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A l'exécution, Monfieur, de l'Ordonnance,
Je viendrai feulement paffer ici la nuit,

Avec dix de mes gens, fans fcandale, & fans bruit. Pour la forme, il faudra, s'il vous plait, qu'on m'apporte,

Avant que fe coucher, les clefs de vôtre porte,
J'aurai foin de ne pas troubler votre repos,
Et de ne rien fouffrir qui ne foit a propos.
Mais demain du matin, il vous faut être habile
A vuider de céans jufqu'au moindre utencile.
Mes gens vous aideront; & je les ai pris forts,
Pour vous faire fervice à tout mettre dehors.
On n'en peut pas ufer mieux que je fais, je penfe,
Et comme je vous traite avec grande indulgence,
Je vous conjure auffi, Monfieur, d'en ufer bien,
Et qu'au deû de ma charge on ne me trouble en rien.
ORGON.

Du meilleur de mon cœur, je donnerois fur l'heure
Les cent plus beaux Louis de ce qui me demeure,
Et pouvoir à plaifir, fur ce muffle affener

Le plus grand coup de poing qui fe puiffe donner.
CLEANTE.

Laiffez, ne gâtons rien.

P I

D'AMIS.

A cette andace étrange, J'ay peine à me tenir, & la main me demange. DORINE.

Avec un fi bon dos, ma foi, Monfieur Loyal,
Quelques coups de bafton ne vous fiéroient pas mal.
M. LOYAL.

On pourroit bien punir ces paroles infames,
Mamie, & l'on decrete auffi contre les femmes.

CLEANT E.

Finiffons tout cela, Monfieur, c'en eft affez;
Donnez-tôt ce papier, de grace, & nous laiffez.
M. LOY A L.

Jufqu'au revoir. Le Ciel vous tienne tous en joie..
ORGON.

Puiffe-t-il te confondre, & celuy qui t'envoie.

SCE

SCENE V.

ORGON, CLEANTE, MARIANE, ELMIRE,
M. PERNELLE, DORINE,
DAMIS.

ORGON.

HE' bien, vous le voyez, ma Mere, fi j'ay droit.
Et vous pouvez juger du refte, par l'Exploit.
Ses trahifons enfin, vous font elles connues?

M.

PERNELLE.

Je firis toute ébaubie, & je tombe des nuës.

DORIN E.

Vous vous plaignez à tort; à tort vous le blâmez,
Et fes pieux deffeins, par là, font confirmez.
Dans l'amour du prochain, fa vertu fe confomme,
Hfçait que trés-fouvent les biens corrompent l'hom

me;

Et par charité pure, il veut vous enlever

Fout ce qui vous peut faire obftacle à vous fauver.
ORGON.

Taifez-vous ; c'eft le mot qu'il vous faut toûjours di

re.

CLEANT E.

Allons voir quel confeil on doit vous faire élire.
ELMIR E.

Allez faire éclater l'audace de l'ingrat:
Ce procedé détruit la vertu du Contrat;
Et fa déloyauté va paroître trop noire,
Pour fouffrir qu'il en ait le fuccés qu'on veut croire

SCENE VI.

VALERE, ORGON, CLEANTE, ELMIRE, MARIANE, &c.

VALER E.

AVec regret, Monfieur, je viens vous affliger;
Mais je m'y vois contraint par le preffant danger.
Un ami qui m'eft joint d'une amitié fort tendre,
Et qui fcait l'interêt qu'en vous j'ai lieu de prendre
A violé pour moi, par un pas délicat,

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L&

Le fecret que l'on doit aux affaires d'Etat,
Et me vient d'envoyer un avis dont la fuite
Vous réduit au parti d'une foudaine fuite.
Le fourbe, qui long-temps a pû vous impofer,
Depuis une heure, au Prince à fçeû vous accufer,
Et remettre en fes mains, dans les traits qu'il vous
jette,

D'un Criminel d'Etat, l'importante caffette,
Dont, au mépris, dit-il, du devoir d'un Sujet,,
Vous avez confervé le coupable fecret.

J'ignore le détail du crime qu'on vous donne,
Mais un ordre eft donné contre vôtre perfonne,
Et lui-même eft chargé, pour mieux l'exécuter,
D'accompagner celui qui vous doit arrêter.

CLEAN TE.

Voilà fes droits armez, & c'eft par où le traître,
De vos biens qu'il prétend, cherche à fe rendre maî-

tre.

ORGON..

