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là dans le billet; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverfes maniéres dont on les peut mettre.

Mre. DE PHILOSOPHIE.

On les peut mettre prémiérement comme vous avez dit : Belle Marquife, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien: D'amour mourir me font, belle Marquife, vos beaux yeux. Ou bien: Vos yeux beaux d'amour me font, belle Marquife, mourir. Ou bien; Mourir vos beaux yeux, belle Marquife, d'amour me font. Ou bien; Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquife, d'amour.

M. JOURDAIN.

Mais de toutes ces façons-là, laquelle eft la meil

leure?

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Mre. DE PHILOSOPHIE.

Celle que vous avez dite: Belle Marquife, vas beaux yeux me font mourir d'amour.

M. JOURDAIN.

Cependant je n'ay point étudié, & j'ay fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon cœur, & vous prie de venir demain de bonne heure.

Mre. DE PHILOSOPHIE.

Je n'y manqueray pas.

M. JOURDAIN.

Comment,

rivé?

mon habit n'eft point encore ari

2. LA QUAI S.

Non, Monfieur.

M.

JOURDAIN.

Ce maudit Tailleur me fait bien attendre pour un jour où j'ay tant d'affaires. J'enrage. Que la fiévre quartaine puiffe ferrer bien fort le bourreau de Tailleur. Au diable le Tailleur. La pefte étouffe le Tailleur, Si je le tenois maintenant ce Tailleur déteftable, ce chien de Tailleur-là, ce traître de Tailleur, je...

SGE

SCENE V.

MAISTRE TAILLEUR, GARCON TAILLEUR, portant l'habit de M. Jourdain, MONSIEUR JOURDAIN. LAQUAIS.

M. JOURDAIN

AH vous voilà. Je m'allois mettre en colere con

tre vous.

Mre. TAILLEUR.

Je n'ay pas pû venir plûtôt, & j'ay mis vingt Garçons aprés votre habit.

M. JOURDAIN.

Vous n'avez envoyé des bas de foye fi étroits, que j'ay eu toutes les peines du monde à les mettre, & il y a déja deux mailles de rompuës.

Mre. TAILLEUR.

Ils ne s'élargiront que trop.

M. JOURDAIN

Ouy, fije romps toûjours des mailles. Vous m'avez auffi fait faire des fouliers qui me blessent furieufement.

Mre. TAILLLEUR.

Point du tout, Monfieur.

M. JOURDAIN.

Comment, point du tout?

Mre.

TAILLEUR.

Non, ils ne vous bleffent point.

M. JOURDAIN.

Je vous dis qu'ils me bleffent, moy.

Mre. TAILLEUR.

Vous vous imaginez cela.

M. JOURDAIN.

Je me l'imagine, parce que je le fens. Voyez la belle raison.

Mre: TAILLEUR.

Tenez, voilà le plus bel habit de la Cour, & le mieux afforti. C'est un chef-d'oeuvre, que d'avoir inventé un habit férieux, qui ne fût pas noir; & je le donne en six coups aux Tailleurs les plus éclai

rez.

M. JOUR

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M. JOURDAIN

Qu'est-ce que c'est que ceci? Vous avez mis les fleurs en enbas.

Mre. TAILLEU R.

Vous ne m'avez pas dit que vous les vouliez en enhaut.

M JOURDAIN.

Eft-ce qu'il faut dire cela ?

Mre.

TAILLEUR.

Ouy vrayment. Toutes les perfonnes de qualité les portent de la forte.

M. JOURDAIN.

Les perfonnes de qualité portent les fleurs en enbas?

Mre. TAILLEUR.

Ouy, Monfieur.

M. JOURDAIN.

Oh voilà qui eft donc bien.

Mre.

TAILLEUR.

Si vous voulez, je les mettrai en enhaut.
M. JOURDAIN.

Non, non.

Mre. TAILLEUR.

Vous n'avez qu'à dire.

