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Mais comme ledit Prêteur n'a pas chez luy la Tomme dont il eft question, & que pour faire plai fir à l'emprunteur, il eft contraint luy-même de l'emprunter d'un autre, fur le pied du denier cing; il conviendra que ledit premier emprunteur paye cet interêt, fans prejudice du refle, attendu que ce n'est que pour l'obliger, que ledit Préteur s'engage à cet emprunt.

CLEAN TE.

Comment diable! quel Juif! quel Arabe est ce là ? c'eft plus qu'au denier quatre.

LA FLECHE.

Il eft vray, c'eft ce que j'ay dit. Vous avez à voir fà-defius.

CLEANT E.

Que veux-tu que je voie? J'ay befoin d'argent; & il faut bien que je confente à tout.

LA FLECHE. C'éft la réponse que j'ay faite. CLEAN TE.

Il y a encore quelque chofe?

LA FLECHE. Ce n'eft plus qu'un petit article.

Des quinze mille francs qu'on demande, le Préteur ne pourra compter en argent que douze mille livres, & pour les mille écus reftans, il faudra que l'emprunteur prenne les hardes, nipes, & bijoux, dont s'enfuit le memoire, & que ledit Prêteur amis, de bonne foy, au plus modique prix qu'il luy a été possible.

CLEANTE.

Que veut dire cela?

LA FLECHE.

Ecoutez le memoire.

Premierement, un lit de quatre pieds, à bandes de points de Hongrie, appliquées fort proprement fur un drap de couleur d'olive; avec fix chaifes, &la courte-pointe de même; le tout bien condi tionné, & doublé d'un petit taffetas changeant rouge & bleu.

Plus un pavillon à queuë, d'ane bonne ferge d'Aumale rofe feche; avec le molet & les franges de foge.

CLE

CLEAN TE..

Que veut-il que je faffe de cela?

Attendez.

LA FLECHE.

Plus, une tenture de tapifferie, des amours de
Gombant, & de Macée.

Plus, une grande table de bois de noyer, à douze columnes, ou piliers tournez, qui fe tire par les deux bouts, & garnie par le dessous de fes fix efcabelles.

CLEANTE. Qu'ay-je affaire, morbleu...

LA FLECHE.

Donnez-vous patience.

Plus,trois gros moufquets tout garnis de nacre de perles, avec les trois fourchettes assortiffantes. Flus, unfourneau de brique, avec deux cornuës, & trois recipiens, fort utiles à ceux qui font curieux de diftiller.

J'enrage.

CLEANTE.

LA FLECHE.

Doucement.

Plus, un lut de Boulogne, garnide toutes fes cor
des, ou peu s'en faut.

Plus, un trou-Madame, & un damier, avec
un jeu de l'oye renouvelle des Grecs, fort propre
à paffer le temps lors que l'on n'a que faire.
Plus,une peau d'un lezard,de trois pieds & de-
mi, remplie de foin; curiofité agreable, pour pen-
dre au plancher d'une chambre.

Le tout,cy deffus mentionné,valant lopalement plus de quatre mille cinq cens livres,& rabaissé à la valeur de mille écus, par la difcretion du PréCLEANTE.

teur.

Que la pefte l'étouffe avec fa difcretion, le traî tre, le bourreau qu'il eft. A-t-on jamais parlé d'une ufure femblable: & n'eft-il pas content du furieux interêt qu'il exige, fans vouloir encore m'obliger à prendre, pour trois mille livres, les vieux rogatons qu'il ramaffe: Je n'auray pas deux cens écus de tout cela; & cependant il faut bien me refoudre à confentir à ce qu'il veut; car il eft en état de me faire tout

ac

accepter, & il me tient, le fcelerat, le poignard fur la gorge.

LA FLECHE.

Je vous voy, Monfieur, ne vous en déplaife, dans le grand chemin justement que tenoit Panurge pour ruïner, prenant argent d'avance, achetant cher, vendant à bon marché, & mangeant fon bled en herbe. CLEANT E.

Que veux-tu que j'y faffe? Voilà où les jeunes gens font reduits par la maudite avarice des Peres; & on s'étonne aprés cela que les Fils fouhaitent qu'ils

meurent.