L'homme eft, je vous l'avouë, un méchant ani

mal!!

VALER E.

Le moindre amusement vous peut être fatal.
J'ay, pour vous emmener, mon caroffe à la porte,
Avec mille Louis qu'ici je vous apporte.

Ne perdons point de temps, le trait eft foudroyant,
Et ce font de ces coups que l'on pare en fuyant.
A vous mettre en lieu für, je m'offre pour condui-

te,

Et veux accompagner, jufqu'au bout, vôtre fuite, ORGON.

Las! que ne dois-je point à vos foins obligeans? Pour vous en rendre grace, il faut un autre temps; Et je demande au Ciel, de m'être affez propice, Pour reconnoître un jour ce genereux fervice. Adieu, prenez le foin vous autres...

CLEANT E.

Allez-tôt.

Nous fongerons, mon frere, à faire ce qu'il faut.

SOE

SCENE DERNIERE..

L'EXEMPT, TARTUFFE, VALERE,,

ORGON, ELMIRE,
MARIANE, &c.

TARTUFF E.

Tout beau, Monfieur, tout beau, ne courez point

fi vite,

Vous n'irez pas fort loin, pour trouver votre gîte a
Et de la part du Prince, on vous fait prifonnier.
ORGON.

Traître, tu me gardois ce trait pour le dernier.
C'eft le coup, fcelerat, par où tu m'expedies,
Et voila couronner toutes tes perfidies.

TARTUFF E.
Vos injures n'ont rien à me pouvoir aigrir,
Et je fuis, pour le Ciel, appris à tout fouffrir.

CLEANTE.

La moderation eft grande, je l'avouë.

DAMIS.

Comme du Ciel, l'infame impudemment fë jouë!” TARTUFFE..

Tous vos emportemens ne fçauroient m'émouvoits Et je ne fonge à rien, qu'à faire mon devoir.

MARIA NE.

Vous avez de ceci, grande gloire à prétendre,
Et cet emploi pour vous, eft fort honnête à pren
dre.

TARTUFF E.
Un emploi ne sçauroit être que glorieux,.

Quand il part du pouvoir qui m'envoïe en ces lieux. .
ORGON.

Mais t'es tu fouvenu qué ma main charitable,
Ingrat, t'a retiré d'un état miferable

TARTUF FE.

Out, je fçai quels fecours j'en ai pû recevoir;
Mais l'interêt du Prince eft mon premier devoirs -

De ce devoir facré la jufte violence

Erouffe dans mon coeur toute reconnoiffance;
Et je facrifirois à de fi puiffans noens,

Ani, femme, parens, & moi-même avec eux.

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L'Impofteur!

ELMIR E.

DORIN E.

Comme il fçait, de traîtreffe maniere, Se faire un beau manteau de tout ce qu'on revere! CLEANTE.

Mais s'il eft fi parfait que vous le déclarez,

Ce zele qui vous pouffe, & dont vous vous parez; D'où vient que pour paroître, il s'avife d'attendre, Qu'à pourfuivre fa femme, il ait sceû vous surprendre?

Ét que vous ne fongez à l'aller dénoncer,

Que lors que fon honneur l'oblige à vous chaffer?
Je ne vous parle point, pour devoir en distraire,
Du don de tout fon bien qu'il venoit de vous faire :
Mais le voulant traiter en coupable aujourd'huy
Pourquoi confentiez-vous à rien prendre de luy
TARTUFFE, à l'Exempt.

Delivrez-moi, Monfieur, de la criaillerie,.
Et daignez accomplir vôtre ordre, je vous prie.
L'EXEMPT.

Oui, c'eft trop demeurer, fans doute, à l'accomplir.
Vôtre bouche à propos m'invite à le remplir;
Et pour l'exécuter, fuivez-moi tout à l'heure
Dans la prifon qu'on doit vous donner pour demeu-

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L'EXEMPT.

Ce n'eft pas vous à qui j'en veux rendre raison.
Remettez-vous, Monfieur, d'une alarme fichaude.
Nous vivons fous un Prince ennemy de la fraude,
Un Prince dont les yeux fe font jour dans les cœurs,
Et que ne peut tromper tout l'art des Imposteurs.
D'un fin difcernement, fa grande ame pourveuë,
Sur les chofes toûjours jette une droite veuë,
Chez elle jamais rien ne furprend trop d'accés,
Et fa ferme raifon ne tombe en nul excés.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle,

Mais

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