M. JOURDAIN.

Non, vous dis-je, vous avez bien fait. vous que mon habit m'aille bien ?

Mre. TAILLEUR.

Croyez

Belle demande ! Je défie un peintre, avec fon pinceau, de vous faire rien de plus jufte. J'ay chez moy un Garçon, qui pour monter une Ringrave, eft le plus grand genie du monde; & un autre, qui pour affembler un pourpoint, eft le Héros de nôtre temps. M. JOURDAIN.

La perruque, & les plumes, font elles comme il faut ?

Mre. TAILLEUR,

Tout eft bien.

M. JOURDAIN, en regardant l'habit
du Tailleur.

Ah, ah, Monfieur le Tailleur, voilà de mon étoffe du dernier habis que vous m'avez fait. Je la reconnois bien.

Mre,

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C'eft que l'étoffe me fembla fi belle, que j'en ay

voulu lever un habit

pour moy.

M. JOURDAIN.

Ouy, mais il ne falloit pas le lever avec le mien. Mre. TAILLEUR.

Voulez-vous mettre vôtre habit?

M. JOURDAIN.

Ouy, donner le moy.

Mre.

TAILLEUR.

Attendez. Cela ne va pas comme cela. J'ay amené des gens pour vous habiller en cadence, & ces fortes d'habits fe mettent avec cérémonie. Hola, entrez vous autres. Mettez cet habit à Monfieur, de la maniére que vous faites aux perfonnes de qualité.

Quatre Garçons Tailleurs entrent, dont deux luyarrachent le haut-de chauffe de fes exercices, & deux antres la camifole, puis ils luy mettent son habit neuf, & Monfieur Jourdain fe promene entr'eux, & leur montre fon habit, pour voir s'il eft bien. Le tout à la cadence de toute la fimphonic.

GARCON TAILLEUR. Mon Gentilhomme, donnez, s'il vous plaît,aux garçons quelque chofe pour boire.

M. JOURDAIN.

Comment m'appellez vous?

GARCON TAILLEUR,

Mon Gentilhomme.

M. JOURDAIN.

Mon Gentilhomme! Voilà ce que c'eft, de fe mettre en Perfonne de qualité. Allez-vous en demeurer toujours habillé en Bourgeois, on ne vous dira point mon Gentilhomme. Tenez, voilà pour mon Gentilhomme.

GARCON TAILLEUR. Monfeigneur, nous vous fommes bien obligez. M. JOURDAIN.

Monfeigneur, oh, oh! Monfeigneur! Attendez, mon amy, Monseigneur mérite quelque chofe, & ce n'eft pas une petite parole que Monfeigneur. Tenez, voilà ce que Monseigneur vous donne..

GAR

GARCON TAILLEUR.

Monfeigneur, nous allons boire tous à la fanté de vôtre Grandeur.

M. JOURDAIN.

Vôtre Grandeur, oh, oh, oh! Attendez, ne vous en allez pas. A moy, vôtre Grandeur! Ma foy, s'il va jufqu'à l'Alteffe, il aura toute la bourse. Tenez, voilà pour ma grandeur.

GARCON TAILLEUR.

Monfeigneur, nous la remerçions trés-humblement de fes liberalitez.

M. JOURDAIN.

Il a bien fait, je luy allois tout donner.

Les quatre Garçons Tailleurs fe réjouissent par uni dance, qui fait le fecond Interméde

Fin du fecond Acte.

ACTE III.

SCENE I.

MONSIEUR JOURDAIN, & fes deux L AQUAIS,

S

M. JOURDAIN.

Uivez-moy, que j'aille un peu montrer mon
habit par la ville, & fur tout, ayez foin tous
deux de marcher immédiatement fur mes pas,
afin qu'on voye bien que vous étes à moi.
LA QUAI S.

Ouy, Monfieur.

M. JOURDAIN.

Appellez-moy Nicole, que je luy donne quelques ordres. Ne bougez, la voilà.

SCE

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