, le Fils du grand Turc?
COVIELLE.

Le Fils du grand Turc vôtre gendre. Comme je le fus voir, & que j'entens parfaitement fa langue, il s'entretint avec moy; & aprés quelques autres difcours, il me dit. Acciam croc filer ouch alla mouf taph gidilum amanahem varahini ouffere carbulath. C'eft-à-dire; n'as tu point veu une jeune belle Perfonne, qui eft la Fille de Monfieur Jourdain, Genhomme Parifien?

M. JOURDAIN
Le Fils du grand Turc dit cela de moy?

[ocr errors]

COVIELLE.

Ouy.Comme je luy eus répondu, que je vous con. noiffois particulierement, & que j'avois veu vôtre Fille: Ah, me dit il, Marababa sahem; c'est-à-dire, ah que je fuis amoureux d'elle!

M. JOURDAIN.

Marababa fahem veut dire, Ah que je fuis amoureux d'elle?

Ouy.

COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Par ma foy, vous faites bien de me le dire, car pour moy je n'aurois jamais crû que Marababa sahem eût voulu dire, Ah que je fnis amoureux d'elle! Voilà une langue admirable, que ce Turc!

COVIELLE.

Plus admirable qu'on ne peut croire. Sçavez-vous bien ce que veut dire, Cacaramonchen?

M. JOURDAIN.

Cacaramouchen? Non.

COVIELLE.

C'est-à-dire, Ma chere ame.

M. JOURDAIN.

Cacaramouchen veut dire,. Ma chére ame?

Quy.

COVIELLE.

M. JOURDAIN.

Voilà qui eft merveilleux! Cacaramouchen, Ma chere ame: Diroit-on jamais cela? Voilà qui me confond.

COVIELLE.

Enfin pour achever mon Ambaffade, il vient vous demander vôtre Fille en mariage; & pour avoir un Beau Pere qui foit digne de luy, il veut vous faire. Mamamouchi, qui eft une certaine grande Dignité de fon Païs.

M. JOURDAIN.

Mamamouchi?

COVIELLE.

Ouy, Mamamouchi: c'eft-a-dire en notre langue, Paladin. Paladin, ce font des anciens... Palad n enfin il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; & vous irez de pair avec les plus grands Seigneurs de la terre.

M.

« PreviousContinue »