LA FLECHE.

Il faut avouer que le vôtre anime roit contre fa vilainie, le plus pofé homme du monde. Je n'ay pas, Dieu merci, les inclinations fort patibulaires; & parmi mes confreres, que je voy fe meier de beaucoup de petits commerces, je fçay tirer adroitement mon épingle du jeu, & me démêler prudemment de toutes les galanteries qui fentent tant foit peu l'échelle: mais, à vous dire vray, il me donneroit, par fes procedez, des tentations de le voler; & je croirois, en le volant, faire une action meritoire.

CLEAN T E.

Donne-moy un peu ce memoire,que je le voie en

core.

SCENE II.

M. SIMON HARPAGON, CLEANTE,

LA FLECHF.

M. SIMON.

UI, Monfieur,c'eft un jeune homme qui a befoin

Od'argent. Ses affaires le preffent d'en trouver, & il en paffera par tout ce que vous en prefcrirez. HARPAGON.

Mais croyez-vous, Maitre Simon, qu'il n'y ait rien à pericliter & fçavez-vous le nom, les biens, & la famille de celuy pour qui vous parlez?

M. SIM O N.

Non, je ne puis pas bien vous en instruire à fond, & ce n'eft que par avanture que l'on m'a adreffé à Juy; mais vous ferez de toutes chofes éclairci par

luy

luy-même; & fon homme m'a affuré, que vous ferez content, quand vous le connoîtrez. Tout ce que je fçaurois vous dire, c'eft que fa famille eft fort riche, qu'il n'a plus de Mere déja; & qu'il s'obligera, fi vous voulez, que fon Pere mourra avant qu'il foit huit mois.

HARPAGON.

C'eft quelque chofe que cela. La charité, Maître Simon, nous oblige à faire plaifir aux perfonnes, lors que nous le pouvons.

Cela s'entend.

M. SIM O N.

LA FLECHE.

Que veut dire ceci? Nôtre Maître Simon qui parle à vôtre Pere.

CLEANTE.

Luy auroit-on appris qui je fuis ; & ferois-tu pour nous trahir?

M. SIMON.

Ah, ah, vous étes bien preffez! Qui vous a dir que c'étoit ceans? Ce n'eft pas moy, Monfieur, au moins, qui leur ay découvert vôtre nom, & vôtre logis: Mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela. Ce font des perfonnes difcrettes; & vous pouvez ici vous expliquer ensemble.

Comment?

HARPAGON.

M. SIM ON.

Monfieur eft la perfonne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ay parlé.

HARPAGON.

Comment, pendard, c'eft toy qui t'abandonnes à ces coupables extrémitez?

CLEAN TE.

Comment, mon Pere, c'est vous qui vous portez

à ces honteuses actions?

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HARPAGON.

Ofes-tu bien, aprés cela, paroître devant moy?
CLEANTE.

Ofez-vous bien, aprés cela, vous prefenter aux yeux du monde ?

HARPAGON.

N'as-tu point de honte, dy moy, d'en venir à ces debauches-là? de te precipiter dans des dépenfes effroyables?& de faire une honteufe diffipation du bien que tes parens t'ont amaffé avec tant de fueurs?

CLEANT E.

Ne rougiffez-vous point, de deshonorer vôtre condition, par les commerces que vous faites? de facrifier gloire & reputation, au defir infatiable d'entaffer écu fur écu & de rencherir, en fait d'intérêts, fur les plus infames fubtilitez qu'ayent jamais inventées les plus celebres ufuriers ¿

HARPAGON.

Ote toy de mes yeux, coquin, ôte-toy de mes yeux.

CLEANT E.

Qui eft plus criminel, à vôtre avis, ou celuy qui achete un argent dont il a befoin, ou bien celuy qui vole un argent dont il n'a que faire ?

HARPAGON.

Retire-toy, te dis-je,& ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne fuis pas fâché de cette avanture; & ce m'eft un avis de tenir l'œil, plus que jamais, fur toutes les actions.

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Attendez un moment. Je vais revenir vous parler. Apart. Il est à propos que je faffe un petit tour à mon argent.

SCE

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